Dits d'Aragon (1)
Recueillir ici et là quelques citations ou maximes parlantes de l'œuvre - si vaste et si diverse - d'Aragon, peut paraître entreprise dérisoire, et même dangereuse. Le risque serait de survoler et de clicher chaque ouvrage en quelques phrases. Ce risque est présent certes, mais il est aussi intéressant - par un choix qui sera personnel - de laisser un chemin parsemé de cailloux aux lecteurs, sur le siècle, ce siècle d'Aragon qui aura vu tant d'horreurs et d'espoirs, ses espoirs déçus n'ayant pas annihilé une générosité, un dévouement total pour la défense de la culture et un courage dans l'action.
Aragon aura été admiré par les uns, mais le plus souvent il fût l'un des auteurs français qui aura, plus de 30 ans après sa mort, suscité le plus d'acharnement et de haines littéraires et politiques.
Cet ensemble de citations aura pour seule ambition de faire lire ou relire l'œuvre d'Aragon et tentera de montrer les constantes qui existent depuis les premiers poèmes de Feu de joie jusqu'aux photographies légendées de la fin de sa vie.
Il sera procédé chronologiquement afin de suivre son cheminement poétique ou romanesque.
On se rapportera pour chacun des ouvrages ci-dessous à la bibliographie intégrée au site des amis d'Aragon et à l'édition des œuvres poétiques et romanesques dans la bibliothèque de La Pléiade.
Du Dadaïsme au Surréalisme (1920-1926)
1920. Feu de joie
Premier livre édité d'Aragon, les poèmes de cette petite plaquette ont été publié dans plusieurs revues en 1918 et 1919. On y trouve un Aragon déjà étincelant. (voir notice et notes d'Olivier Barbarant dans OP I La Pléiade)
"Le monde à bas je le bâtis plus beau"
(in Secousse, OP I p 8 La Pléiade);
"Je file au ras des rets et m'évade du rêve
"La Nature se plie et sait ce que je vaux"
(in Eclairage à perte de vue, OP I p 9);
"Vie ô paisible automobile
"et le joyeux péril de courir au-devant
Je brûlerai du feu des phares"
(in Parti-pris, OP I p 9);
"Mon corps n'en finit plus sous les rides des draps"
(in Statue, OP I p11).
1921. Anicet ou le Panorama, roman
Anicet ou le Panorama est le premier roman d'Aragon, l'auteur y ajoutera lors des rééditions successives le nom spécifique de roman. En effet, André Breton et une partie du groupe surréaliste considérait le roman en tant qu'expression littéraire comme une ''chose damnable''. Anicet est une tentative presque unique de roman dadaïste s'inspirant de l'écriture automatique, du début du cinéma (Musidora). C'est également un roman à clés par la foule de personnages littéraires et des milieux artistiques qui y sont introduits. (voir notice et notes de Daniel Bougnoux dans La Pléiade I)
''Anicet n'avait retenu de ses études secondaires que la règle de trois unités, la relativité du temps et de l'espace; là se bornaient ses connaissances de l'art et de la vie.''
(OR I ch 1 p13 La Pléiade);
"Tout prenait un sens érotique et tout devenait autel pour la religion de l'amour"
(OR I CH 1 P19 et 20);
"Cette époque-ci n'est point à la révolte, elle sourit facilement des incartades, mais ne pense pas détenir la vérité. Voici pourquoi, en bon fils de mon siècle, je conforme mes actes et mes œuvres à une loi, probablement sans fondement, mais qui revêt à mes yeux le prestige d'être tombée en désuétude, de sembler intolérable à autrui, et de ne me peser guère à moi qui ne crois ni au temps ni au lieu, ni à l'action"
(OR I ch 2 p26);
"Nous portons masque surtout dans la crainte qu'on nous juge sur la face et non point d'après l'esprit."
(OR I ch 3 p 51);
"Ainsi quand une fois on s'est laissé aller sans réfléchir à certaines pensées, celles-ci revêtent l'apparence de vérités établies, lesquelles il faut combattre plus longtemps pour les chasser que les certitudes patentes, toujours à la merci de l'imagination."
