Aragon, trente ans après (Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet n° 15, 2014)

Publié par C. G. le

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Du nouveau sur Aragon ? un nécessaire défi !
Y a-t-il à dire encore sur Aragon, après 2012, qui a vu commémorer le trentenaire de la mort de l’auteur par de multiples publications, ouvrages et articles, sur papier et en ligne, expositions et spectacles ?
Ce volume, consacré à « Aragon, trente ans après », fait le pari que oui. Car, au-delà de quelques utiles articles de synthèse prolongeant l’année commémorative, il explore pour l’essentiel des aspects méconnus ou peu traités de l’œuvre aragonienne comme de l’homme : sa réception, à l’international (Japon et Congo), et dans le champ scolaire (école, collège, lycée) voire universitaire (pour le cas de l’enseignement du français langue étrangère), la façon dont l’auteur investit dans son écriture ses activités de traducteur, de journaliste ou d’éditeur, de nouvelles pistes intertextuelles (Maurice Barrès, Arthur Rimbaud, le peintre André Masson), mais aussi une facette inattendue de l’enfant qu’il fut, grâce à une correspondance et un témoignage inédits.
Alors pour paraphraser Aragon lui-même, il est urgent de « commencer par [nous] lire » …

Du nouveau sur Aragon ? un nécessaire défi !
Y a-t-il à dire encore sur Aragon, après 2012, qui a vu commémorer le trentenaire de la mort de l’auteur par de multiples publications, ouvrages et articles, sur papier et en ligne, expositions et spectacles ?
Ce volume, consacré à « Aragon, trente ans après », fait le pari que oui. Car, au-delà de quelques utiles articles de synthèse prolongeant l’année commémorative, il explore pour l’essentiel des aspects méconnus ou peu traités de l’œuvre aragonienne comme de l’homme : sa réception, à l’international (Japon et Congo), et dans le champ scolaire (école, collège, lycée) voire universitaire (pour le cas de l’enseignement du français langue étrangère), la façon dont l’auteur investit dans son écriture ses activités de traducteur, de journaliste ou d’éditeur, de nouvelles pistes intertextuelles (Maurice Barrès, Arthur Rimbaud, le peintre André Masson), mais aussi une facette inattendue de l’enfant qu’il fut, grâce à une correspondance et un témoignage inédits.
Alors pour paraphraser Aragon lui-même, il est urgent de « commencer par [nous] lire » …

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Table

Patricia Principalli, Corinne Grenouillet, Erwan Caulet
Écrit au seuil : Aragon, trente ans après

Réception internationale

Michel de Boissieu, Une lecture de La Semaine sainte au Japon

Béatrice N’guessan-Larroux, Croisements romanesques : Aragon au Congo

Aragon dans le champ scolaire

Patricia Principalli, Aragon dans les manuels de l’école et du collège : un auteur « classique » ?

Josette Pintueles, Aragon dans les manuels scolaires des lycées aujourd’hui

Marjolaine Vallin, Aragon dans les manuels de Français langue étrangère

Aragon, polyvalent et polygraphe

Johanne Le Ray, Aragon et le l’expérience de l’étranger : la traduction comme laboratoire de la création

Marie-Cécile Bouju, Aragon, éditeur

Florian Mahot-Boudias, “Front rouge”, les tracts et L’Humanité : hypothèses sur la genèse d’un poème détesté

Aragon et l’Histoire
Reynald Lahanque, Oublier Barrès, oublier l’Indonésie

Mireille Hilsum, Aragon, un écrivain du siècle passé ?

