Wolfgang Babilas, par Suzanne Ravis, juin 2016

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Hommage au professeur Babilas

Le Professeur Babilas nous a quittés le 4 juin(2016 dans sa quatre-vingt-septième année. Les « aragoniens » les plus anciens repassent aujourd’hui dans leur mémoire leur rencontre avec ce grand professeur allemand passionné d’Aragon. Il fut pour nous un chercheur et un ami que nous avons eu l’occasion de connaître lors de nombreux colloques : à Grenoble en 1975, sur le Surréalisme ; à la décade de Cérisy-la-Salle en 1978, « Le Mouvement Aragon » ; à Aix en Provence en 1987, « La Semaine sainte » et en 1991 « Aragon 1956 » ; à Grenade, en 1994, Le Fou d’Elsa ; à Paris 7, en 1997, « Lire Aragon »… Il avait accueilli à Münster des chercheurs français non moins passionnés, leur avait montré des documents rares dans sa bibliothèque (Michel Apel-Muller m’en parlait ; j’ai eu aussi l’occasion de les voir après un séminaire)… Wolfgang Babilas et son épouse Lydia nous contaient l’accueil généreux que leur avait réservé Aragon dans son appartement de Paris à partir de 1971. Après la mort d’Aragon, ils avaient visité le Moulin de Saint-Arnoult et son grand parc aux côtés de Michel Apel-Muller.

Rien n’avait préparé un jeune allemand de Haute-Silésie, peu de temps après la guerre, à connaître un semblable parcours. Wolfgang Babilas a livré tardivement, sur son site « Louis Aragon Online », un bref récit : « [quelques mots sur https://www.uni-muenster.de/LouisAragon/autor/babilas.htm#je »>lui]-même ». Il avait quinze ans quand son père est mort à la guerre en mars 1945, quelques jours avant « l’invasion de l’Armée Rouge ». Leur maison incendiée, sa mère et ses quatre enfants durent se réfugier en Basse-Silésie, d’où la population allemande fut expulsée en 1946 vers l’Ouest de l’Allemagne. Le jeune homme poursuivit ses études à Münster au Lycée, puis à l’Université à partir de 1950.

La formation universitaire de Wolfgang Babilas semble avoir été diversifiée et ouverte. Elle comprenait les philologies romane et germanique, la philosophie, les littératures française et allemande, la théorie du cinéma. Son goût l’orienta surtout vers la littérature française, avec une préférence pour la poésie. Une bourse du Gouvernement français lui facilita un séjour en France ; il fréquenta la Sorbonne dans l’année scolaire 1953-1954. Loin de toute politique, sans hostilité au sortir de la guerre, il s’enthousiasma pour Aragon, poète de la Résistance et communiste connu. Il s’intéressa dès lors à l’œuvre inépuisable de cet écrivain. En 1953, il vit de près, au Vel’ d’Hiv’, des artistes et écrivains de renom ; Aragon très entouré dédicaça pour l’étudiant trois de ses livres.

Le sujet de thèse que lui proposa son professeur allemand lui convint parfaitement : « L’image de la France dans la poésie française contemporaine ». L’étude de la thèse se concentra sur le texte de Claudel « Personnalité de la France », en 1957. L’orientation de sa recherche était très actuelle : « C’est ainsi que je me penchai sur la poésie de la Résistance, donc sur Aragon ». Lorsque, en avril 2007, dans le site de l’équipe ERITA la question fut lancée de demander à chacun quel avait été « [son] premier poème d’Aragon, Wolfgang Babilas répondit sans hésiter : « “Mes” premiers poèmes d’Aragon sont à l’origine d’un enthousiasme qui ne devait plus me quitter, que j’essayai de transmettre à mes étudiants ». Il cite « Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle » (Le Musée Grévin) et « Les lilas et les roses » (Le Crève-cœur). Tout au long de sa carrière d’enseignant-chercheur, devenu Maître de conférences puis Professeur et Directeur de l’Institut de philologie romane, il eut à cœur de transmettre aux étudiants ce qu’il avait aimé de fondamental dans la littérature française : « L’œuvre d’Aragon était devenue l’un des centres de ma recherche et de mon enseignement » (Faites entrer L’infini, n° 36, décembre 2003).

Le premier contact de W. Babilas avec l’œuvre d’Aragon avait retenu surtout la beauté du « chant », ses sonorités, ses rythmes ; il ressentait aussi l’élévation de ces poèmes. En 1965, il n’hésita pas à présenter à son jury d’habilitation, en allemand, une étude sur Le Fou d’Elsa, récemment publié (mis en vente à partir de la fin novembre 1963). Le titre de son sujet, Le Fou d’ElsaUne réflexion sur l’avenir et l’amour, supposait une compréhension très réfléchie d’une œuvre complexe et de lecture difficile pour les Français eux-mêmes. Son exposé d’adieu, lors de son départ à la retraite en 1994, eut pour thème Dieu dans Le Fou d’Elsa. Saisi par la beauté et la force des poèmes, W. Babilas était sensible aussi à une certaine résonance religieuse présente dans de nombreux textes d’Aragon depuis la guerre. Sa culture théologique lui permettait d’en analyser, sans s’imposer, les images et interprétations possibles.

Les connaissances étendues du professeur Babilas s’accompagnaient d’un grand souci de méthode, de logique, parfois systématique dans la présentation des catégories à distinguer. Un autre aspect de son rapport aux textes d’Aragon, vers ou prose, était l’observation de leurs sources ; les poèmes de contrebande de la Résistance s’y prêtaient, ou les romans des années soixante très riches en allusions intertextuelles.

La reconnaissance de la France pour le professeur Babilas s’exprima en 1994 par sa nomination d’ « Officier dans l’ordre des Palmes académiques », puis au titre d’un Grand Prix de l’Académie pour l’année 2003 lui fut décernée « la Médaille de vermeil du rayonnement de la langue et la littérature françaises ». Madame Babilas fut également distinguée pour ses traductions. Ces distinctions se justifiaient, car les rapports entre le couple Babilas et Aragon, qui connaissait bien l’allemand, créaient entre eux une relation qui dépassait les différences politiques. Aragon, rappelle W. Babilas, « considérait son œuvre, répandue et lue dans les deux Allemagne, comme une sorte de lien avec les deux Etats. Aussi aimait-il nous répéter en quelle estime il tenait la culture allemande » (Faites entrer l’infini n° 36, p 63).
Le Professeur Babilas eut la douleur de perdre sa femme Lydia le 25 octobre 2007. Avec un grand courage, il entreprit et réalisa de 1997 à 2013 un site Internet remarquable entièrement bilingue, « Louis Aragon on line », mis à jour quotidiennement et que tout internaute pouvait interroger.

Les chercheurs français ont maintes fois côtoyé cet enseignant généreux qui associait la rigueur germanique à une sensibilité profonde. En 1991, le professeur Babilas accepta sans hésiter de participer à Paris III au jury de ma thèse d’Etat. J’eus à cœur plus tard de rendre compte en 2003, sur le site de l’ERITA, de son ouvrage quasi testamentaire rassemblant en deux gros volumes publiés en 2002 ses Etudes sur Louis Aragon, Nodus Publicationen, Münster. La dédicace qu’il m’adressa était « Ces Etudes sur Louis Aragon, témoignage d’une longue passion ».

Suzanne Ravis-Françon, 22 juin 2016.

Pour visiter le site de Wolfgang Babilas, cliquer ici : Louis Aragon On Line

Faire-part du décès de W. Babilas

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