(OR I ch 3 p 53);
"L'histoire des récentes écoles littéraires nous a appris à nous défier des étiquettes. Les classiques n'avaient pas de nom et nous sommes les classiques de demain."
(OR I ch 3 p 54);
"Ne pas avoir d'argent empêche de fréquenter ceux qui en possèdent. Aussi les gens riches ne voient-ils que leurs semblables, et il n'y a pas de quoi les envier."..." Je n'ai pas besoin de tous les luxes des hommes, j'ai assez d'imagination pour y suppléer et je ne peux pas sentir les œuvres d'art, ni les livres."...
"La richesse dans l'art s'appelle mauvais goût. Un poème n'est pas une devanture de bijouterie, les créateurs sont ceux qui forment la beauté de matériaux sans valeur." ...."L'abondance nuit. Surtout évitez la description, fastidieuse et trop aisée, richesse de mauvais aloi. Il y a bien longtemps que nous savons tous les arbres verts. Tuez la description."
(OR I ch 4 p 61,62 et 63. Portrait et allusion à Max Jacob);
"Il n'y a pas de duperie à consentir à la sottise qui nous guette, si on conserve le soin de l'ignorer."
(OR I ch 5 p 71);
"Notre nudité mentale révolte aussi les spectateurs et si nous écrivons, nous nous écrivons. La poésie est un scandale comme un autre."
(OR I ch 5 p 75);
"Baptiste Ajamais pouvait longtemps passer pour celui de qui l'on pense: "Cette tête ne m'est pas inconnue". Les piétons du boulevard Saint-Michel qui le voyaient quotidiennement descendre vers les midi avec un livre ou un ami ne l'eussent jamais imaginé membre d'une société secrète. Cependant l'acier de son regard, sa lèvre hautaine, contribuaient à le trahir personnage plus complexe que ne le décelait une allure paisible et certaine gaucherie des mains, assez paysannes pour ne pas trop déplaire aux filles."
(OR I Ch 6 p 80. Portrait d'André Breton);
"Ils se sentaient voisins par les cent détails qui distinguent une génération des précédentes. Leurs mœurs, leurs sensibilités, leurs goûts étaient contemporains....Comme ils trouvaient, par les boulevards, le plein air à Paris même, ils n'éprouvaient aucun besoin d'aller à la campagne." " Dans l'avenue de l'Observatoire il y a un banc comme tous les autres, mais qui sait bien s'offrir quand on a couru tout l'après-midi malgré la chaleur, droit devant soi, sans but, avec l'apparence d'un homme prssé qui n'ignore pas où il va. Baptiste n'existe qu'en plein soleil."
(OR I ch 6 p82. Relations Aragon-Breton)
"De quelque côté que je me tourne, je ne trouve que le désert. En attendant mieux, il y a les oasis. A la fin on se lasse des enthousismes partiels, par ci, par là, entre deux accablements à n'en plus finir. Le plus simple, si on en avait le courage, ce serait de se tuer."
(OR I ch 7 p 95)
"Que vais-je devenir si l'amour ne vaut pas la peine de vivre, maintenant que tous les autres vases se sont brisés dans mes mains"...
"Il y a des parfums qu'on ne sent que dans le hall des hôtels de passage."
(OR I ch 8 p 106 et 107)
"Cela devait commencer par un article sur la peinture moderne, et puis il y avait au programme un costume collant noir comme ceux qu'on voit au cinéma, et des revolvers confortables, et des cordes à nœuds qui pendent dans la nuit."
(OR I ch 8 p 107 et 108. Allusion au personnage de Musidora dans le film Les Vampires)
"Mais observe tout au moins qu'à une époque où l'on peut, sans déchaîner de tempêtes, nier Dieu, la Patrie, le Foyer, on se ferait arracher les yeux si l'on déclarait que l'art n'existe pas. L'Art, le Beau sont les dernières divinités des hommes."
(OR I ch 8 p 110)
"Une tresse de cheveux pend de la nuit décoiffée."
