Biographie sommaire d’Elsa Triolet

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ELSA TRIOLET (1896-1970) D’après les éléments biographiques de M-T Eychart (Annales de FEI, n°1)

Née à Moscou le 12 septembre 1896 et issue d’une famille juive, Ella Iourevna Kagan apprend (outre le piano) le français dès l’âge de six ans. Elle grandit dans un contexte aisé et cultivé et découvre très tôt, avec sa soeur Lili, à travers de nombreux voyages, les grandes capitales d’Europe. En 1913, Ella, qui a commencé à tenir régulièrement un journal intime et vient d’achever de brillantes études au Lycée, rencontre le jeune poète Maïakovski qu’elle présentera plus tard à sa soeur. En 1915, elle commence des études d’architecture et fréquente de nombreux intellectuels russes comme Khlebnikov, Pasternak et Chklovski. Ella participe à des réunions littéraires, aux fêtes futuristes et correspond régulièrement avec le couple formé par sa soeur et Maïakovski. A la veille de la Révolution, en 1916, des difficultés financières surviennent et Ella doit travailler en usine, tout en continuant à suivre ses études d’architecture. En 1917, alors qu’éclatent les troubles révolutionnaires, la jeune étudiante rencontre André Triolet, officier français en mission. Ils décident de rejoindre la France dès qu’Ella aura fini ses études. Le diplôme brillamment acquis, elle quitte la Russie avec sa mère (son père est mort en 1915) sur un paquebot qui les emmèrera, au terme d’un voyage pénible, à Londres où les attend André Triolet. Le mariage a lieu le 20 août 1919 à Paris. Très vite, cette même année, ils doivent partir (en octobre) pour Tahiti où ils envisagent d’acheter une plantation. Mais leurs relations bientôt se dégradent et Ella reçoit une proposition de mariage de Roman Jakobson. En 1921, l’année où Aragon publie Anicet ou le panorama, roman, Elsa séjourne en France, dans un état psychologique proche de la dépression et finit par se séparer d’ André Triolet. Elle part pour Londres où elle retrouve sa mère et est engagée chez un architecte. Septembre 1922 la trouve à Berlin où elle loue un petit meublé et se lie d’amitié avec Ilya Erhenbourg, se lie un instant avec Jakobson et reçoit les lettres enflammées de Chklovski. Informé du talent d’écriture de la jeune femme par ce dernier, Gorki en personne encouragera Ella à écrire et continuera de lui donner des conseils par la suite. De fait, la première publication d’Elsa Triolet est celle de ce quelques lettres échangées avec Chklovski qu’il utilise dans Zoo, Lettres qui ne parlent pas d’amour ou La Troisième Héloïse (Berlin, 1923). De retour à Paris, Elsa fréquente le milieu artistique et littéraire (Ehrenbourg, Pozner, Kodhassévitch, Delaunay) et sert d’interprète à Maïakovski alors qu’Aragon publie, le 31 mars 1924 Le Libertinage chez Gallimard. Elsa écrit A Tahiti, Fraise des bois (en russe), ce dernier rencontrant un succès mitigé en URSS mais la consacrant comme jeune écrivain. En 1928, elle publie Camouflage (octobre, Editions Fédération à Moscou).