Marie-France Boireau, Aragon, romancier penseur de l’histoire

Maryse Vassevière, Les paradoxes d’Aragon

Daniel Bougnoux, Vérité d’Aragon

Intertextes
Adrien Cavallaro, Aragon et le système rimbaldien
Alain Trouvé, Cantate à André Masson : ultime variation sur l’art et la totalité

Résumés par ordre alphabétique d’auteurs


Hervé Bismuth et Agnès Alexandre-Collier, « Aragon et Robert Alexandre »

Robert Alexandre appartenait, avec Jacques Tréfouël ou Pierre Maison, à la bande des amis de jeunesse d’Aragon. Le témoignage tardif (1981) de Robert Alexandre, enfin publié, offre le regard d’un proche d’Aragon sur les années de lycée et l’après-guerre : sa vie de lycée, ses relations avec sa « sœur » et son « parrain », ses passions littéraires et artistiques, ses fidélités en amitié. Ce témoignage est accompagné de trois lettres écrites depuis son cantonnement par Aragon à Robert Alexandre (entre novembre 1918 et février 1919).

Marie-France Boireau, « Aragon, romancier penseur de l’histoire »

Selon Aragon, le roman est « un langage qui ne dit pas seulement ce qu’il dit mais autre chose encore, au-delà ». Cet « au-delà » nous a paru digne d’investigation d’où l’hypothèse que s’y trouve suggérée une pensée de l’Histoire complexe en raison même de la poétique du genre romanesque.
En utilisant les outils de l’analyse littéraire et ceux des historiens (« horizon d’attente », « champ d’expérience », « régime d’historicité »), nous cherchons à démontrer qu’Aragon, dans ses romans, fait l’expérience de sa pensée, suggérant qu’il existe dans l’Histoire une part d’obscur, d’inintelligible. Par ailleurs, écrivant le roman de la classe ouvrière, il découvre sa propre historicité et le roman historique devient roman à la première personne.

Michel de Boissieu, « Une lecture de La Semaine sainte au Japon »

Le critique littéraire japonais Inada Sankichi consacre un chapitre de ses Recherches sur Aragon à l’analyse de La Semaine sainte. Il y traite surtout de quatre thèmes : le rôle de l’imagination dans la conception d’un roman historique, le caractère autobiographique du récit, le personnage de Géricault et l’évolution psychologique qui le conduit à prendre sa décision finale, les rapports entre le passé et l’avenir ainsi que les leçons transmises par une génération aux suivantes. Ces thèmes rappellent tous de célèbres controverses littéraires ou politiques du Japon moderne et contemporain. Si elle ne renouvelle pas l’interprétation de La Semaine sainte, l’étude d’Inada a donc le mérite de rendre ce roman français familier au public japonais.

Daniel Bougnoux, « Vérité d’Aragon »

Dans toute son œuvre, Aragon se sera durement expliqué avec les historiens, confrères avec lesquels il rivalise, en tentant de leur inculquer par l’exercice du roman comme de la poésie une conception plus exigeante de la vérité. Ses derniers romans, ceux qui relèvent notamment de la période que nous proposons d’appeler métalinguistique, compliquent en permanence une vérité de l’énoncé par celle de l’énonciation : « linguiste », le romancier s’intéresse aux rapports de la pensée avec les différentes langues, aux méandres de la mémoire, du désir et d’une subjectivité qui ne fut jamais très sûre d’elle-même. La vérité, pas seulement historique, figerait une parole qu’il s’agit pour lui de continuellement relancer.

Marie-Cécile Bouju, « Aragon, éditeur »

En prenant la tête des éditions clandestines la Bibliothèque française en 1943, Aragon devient officiellement et pour la première fois un éditeur. Cette carrière se poursuit avec les Éditeurs français réunis, maison d’édition littéraire du PCF, jusqu’à leur disparition en 1981. Cette chronologie masque cependant une évolution complexe, qu’il convient d’analyser. Les relations d’Aragon avec la fabrique éditoriale – du choix des textes à la vente en librairie – commencent dès ses débuts littéraires et se développent pendant les années trente, démontrant qu’il sait utiliser revues et maisons d’édition, lieux clé de la vie intellectuelle et littéraire. Par la suite, à la tête de la Bibliothèque française puis des EFR, Aragon tente, avec des résultats très inégaux, de défendre à la fois des positions esthétiques personnelles et d’assumer ses responsabilités politiques. À partir de la fin des années 1950, il se consacre à la défense d’auteurs français et étrangers, aux EFR mais aussi ailleurs, en particulier chez Gallimard où il est devenu directeur de collection, sans pourtant parvenir à occuper une place centrale.