(OR I ch 9 p114)
"Je connais deux moyens d'écarter une femme d'un homme, c'est de tuer l'homme ou de le ruiner. Le second est assez cruel."
(OR I ch 11 p 132. Paroles de Baptiste Ajamais)
"Un grand silence rend l'âme heureuse."
(OR I ch 12 p 138)
" Nous rangeons nos souvenirs dans une armoire où l'on met aussi les nuages. Ils deviennent tous rapidement gris et les faits les plus insignifiants prennent à nos yeux autant d'importance que ces choses mêmes qui bouleversaient notre cœur."
(OR I ch 13 p 151)
"Sur le trottoir la fille de la fruitière saute à la corde avec une rare distinction, mais mes parents m'interdisent de lui parler."
(OR I ch 13 p 151-152. Souvenir d'enfance d'Aragon)
"Les femmes ne sont très belles qu'autant que les hommes le veulent bien."
(OR I ch 14 p 153. Parole de Baptiste Ajamais)
"Le suicide serait un séduisant voyage de noce si l'on était sûr qu'il y eût un esclavage après lui. La plus belle invention poétique des hommes, c'est l'enfer."
(OR I ch 14 p 155. Idem Ajamais)
"Garçon, une fine et de quoi écrire!"
(OR I ch 14 p 159. Phrase qui sera reprise dans le Roman inachevé)
1922. Les Aventures de Télémaque
Ce récit 'Les aventures de Télémaque a été versé par Aragon dans l'œuvre poétique en 15 volumes. Ce court roman encore dadaïste a été réintégré dans les œuvres romanesques complètes dans la bibliothèque de La Pléiade. La genèse de ce bref volume couvre la période de la démobilisation d'Aragon en 1919, peu après l'armistice, à 1921. Avec Les aventures de Télémaque Aragon reprend en pleine période dadaïste le titre de l'ouvrage de Fénelon.
"Télémaque, retrouverez-vous un jour votre père, si vous vous laissez émouvoir par la finesse d'une étoffe? Une laine n'est pas plus belle qu'une autre, une laine n'est pas plus laine qu'une autre: les erreurs ne résident que dans nos jugements."
(OR I, Livre I p189)
"Nous admirons à proportion de notre stupidité, nous chérissons dans la mesure de notre ignorance. Les pavots des paroles endorment les cœurs neufs."
(OR I, Livre I p190)
"Le siècle dernier, la jeunesse, le progrès, l'âge mûr, nos aïeux, la modération, l'espoir: autant de mots incompréhensibles qui secouent comme des pruniers les barbes majestueuses des augures".
(OR I, livre I p 192)
"On n'échappe à une illusion qu'au moyen d'une autre; si l'on s'est cru perdu, on ne s'aperçoit de son erreur que pour se croire sauvé".
(OR I, livre I p193)
"Le contact de deux chairs côte à côte, du talon à l'aisselle, amène des frissons qui secouent la nature comme des passages d'oiseaux nocturnes".
(OR I, livre II p 195)
"Tout ce qui n'est pas moi est incompréhensible.... Tout ce qui est moi est incompréhensible"
(OR I, livre II p 196)
"Le bonheur du jour est un bonheur sans mélange"
(OR I livre II p 199)
"Cassez les idées sacrées, tout ce qui fait monter les larmes aux yeux, cassez, cassez, je vous livre pour rien cet opium plus puissant que toutes les drogues: cassez."
(OR I, livre II p 201)
"Le premier D de mon système était le doute, le second d sera la foi."
(OR I livre II p 201)
"Araignées du temps, nous marchons sur ses fils et nous nions le vide. Nos idées-mouches bourdonnent plus fort que le vent"
(OR I livre III p 205)
"Ma vie est dans le sillage de quelqu'un"
(OR I livre IV p 216)
1923. Paris la nuit / les plaisirs de la capitale
Ce conte de 1922 dédié à Robert Desnos est paru à 250 exemplaires dans une édition berlinoise sans date d'édition (copyright Louis Aragon 1923) (voir bibliographie du site). Ce texte très court préfigure déjà Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont du Paysan de Paris. Paris la nuit sera intégré dans Le Libertinage de 1924.
