De la Russie comme d’une littérature-monde
« De la Russie comme d’une littérature-monde »: cette partie comporte quatre contributions.
Francesca Maniaci, dans « L’« Outre-France » d’Elsa Triolet et la préfiguration d’une littérature-voyageuse : À Tahiti et le Rendez-Vous des Étrangers ». Le rapprochement de ces deux romans permet de montrer une romancière voyageuse, sensible à une nature qui lui est étrangère, et surtout curieuse de la coexistence des colons et des autochtones, dont les mœurs et les langues retiennent son attention tout comme à Paris le cosmopolite et polyglotte quartier Montparnasse de l’entre-deux-guerres. L’écrivaine, se jouant des frontières, ouvre ainsi l’horizon à une « Outre-France » plurilingue et pluriculturelle.
Dans « Fraise des bois, une révolution romanesque », Marianne Delranc Gaudric montre le caractère novateur de ce texte de jeunesse qui participe au renouvellement du genre romanesque dans la lignée des formalistes russes « par ses procédés de montage, de collage, d’étrangéïsation » et par le thème de l’enfance ou celui de la ville moderne qui a fleuri dans les années vingt. Elle précise aussi, par l’étude des manuscrits, la position d’Elsa Triolet à l’égard de la révolution russe à l’époque où elle écrit ce livre.
Nadezhda Washington, dans son article « Les Trois sœurs d’Elsa Triolet, traduire le silence », rappelle qu’Elsa Triolet fut la traductrice d’Anton Tchekhov ; elle évoque l’originalité des traductions de Triolet – faisant toujours autorité dans l’édition de la Pléiade – et les problèmes théoriques soulevés par la traductrice, notamment la difficulté de traduire les silences tchekhoviens dans la pièce Les Trois sœurs.
Dans « Elsa Triolet s’auto-traduit. Le parcours poïétique à rebours », Santa Vanessa Cavallari a recours à deux manuscrits: en russe de На Тайти — difficile à déchiffrer — et en français de À Tahiti. Elle aborde l’auto-traduction du russe vers le français comme une « phase poïétique intermédiaire ». Son étude linguistique, littéraire et biographique dévoile dans le cheminement de la création l’importance de ces interstices poïetiques dont les racines plongent dans les avant-textes de l’œuvre. Elle montre l’importance du « translinguisme » qui irrigue l’écriture d’Elsa Triolet et traduit le « résultat d’un vécu dans un espace transculturel ».