Léon Robel, par Marianne Delranc Gaudric

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Léon Robel fut mon directeur de thèse, un directeur non pas directif, mais attentif, soucieux de l’exactitude des traductions, de la fidélité aux textes originaux, même s’ils avaient déjà été traduits en français, comme ceux des formalistes russes traduits par Tzvetan Todorov par exemple. Il était expert en l’art de déchiffrer les passages manuscrits dont l’écriture se laissait difficilement décrypter. Je pense à un fragment d’un récit d’Elsa Triolet où il était question (en russe) du « krach d’Oustric » (le krach de la Banque Oustric), mots que j’avais du mal à identifier, étant plongée dans l’atmosphère russe, alors qu’il s’agissait d’un événement bien français !

C’est Léon Robel qui a réalisé la première identification et le premier classement des manuscrits d’Elsa Triolet. C’est aussi lui qui a mis en évidence ce qu’Aragon devait à la culture russe, à Pouchkine par exemple, ou à Maïakovski.

Ses cours de DEA sur les théories littéraires du XXème siècle dans différents pays étaient d’une érudition remarquable. Nous avons passé en revue les théories du tout début du siècle, l’école formaliste, les théories de Bakhtine, du Cercle de Prague, de Lotman, le développement du structuralisme en Tchécoslovaquie, les théoriciens polonais, les théories de Lukacs … C’était un feu d’artifice !
Son amitié avec le poète tchouvache Aïgui était telle, qu’il m’avait demandé, lorsque je suis allée à Moscou pour une mission CNRS qu’il avait organisée, d’apporter à Aïgui des ampoules électriques, parce que l’on en manquait là-bas…

Lorsqu’il a entrepris et mené à bien le vaste travail de traduction de la correspondance entre Elsa Triolet et sa sœur Lili Brik, il a réuni une petite équipe de traducteurs et de traductrices dont le doyen était Jean Pérus, qui fut son maître (et avec lequel il n’était pas toujours d’accord, d’ailleurs, ce qui donnait lieu à des discussions intéressantes). L’ensemble des lettres fut partagé entre toutes et tous et Léon Robel nous réunissait régulièrement, notamment pour harmoniser les traductions de sorte que la façon de s’exprimer des deux sœurs soit homogène ; je me souviens que nous avions discuté par exemple des formules terminant les lettres. Nous avons ensuite perpétué notre amitié en nous retrouvant chaque année pour un « repas russe », toujours très bon, très gai, où nous passions en revue « le monde comme il va » ; Léon avait toujours une formule exacte et malicieuse pour ponctuer nos conversations.

En Léon Robel nous perdons un savant, un érudit, un grand connaisseur d’Aragon et d’Elsa Triolet, un fin traducteur et poète.

Marianne Delranc Gaudric