"Depuis qu'on a inventé le cinéma, les nuits vous croiriez une comédie; ça prend des airs de grand jour passé au bleu, et il y en a du monde."
(OR I p 390)
"Il y a des plaisirs qui passent pour des crimes, c'est que communément on n'y a pas goûté."
(OR I p 391)
" Il n'y a pas un corps qui ne me porte à l'amour."
(OR I p 396)
"Il n'y a pourtant pas de crime à caresser les grains d'un chapelet"
(OR I p 398)
"Une grande vérité éclate avec le bruit du tonnerre; c'est la fonte des neiges, mes enfants, tous les moyens sont bons à la satisfaction immédiate des corps."
(OR I p 399)
"Un miroir, un miroir! Mon âme pour un miroir! Les soleils et les nuits fondent dans mes prunelles."
(OR I p 399)
1924. Le Libertinage
Ce recueil de contes paraît le 31 mars 1924 dans la N.R.F (voir bibliographie du site). Un de ceux-ci Paris la nuit ou les plaisirs de la capitale avait fait l'objet d'une parution à Berlin l'année précédente (voir supra). Le texte qui inaugure ce recueil Quelle âme divine est daté de 1903-1904 par l'auteur (Aragon est alors âgé de 6 ou 7 ans). Il est dédié à Marguerite, la mère d'Aragon. C'est là qu'en principe tout a commencé; c'est le texte manuscrit le plus ancien de l'auteur qui soit conservé.
L'entièreté du recueil est dédié à son ami Pierre Drieu la Rochelle; chaque conte est relié à un auteur différent (voir la notice et les notes de Daniel Bougnoux dans La Pléiade I).
Par ses fulgurances, ce volume annonce Une vague de rêve, le manifeste aragonien, qui paraît peu de temps avant le manifeste du surréalisme de Breton.
L'édition originale du Libertinage intégrait une Préface à l'édition de 1924. Aragon va remplacer en 1964 cette préface par une autre lors de la parution du Libertinage dans les ORC.
"En France tout finit par des fleurs de rhétorique. On choisissait en moi le moins insolite, et j'allais plaire à ceux-là mêmes qui n'auraient pu parler cinq minutes avec moi sans colère."
(Préface à l'édition de 1924 OR I p 270)
"Il paraît que je suis, tout le monde l'assure, la séduction en personne. C'est bien possible. Je n'ai jamais rien fait pour cela."
(idem OR I p 271)
"Il n'y a pour moi pas une idée que l'amour n'éclipse."
(idem OR I p 271)
"Nous sommes toujours en lutte contre une corporation plus grande que la coterie à laquelle nous appartenons."
(idem OR I p 272)
" L'esprit de la Révolution française, voilà ce qu'on poursuit aujourd'hui, ce qu'on traque partout. Je suis irréductiblement un homme de gauche, et si cette expression vous prête à rire, vous n'êtes qu'un pitre."
(idem OR I p 276)
"Dans les écoles de l'Etat comme dans celles des diverses sectes qui mettent les enfants dans des potiches intellectuelles pour en faire des magots soumis à leurs vices on enseigne le respect et le culte de tout ce qui s'est fabriqué de plus bas et de plus inhumain: Horace, Virgile, Montaigne, Corneille, Molière, Descartes, Spinoza, Tennyson, Schiller, Voltaire, Napoléon, Flaubert, Balzac, l'Auguste Comte et la Chèvre de M. Seguin!"
(idem OR I p 277)
"Les religions n'ont presque rien en pareille détestation que le scandale."
(idem OR I p278)
"Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l'ai cherché pour lui-même."
(idem OR I p 278)
"La parole n'a pas été donnée à l'homme: il l'a prise"
(idem OR I p 280)
"Ecrire rappelle les détournements de mineurs: il n'y a pas une idée qui soit à maturité au moment qu'on la fixe. Par le signe magique de l'encre, je limite ma pensée dans ses conséquences."