Après des liaisons de courte durée (Marc Chadourne, Marcel Duchamp), Elsa rencontre Aragon à La Coupole ( 6 novembre 1928 à cinq heures) et ne le quittera plus. Après un voyage important en Belgique, Aragon et Elsa s’installent 5, rue Campagne Première à Paris, période à laquelle ils ont des rapport constants avec les surréalistes, alors qu’Elsa Triolet fabrique des colliers et qu’Aragon tente de les vendre aux grands couturiers et bijoutiers. Après le suicide de Maïakovski (avril 1930), le couple part retrouver Lili Brik, la soeur d’Elsa, à Moscou. Elsa fait inviter Aragon et Sadoul au Congrès de Karkhov où la France n’était pas représentée. Cette participation et ses suites entraîneront la rupture d’Aragon avec les surréalistes. A la mi-juin 1932, le couple s’installe à Moscou et vit avec peu de moyens à l’hôtel Lux. En août, voyage dans l’Oural. En février, parution en extraits de Colliers d’Elsa Triolet (en russe).En décembre 1934, parution aux Editions d’Etat de Voyage au bout de la nuit (1933 en France), traduit par Elsa. Elle traduit également Mon Paris d’Ehrenbourg, fait des reportages et débute dans le journalisme de mode. Elle accompagne Aragon dans tous ses déplacements en URSS, notamment lors du Congrès des Ecrivains soviétiques ( 17 août-1er novembre) lors duquel, Aragon et Elsa sont reçus par Gorki. Dès cette époque, Elsa et Aragon deviennent des médiateurs de la poésie et de la littérature soviétique en France. 1936, Elsa traduit Les Cloches de Bâle en russe. Le couple se déplace ensuite en Espagne. Aragon fait engager Elsa à Ce Soir (pages « Mode »), dont il vient de prendre la co-direction avec Jean-Richard Bloch. C’est l’époque où Elsa commence à écrire ses romans en français. 1938: publication de la traduction en russe des Beaux Quartiers d’Aragon (1936). Elle traduit, avec Aragon, les poètes russes. 27 octobre 1938, Bonsoir, Thérèse. L’éclatement de la seconde guerre mondiale et la défaite française de juin 1940 contraint le couple à se déplacer vers le sud de la France (Nice où se trouvent également de nombreux auteurs et artistes comme Henri Matisse) puis dans la Drôme (Saint-Donat) où ils se cachent sous le nom de Monsieur et Madame Andrieux. C’est une période de réclusion, de persécution (Elsa Triolet est recherchée parce qu’elle est juive), de combat, mais aussi d’écriture: Mille Regrets en 1941 à Alger, chroniques publiées dans la revue Poésie 42, Le Cheval blanc en 1942 (qui paraîtra en 1943 chez Denoël), alors qu’Aragon commence Aurélien, fondation du journal clandestin Les Etoiles, publication des Amants d’Avignon en 1943, création du journal La Drôme en armes (1944). La Libération couronne Le Premier accroc coûte deux cents francs, prix Goncourt décerné en 1945 au titre de l’année 1944. En 1946, Elsa Triolet travaille pour le compte des Lettres Françaises et couvre le Procès de Nuremberg: son reportage sera publié sous le titre « La Valse des juges ». Très active au sein du Comité National des Ecrivains, dont elle incarne l’esprit, Elsa Triolet enchaîne par ailleurs les voyages en Europe Centrale. En 1948, elle se lance dans « La bataille du livre » et obtient la création d’un Comité du Livre qui sera placé sous la présidence de Georges Duhamel. Elle publiera en octobre L’Ecrivain et le livre ou la suite dans les idées, recueil de ses articles et conférences de l’année 1947. Elle devient la secrétaire générale du CNE à la fin du mois d’octobre 1948. Tandis qu’Aragon publie les premiers tomes des Communistes, Elsa, qui publie régulièrement dans les Lettres françaises des articles de critique théâtrale, continue de se battre pour la survie du livre et prête une grande attention aux jeunes poètes inconnus: 1950 verra la naissance du « Groupe des jeunes poètes » au sein du CNE. L’aisance financière aidant, Elsa achète le Moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult en Yvelines. Elle poursuit ses travaux de traduction (Le Portrait de Gogol, en 1952 ). La même année, après le succès de la grande Vente annuelle des Livres du CNE et dans le prolongement de son engagement pour la Paix, Elsa lance l’idée d’un Comité Mondial des écrivains pour la résistance à la guerre et défend activement les époux Rosenberg. Elle subit évidemment comme Aragon la douloureuse affaire du portrait de Staline (Picasso) publié en première page des Lettres Françaises après la mort du « Petit Père des Peuples », le 5 mars 1953. Quelques mois plus tard, elle publie Le Cheval roux ou les intentions humaines et poursuit sa traduction de l’oeuvre théâtrale de Tchekhov et publie dans des revues littéraires soviétiques des articles sur Jean Vilar et Jean-Louis Barrault. 1956, c’est aussi l’année de la publication du Rendez-vous des étrangers chez Gallimard. Un an plus tard, c’est Le Monument. 1959, Roses à Crédit (L’âge de Nylon I), Luna-Park (L’âge de Nylon II). En 1961, Elsa Triolet subit une intervention chirurgicale qui la laissera très affaiblie. 1962, Manigances, journal d’une égoïste et défend bientôt Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne dans Les Lettres françaises. 1963: L’âme, troisième volet de L’Age de Nylon et début des travaux sur Les Oeuvres Romanesques Croisées. En 1965, juste avant qu’Aragon ne publie La Mise à mort, Elsa Triolet fait paraître Le Grand Jamais chez Gallimard. En 1966, diffusion d’Elsa, la rose d’Agnès Varda. Un an plus tard, nouvel hommage dans une émission de télévision où le couple est invité. Les événements de Mai 1968 la trouvent en plein combat pour la « vérité historique » et la paix au Viet-Nam. Publication la même année d’Ecoutez-voir chez Gallimard. EN 1969, elle soutient Sakharov et se bat pour qu’on n’exclue pas Soljenitsine de l’Union des Ecrivains Soviétiques. Parution de La Mise en mots chez Skira. Janvier 1970, publication de Le Rossignol se tait à l’aube et dernier article dans Les Lettres françaises en février. Le 16 juin, Elsa, qui a décidé de cesser de souffrir, meurt d’une crise cardiaque au Moulin de Saint-Arnoult. Son cercueil sera exposé dans le hall de L’Humanité puis déposé dans le tombeau du Moulin de Villeneuve.

Luc Vigier

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