Biographie sommaire de Louis Aragon (1897-1982)

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Fils illégitime d’une liaison entre Marguerite Toucas et un homme politique célèbre, Louis Andrieux, Louis Aragon naît le 3 octobre 1897, à Paris. Le poids des codes de la morale bourgeoise interdit que Marguerite annonce publiquement la naissance de cet enfant qui est tout d’abord expédié en Bretagne chez une nourrice. Il ne reviendra vers sa mère qu’un an et demi plus tard, sans pour autant retrouver un statut officiel. D’enfant caché, il deviendra l’enfant masqué, au prix d’un jeu sur les apparences, et d’une forme complexe de fiction familiale: pour sauver les apparences, sa mère se fait en effet passer pour sa sœur et sa grand-mère pour sa mère adoptive tandis que ses tantes deviennent ses sœurs et que son père devient un vague parrain qui ne lui apprendra la vérité de sa naissance qu’avant son départ pour le front.Louis Andrieux ne veut pas que son fils meure sans savoir d’où il vient. Enfant précoce, il compose dès l’âge de six ans, dans l’atmosphère confinée d’une pension de famille où apparaissent de belles étrangères, de petits romans inspirés de Zola qu’il dicte à ses « sœurs » et dont il a publié plus tard l’un des volumes. Après une brillante scolarité ( il maîtrise en sixième le programme littéraire du baccalauréat) pendant laquelle il dévore tous les livres qu’il trouve, à commencer par Dickens (écrivain anglais), Tolstoï et Gorki (écrivains russes), il assiste à l’éclatement de la Première guerre mondiale. Il échappe, de 1914 à 1916, à plusieurs vagues de départ pour le front et commence des études de médecine en 1915 tout en fréquentant assidûment la librairie d’Adrienne Monnier grâce à laquelle il découvre Lautréamont, Apollinaire, Mallarmé, Rimbaud…Cela ne l’empêche pas de lire Barbusse, dont Le Feu (1916) fait sur lui une très forte impression. Il est incorporé en 1917 et rencontre par hasard André Breton à l’hôpital du Val-de-Grâce où ils veillent tous les deux sur les grands traumatisés psychologiques revenus du front. L’étude des délires des soldats, pris en note par Breton, n’est pas étrangère aux expérimentations scripturales ultérieures des surréalistes (écriture automatique, cadavre exquis). Ce n’est qu’en 1918 qu’Aragon part pour les Hauts-de-Meuse. Trois fois enseveli sous les bombes,au point qu’on le croit mort et qu’il retrouve une tombe à son nom, Aragon survit cependant au conflit et se consacre avec une énergie décuplée à l’écriture, sous toutes ses formes: poétique avec Feu de Joie (1920), romanesque avec Anicet ou le Panorama, roman ( 1921). Il participe également à la création d’un mouvement artistique d’avant-garde ( qu’on appellera le Dadaïsme) puis, à partir de 1924 à la naissance du Surréalisme qu’il sera le premier à théoriser avec Une vague de rêve ( 1924). Dès lors, sa dimension d’écrivain et de poète ne va cesser de s’accroître, notamment avec Le Paysan de Paris (1926) qui est un des sommets de la prose surréaliste de l’époque. Inscrit au Parti Communiste dès 1927, comme beaucoup de surréalistes ( Breton, Eluard), Aragon se sépare peu à peu de ses amis qui refusent de se soumettre à la volonté d’un quelconque groupe et s’engage corps et âme dans la lutte politique. Il rencontre en 1928 un jeune écrivain russe, Elsa Triolet, dont il ne se séparera plus. Il devient simple journaliste à L’Humanité et entame une nouvelle carrière de romancier avec Les Cloches de Bâle (1934) qui raconte l’évolution de plusieurs personnages bourgeois (et notamment des femmes) vers le communisme. Sur le modèle de Balzac et de Zola, Aragon entame alors un grand cycle romanesque qu’il appelle Le Monde réel avec Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de l’Impériale (1939, récemment adapté pour le cinéma), Aurélien (1944), et enfin Les Communistes (1949-1951) qu’il réécrira entièrement en 1966-67. Mais la « drôle de guerre » et surtout la défaite de juin 40, feront réapparaître une autre facette de l’écrivain, celle du poète, dont la production, à partir de Crève-cœur (1939) marquera toute la période de la Résistance française avec, notamment, Les Yeux d’Elsa (1942), Brocéliande (1942), Le Musée Grévin (1943) et La Diane Française (1944). Après la Libération, Aragon, célébré et puissant, poursuit son engagement politique et soutient sans ambiguité et sans doute en connaissance de cause les dérives staliniennes du communisme. Après la mort de Staline (1953) et le rapport Krouchtchev (1956) qui dénonce les atrocités commises sous le régime précédent, Aragon traverse une véritable crise qui le mènera au bord du suicide et dont il ne sort qu’en se livrant entièrement à la direction d’un grand hebdomadaire littéraire, Les Lettres françaises. Deux grandes œuvres naîtront cependant de cette crise: Le roman inachevé (1956) , autobiographie poétique immédiatement saluée comme un chef-d’œuvre par toute la critique et La Semaine Sainte (1958) gigantesque reconstitution mi-historique mi-romanesque d’un des derniers épisodes de la carrière napoléonienne. A partir de ce double succès, la production poétique et romanesque d’Aragon ne va cesser de s’amplifier, en marge des modes du Nouveau Roman: avec Les poètes (1960), Le Fou d’Elsa (1963), La Mise à mort ( 1965), Blanche ou l’oubli (1967), Les Communistes (seconde version) Henri Matisse, roman (1970), prodigieux roman où écriture et peinture se croisent et se rejoignent. et enfin Théâtre/roman (1971). Après la mort d’Elsa Triolet (1970), il poursuit comme il le peut ses activités politiques auprès de l’union de la gauche ( il sera décoré par F. Mitterrand) et survit en changeant radicalement de style de vie et en affichant dans les médias ses relations homosexuelles, notamment avec Jean Ristat, lui-même écrivain et poète qui lui fermera les yeux le 24 décembre 1982.

Luc Vigier

Voir le site de W. Babilas pour davantage de précisions sur certaines périodes.

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L. V.

Luc Vigier, maître de conférences à l'Université de Poitiers