(idem OR i P 280)
"Que toute démarche de mon esprit soit un pas, et non une trace."
(idem OR I p 281)
"J'ai cherché, j'en conviens, comme d'autres dans l'opium, dans de petites histoires que j'inventais, l'illusion d'une puissance infinie sur le monde."
(idem OR I p 281)
"Je suis et je resterai contre les partisans de la sottise et ceux de l'intelligence, du parti du mystère et de l'injustifiable".
(idem OR I p 283)
in Madame à sa tour monte(A André Breton)
"Le style n'est qu'un procédé commode de s'en remettre à autrui pour juger de la beauté d'un meuble."
(OR I p 299)
in Lorsque tout est fini (A Matthew Josephson)
"Aisément, ce dont nous convenions au cours d'une discussion, tournait au dogme."
(OR I p 307)
"Nous apprîmes à mépriser les longues vies heureuses que nous avions jusqu'alors enviées, et une nuit nous fîmes le procès de toutes les jouissances humaines."
(OR I p 307)
"Il n'y a que les excès qui méritent notre enthousiasme, et s'ils ne nous rapportent que la haine, sans doute est-ce qu'ils nous vaudront tôt ou tard un amour plus durable."
(OR I p 309)
"Rien au monde ne m'était cher comme mes compagnons de danger et nos idées communes; pas même ma propre existence. Il est peut-être bon de le rappeler."
(OR I p 311)
"Un beau jour, je compris que je nourrissais en moi ce démon: le besoin de trahir."
(OR I p 311)
in Les Paramètres (A Georges Limbour)
"Les fontaines, et les bouches de fard s'éteignent dans un benjoin de brunes."
(OR I p 319)
in L'Extra (A Isidore Ducasse)
"Le mousse Adolphe a fini par aimer son maître et c'est à lui qu'il pense en se lavant les dents."
(OR I p 331)
"Les genêts fleuriront tant qu'il y aura des amoureux dans le monde."
(OR I p 332)
in Au pied du mur (A Clotilde Vail)
"Je suis un homme seul qui traverse le décor."
(OR I P358)
in Le Grand Tore (A Benjamin Péret)
"Les bordels laissent couler vers le port une chevelure d'hommes apaisés, des gens sans nom et sans désir."
(OR I p 404)
in La Femme française (A Max Morise)
"Si je te confiais ce que je rumine parfois devant les miroirs."
(OR I p 410)
"J'ai la vulgarité en horreur."
(ORI p 417)
"Le fait est que j'aime rudement, homme ou femme, toucher le corps qu'un rêve de l'amour déjà possède."
(OR I p 422)
"Le charme d'une femme, on ne sait de quoi c'est fait."
(OR I p 429)
1924. Une vague de rêves
Ecrit très rapidement en juin 1924, Une vague de rêves paraît en octobre dans le second n° de la revue Commerce, sans nom d'éditeur que la mention Hors commerce, quelques semaines avant la parution du manifeste du surréalisme d'André Breton. (voir bibliographie du site). Il est indispensable de se référer pour la compréhension de ce texte à la belle et intéressante notice de Marie-Thérèse Eychart. (O.P. I La Pléiade p1215 à 1225). Une réédition d'Une vague de rêves est parue en 2006 chez Seghers collection Poésie d'abord.
"Il m'arrive de perdre soudain tout le fil de ma vie: je me demande, assis dans quelque coin de l'univers, près d'un café fumant et noir, devant des morceaux polis de métal, au milieu des allées et venues de grandes femmes douces, par quel chemin de la folie j'échoue enfin sous cette arche, ce qu'est au vrai ce pont qu'ils ont nommé le ciel."
(incipit d'Une vague de rêves. O.P. I La Pléiade p 83)
"..les bossus de la pensée ne craignent point que les passants viennent frôler par superstition leur malformité porte-chance"
(O.P. I p 84)
(Breton et Soupault) "Ce qui les frappe, c'est un pouvoir qu'ils ne se connaissent pas, une aisance incomparable, une libération de l'esprit, une production d'images sans précédent, et le ton surnaturel de leurs écrits."
