Le Monde réel et Les Beaux Quartiers en particulier fourmillent de personnages pas même secondaires, silhouettes fugitivement croisées par les protagonistes qui jouent le même rôle que ceux que l’on nomme au cinéma les figurants. Dessinant une toile de fond évoquant la société dans laquelle évoluent les personnages principaux, ils sont l’un des gages du réalisme romanesque. Leur présence, parfois vertigineuse, assume pourtant une autre fonction, à la fois romanesque et politique. C’est ce que cet article se propose de montrer à travers l’exemple de la lettre déchirée par une passante anonyme qu’Edmond Barbentane s’amuse à reconstituer et qu’Aragon écrit avoir réellement trouvée par hasard. Cette lettre devient alors le symbole d’un roman qui s’ouvre à tous les vents, prêt à bifurquer pour suivre une silhouette à peine entraperçue, mais aussi du surgissement du peuple sur la scène romanesque : ce sont les figurants, ces « autres » que l’on ne fait que croiser, qui incarnent cette entité presque insaisissable, transfigurant le roman en une scène elle aussi ouverte à tous, celle de l’espace démocratique par excellence.
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