Compte-rendu par Hervé Bismuth de : Lionel Follet, Aragon, De Dada au surréalisme, Papiers inédits, 1917-1931, Les Cahiers de la NRF, Gallimard, 2000
Hervé Bismuth, compte-rendu de : Lionel Follet, Aragon, De Dada au surréalisme, Papiers inédits, 1917-1931, Les Cahiers de la NRF, Gallimard, octobre 2000.
Lionel Follet vient de nous livrer l’édition d’une liasse d’écrits inédits d’Aragon. La datation du titre : « 1917-1931 » laisse promettre d’autres parutions, de la même façon que celle des Chroniques I, 1918-1932, éditées par Bernard Leuilliot, et parues en 1998 chez Stock. Il est vrai que Lionel Follet s’est arrêté à cette date de 1931 principalement pour des raisons de pertinence, la plupart des autres textes ayant été, d’une façon ou d’une autre, édités. Il serait toutefois dommage que ce travail ne se poursuive pas dans une logique éditoriale. De belles perspectives en tout cas pour les lecteurs d’Aragon ainsi que pour les chercheurs à venir. Une frustration se précise à chaque fois que des ouvrages si précieux nous parviennent : ce n’est pas demain que nous pourrons travailler enfin sur l’œuvre complet d’Aragon.
L’ouvrage de Lionel Follet ne surprendra pas les lecteurs de l’édition « renouvelée et augmentée » de La Défense de l’infini parue en 1997 dans la même collection. La minutie dans les recherches documentaires, la précision des index, de la bibliographie et des renseignements donnés n’ont d’égales que la clarté et les prudences des textes introduisant ces inédits, de la préface à l’exposé du protocole d’édition. L’apparat critique témoigne également d’une connaissance parfois étonnante non seulement de la littérature de ce premier tiers de notre siècle et des témoignages portant sur l’époque concernée, mais également, de l’œuvre d’Aragon, même loin, parfois très loin de cette période. La fréquentation soutenue des textes d’Aragon donne l’occasion à l’éditeur de nous signaler jusqu’à l’existence d’une citation clandestine glissée le temps d’un octosyllabe dans Le Fou d’Elsa et empruntée à Jean Cocteau (page 247, note 2) !
L’ouvrage se compose de deux entrées : la première regroupe la correspondance restée inédite d’Aragon, notamment les « onze lettres » de Paulhan à Aragon qui étaient restées inédites (voir Aragon, Paulhan, Triolet, Le Temps traversé, « Correspondance 1920-1964 » éditée et annotée par Bernard Leuilliot, « Les cahiers de la NRF », Gallimard, 1994) ; la seconde des poèmes et crayonnages d’Aragon ainsi que des articles absents de l’édition des Chroniques de Bernard Leuillot. La seconde entrée précise une figure d’Aragon connue de ceux qui le fréquentent, et qui sera permanente chez lui jusqu’à sa mort, celle d’un écrivain qui, de sa plume de critique littéraire, sait reconnaître ses pairs et en dresser les éloges qu’ils méritent, à cette époque Joseph Delteil, comme plus tard Céline ou Sollers.
Les correspondances présentent un Aragon insolent qui ne surprendra pas les lecteurs de Traité du style, de La Défense de l’infini, puis du Projet d’histoire littéraire contemporaine, ouvrage paru il y a déjà plus de six ans. Ce qui étonnera en revanche les lecteurs connaissant surtout la rigueur morale et intellectuelle de l’écrivain dans les périodes à venir et qui risquera même de leur déplaire est le peu de fidélité, sinon en amitié du moins en admiration, du jeune Aragon — voire une obséquiosité vouée à se transformer en ironie mordante, comportement récurrent que l’on retrouve dans ses échanges avec Jacques Doucet, Jean Cocteau et André Gide. On admettra plus facilement, quoi qu’il en soit, l’obséquiosité du jeune écrivain envers son mécène et protecteur Jacques Doucet, grâce à qui Aragon est arrivé à survivre quelque temps en devenant ainsi indépendant de sa famille, une indépendance certes toute relative : on ne mord pas la main qui donne à manger, et surtout pas dans des lettres dont les contenus sont ponctués de demandes régulières d’argent, en échange de quelques servitudes littéraires et de quelques inédits, dont la correspondance privée reproduite dans cet ouvrage. On peut, en revanche, être surpris par la déférence du jeune homme envers André Gide, déférence qui n’a d’égale que celle dont il témoigna envers Maurice Barrès, lorsqu’on connaît la façon dont le romancier-poète éreintera plus tard l’auteur de Paludes dans La Mise à mort (1965) et les Entretiens avec Dominique Arban (1968). En ce qui concerne Cocteau, on admettra qu’Aragon, qui l’estimait suffisamment, au moment où il écrivait Anicet ou le panorama, roman (1921), pour l’utiliser comme un de ses personnages (« Ange miracle ») aux côtés de Picasso et Breton, aura préféré rejoindre le chorus anti-Cocteau de ses amis surréalistes et de son plus grand ami d’alors, André Breton. La jeunesse d’Aragon a ceci de semblable à la jeunesse en général qu’elle supporte mal les contradictions et les situations mal tranchées.
Hervé Bismuth, octobre 2000.