(O.P.I p 85)
"La surréalité, rapport dans lequel l'esprit englobe les notions, est l'horizon commun des religions, des magies, de la poésie, du rêve, de la folie, des ivresses et de la chétive vie, ce chèvrefeuille tremblant que vous croyez suffire à nous peupler le ciel."
(O.P. I p 88)
"Comment suivre une idée? ses chemins sont pleins de farandoles."
(O.P.I p 88)
"Une épidémie de sommeil s'abattit sur les surréalistes. Un grand nombre d'entre eux, suivant avec une exactitude variable le protocole inventé, se découvrirent une faculté semblable, ..., ils parlent, sans conscience, comme des noyés en plein air."
(O.P. I p 89)
"Simuler une chose, est-ce autre chose que la penser? Et ce qui est pensé est. Vous ne me ferez pas sortir de là."
(O.P. I p 90)
"la liberté commence là où naît le merveilleux"
(O.P. I p 90)
"Rêves, rêves, rêves, tout n'est que rêve où le vent erre, et les chiens aboyeurs sortent sur les chemins."
(O.P. I p 91)
"Il y a une lumière surréaliste: celle qui à l'heure où les villes s'enflamment tombe sur l'étalage saumon des bas de soie;...il y a une lumière surréaliste dans les yeux de toutes les femmes."
(O.P.I p 92)
"A ses cheveux frisés on a longtemps reconnu Philippe Soupault, qui parlait aux rempailleurs de chaises, qui riait d'une façon bouleversante vers midi."
(O.P.I p 94)
"Mais c'est l'ombre, mais c'est le silence que nous poursuivons de toute éternité, mais c'est ce grand échec qui se perpétue."
(O.P.I p 96)
"Il arrive qu'aux murs du cachot le reclus taille une inscription qui fait sur la pierre un bruit d'aile."
(O.P.I p 96)
"Je rêve sur le bord du monde et de la nuit."
(O.P.I p 96)
"Qui est là? Ah très bien: faites entrer l'infini."
(O.P.I P 97)
1926. Le Mouvement perpétuel.
Ce recueil, publié en février 1926, (voir bibliographie du site) est composé de deux parties, une appelée "Le Mouvement perpétuel" et qui donne son titre au recueil et une seconde "Les destinées" de la poésie". L'ensemble regroupe des poèmes des périodes dadaïstes et surréalistes publiés pour la plupart en revues de 1919 à 1924. Quelques uns de ces poèmes ont été écrits en 1925 ou au début de 1926. Aragon a dessiné la maquette de l'édition originale. (voir la notice et les notes d'Olivier Barbarant. La Pléiade O.P.1 p 1226 à 1248.)
"Mon corps je t'appelle du nom que les bouches ont perdu depuis la création du monde
Mon corps mon corps c'est une danse rouge c'est un mausolée un tir aux pigeons un geyser
Plus jamais je ne tirerai ce jeune homme des bras des forêts"
(in "Sommeil de plomb" (O.P.1 p104)
"Les fruits à la saveur de sable
Les oiseaux qui n'ont pas de nom
Les chevaux peints comme un pennon
Et l'Amour nu mais incassable"
(in "Un air embaumé" O.P.1 p 104)
"D'innombrables sauterelles sortent de ma bouche et se répandent sur les céréales Mes paroles de coton-poudre je les enflamme dans les oreilles des hommes sans méfiance"
(in "LOUIS" O.P.1 p 106)
"Sous les grands rideaux blancs ornés de cruauté
Nous perdons lentement nos visages de plâtre"
(in "Le ciel brûle" O.P.1 p 119)
"Pourquoi sans cesse écrire
Ecrire c'est une prison"
(in "Aux prunes" O.P.1 p 127)
"Vous pouvez toujours me crier Fixe
Capitaines de l'habitude et de la nuit
Je m'échappe indéfiniment sous le chapeau de l'infini
Qu'on ne m'attende jamais à mes rendez-vous illusoires"
(in "Les débuts du fugitif" O.P.1 p 129)
"L'un regarde le présent
L'autre a des souvenirs dans les oreilles
L'un s'envole et l'autre meurt
La nuit s'ouvre et montre ses jambes"
(in "Poème de cape et d'épée" O.P.1 p)
1926. Le Paysan de Paris.
Publiée chez Gallimard en juillet 1926 (voir bibliographie du site), cette œuvre inclassable a été versée par Aragon lui-même dans son Œuvre Poétique (1975). Elle comprend une "Préface à une mythologie moderne", une première partie (écrite en 1924) "Le Passage de l'Opéra", une seconde partie (parue en prépublication de mars à juin 1925) "Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont", enfin la dernière partie "Le songe du Paysan" est une collection d'aphorismes.
Œuvre inclassable, elle l'est car elle ne se rattache ni au Roman ni au genre poétique proprement dits, le Paysan de Paris est à la fois l'un et l'autre et beaucoup plus car il dépasse le cadre de ces deux genres, c'est également une longue promenade descriptive et parallèlement un ouvrage touchant aux philosophies. Œuvre complexe certes, mais enthousiasmante, elle est considérée comme un des livres majeurs de l'auteur et de tout le XXe siècle.
"L'erreur s'accompagne de certitude. L'erreur s'impose par l'évidence. Et tout ce qui se dit de la vérité, qu'on le dise de l'erreur: on ne se trompera pas d'avantage. Il n'y aurait pas d'erreur sans le sentiment même de l'évidence. Sans lui on ne s'arrêterait jamais à l'erreur."
(in "Préface à une mythologie moderne" O.P. 1 p 146)
"En vain la raison me dénonce la dictature de la sensualité. En vain elle me met en garde contre l'erreur, que voici reine. Entrez, madame, ceci est mon corps, ceci est votre trône. Je flatte mon délire comme un joli cheval. Fausse dualité de l'homme, laisse-moi un peu rêver à ton mensonge."
(in "Préface à une mythologie moderne" O.P. 1 p 147)
"La lumière ne se comprend que par l'ombre, et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires mêlés qui peuplent notre vie, qui lui donnent la saveur et l'enivrement."
(in "Préface à une mythologie moderne" O.P. 1 p 148)
"Chaque jour se modifie le sentiment moderne de l'existence....Aurai-je longtemps le sentiment du merveilleux quotidien?"
(in "Préface à une mythologie moderne" O.P. 1 p 149)
"On n'adore plus aujourd'hui les dieux sur les hauteurs."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P. 1 p 151)
"Il est assez agréable d'habiter dans une maison de passe, pour la liberté qui y règne et qu'on s'y sent moins épié que dans un garni ordinaire."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P. 1 p 153-154)
"...les hommes n'ont trouvé qu'un terme de comparaison à ce qui est blond: comme les blés, et l'on a cru tout dire. Les blés, malheureux, mais n'avez -vous jamais regardé les fougères? J'ai mordu tout un an des cheveux de fougère."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P. 1 p 171)
"Le vice appelé Surréalisme est l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l'image pour elle-même et pour ce qu'elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses: car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l'Univers."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P. 1 p 190)
"La toilette, ses détails infinis, j'en ai toujours chéri le spectacle."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P. 1 p 196)
"Je fais l'apologie de tous les penchants des hommes, et par exemple l'apologie du goût de l'éphémère."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P.1 p 209)
"Le monde moderne est celui qui épouse mes manières d'être."
(in "Le Passage de l'Opéra" O.P.1 p 225)
"Il y avait des objets usuels qui, à n'en pas douter, participaient pour moi du mystère, me plongeaient dans le mystère."
(in "Le Sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont" O.P.1 p 227)
"La clarté me vint enfin que j'avais le vertige du moderne. Ce mot fond dans la bouche au moment qu'elle le forme."
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P. 1 p 227)
"Si je parcours les campagnes, je ne vois que des oratoires déserts, des calvaires renversés." .. "Ô Texaco motor oil, Eco, Shell, grandes inscriptions du potentiel humain! bientôt nous nous signerons devant vos fontaines, et les plus jeunes d'entre nous périront d'avoir considéré leurs nymphes dans le naphte."
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 229-230)
"Tout le bizarre de l'homme, et ce qu'il y a en lui de vagabond, et d'égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllabes: jardin."
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 231)
"J'avais été frappé à plusieurs reprises de diverses étrangetés dans le train de la vie des hommes. Qu'ils reproduisent sur des toiles ce que leur regards peuvent saisir, et particulièrement la mer, les montagnes, les rivières."
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 233)
"L'ennui regarde passer les gens dans la rue."
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 238)
"Le sang de la nuit moderne est une lumière chantante."..."Elle pend comme un fruit au littoral terrestre, comme un quartier de bœuf au poing d'or des cité".
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P.1 p 247)
"...l'homme a toujours lié ses représentations divines à l'image du corps humain."
(in le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 256)
"Les fusillades! Voilà cinquante années que j'attends les fusillades."
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P.1 p 257)
"Un système est un dictionnaire, et pas un mot n'en est banni."
(in "Le Sentiment de la nature... " O.P.1 p 267)
"Femme,...tu es le mur et sa trouée. Tu es l'horizon et la présence. L'échelle et les barreaux de fer. L'éclipse totale. La lumière."
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P.1 p 269)
"Voici que je ne suis plus qu'une goutte de pluie sur sa peau, la rosée."
(in Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 269)
"La femme est dans le feu, dans le fort, dans le faible, la femme est dans le fond des flots, dans la fuite des feuilles, dans la feinte solaire où comme un voyageur sans guide et sans cheval j'égare ma fatigue en une féerie sans fin."
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P.1 p 270)
"Il est temps d'instaurer la religion de l'amour"
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 275)
"Echelles, je vous tire mon chapeau. En effet. Mon chapeau est imaginaire. Mais le pont, lui, est suspendu. Suspendu à vos lèvres, Mesdames. On n'est pas plus galant. On n'est pas plus galant qu'un pont suspendu."
(in "Le Sentiment de la nature.." O.P.1 p 277)
"Et l'homme ne fut plus qu'un signe entre les constellations."
(in "Le Sentiment de la nature..." O.P.1 p 283)
"L'idée de Dieu, au moins ce qui l'introduit dans la dialectique, n'est que le signe de la paresse de l'esprit."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 285)
"Il n'y a pas de repos pour Sisyphe, mais sa pierre ne retombe pas, elle monte, et ne doit cesser de monter."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 288)
"Il y a dans mon emportement avec les femmes une certaine hauteur, qui tient à plusieurs regrets que j'ai, à ce que j'ai longtemps cru qu'une femme, au mieux pouvait me haïr, à ce sentiment horrible de l'échec qui me porte toujours aux confins d'une ombre mortelle."
(in "Le songe du Paysan" O.P.1 p 289)
"L'esprit métaphysique pour moi renaissait de l'amour. L'amour était sa source, et je ne veux plus sortir de cette forêt enchantée."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 290-291)
"l'image est la voie de toute connaissance."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 292)
"C'est à la poésie que tend l'homme"
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 293)
"Je n'admets pas la critique. Ce n'est pas à la critique que j'ai donné mes jours. Mes jours sont à la poésie."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 293)
"Je n'admets pas qu'on reprenne mes paroles, qu'on me les oppose."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 293)
"De divers espoirs que j'ai eus, le plus tenace était le désespoir."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 294)
"Il n'y a d'amour que du concret."
(in "Le songe du Paysan" O.P.1 p 295)
"Dieu est rarement dans ma bouche."
(in "Le songe du Paysan" O.P. 1 p 295)
"Poussez à sa limite extrême l'idée de destruction des personnes, et dépassez-la."
(excipit du "Songe du Paysan" O.P. 1 p 295)
Fin de la première partie des Dits d'Aragon
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