Adrien Cavallaro, « Aragon et le système rimbaldien »

Une lecture diachronique de l’œuvre d’Aragon occulte couramment la place effective qu’y occupe la référence rimbaldienne. Si celle-ci se fait certes moins fréquente à partir de la fin des années 1920, son originalité reste à apprécier. Une formule d’« Alchimie du verbe » en particulier a frappé Aragon : « je tiens le système ». Reprise dans des textes très divers, de prose critique, théorique ou fictionnelle, elle est investie d’un rôle de support poétique et réflexif, essentiellement durant les années surréalistes. C’est à travers elle qu’Aragon, indissociablement, analyse l’art de Rimbaud, et questionne, en acte, la possibilité d’une reconduction de son expérience poétique. L’analyse d’une transposition formelle, dans Les Aventures de Télémaque, et d’une transposition éthique, dans Une vague de rêves, du « système » lu par Aragon, donneront un aperçu de l’étendue des pratiques de réécriture rimbaldienne dans l’œuvre des premières années.

Mireille Hilsum, « Aragon, un écrivain du siècle passé ? »

Le « court XXe siècle » des historiens commence en 1914 et s’achève en 1989 avec la chute du Mur de Berlin ou en 1991 avec l’effondrement de l’URSS moins d’une décennie après la mort d’Aragon. Le XXe est, pour eux comme pour Aragon, le siècle des utopies et de leur effondrement, c’est ce que l’article analyse dans un premier temps. Mais la conscience de cet effondrement ne fait pas d’Aragon un précurseur de la « postmodernité » ni de cette « littérature du scrupule » qui marque la fin d’une conception de la littérature avec laquelle rompt la génération des années 80. L’article analyse, dans un second temps, ce qui distingue l’œuvre dernière d’Aragon de celles des générations suivantes, auxquelles il ne cesse pourtant de s’adresser.

Reynald Lahanque, « Oublier Barrès, oublier l’Indonésie »

Le deuxième chapitre de la dernière partie de Blanche ou l’oubli, « Tout l’orge de l’avenir », propose une longue méditation sur la conviction et le doute, qui se cristallise in fine dans un commentaire d’extraits de Gréco ou le secret de Tolède : Barrès voit dans le tableau représentant le martyre de saint Maurice et de ses compagnons une preuve de la précellence du réalisme en art, en même temps qu’il tire de la scène représentée une manière de leçon politique, celle de la beauté du sacrifice collectif obtenu grâce à la sagesse et à l’éloquence du « chef Maurice ». Passant des martyrs chrétiens d’autrefois aux communistes indonésiens du temps présent, victimes d’un effroyable massacre de masse, Aragon ne peut s’en tenir à la leçon de Barrès, même s’il veut croire encore que le martyre nourrit l’espérance. C’est qu’il en vient à s’interroger sur le bien-fondé de certains choix politiques opérés par ses camarades de combat, dans la lointaine Asie, mais aussi en France même. Les chefs peuvent s’être gravement trompés, « il ne suffit pas d’avoir raison pour avoir raison ». Le traitement du motif indonésien n’échappe pas à la tension douloureuse entre la mémoire et l’oubli qui structure tout le roman. Aragon se souvient à nouveau de Barrès, mais c’est pour en contester la vision. Au fil de l’actualité, il capte les traces confuses et parcellaires d’un massacre dont il pressent, à juste titre, qu’il sera oublié. Mais s’il en livre à jamais la mémoire à ses lecteurs, c’est en s’arrêtant au seuil de la vérité même que son roman fait affleurer, celle de l’abîme creusé entre le peuple et ceux qui croient pouvoir parler en son nom. En ce sens, se souvenir ne semble pas séparable d’oublier.

Josette Pintueles, « Aragon dans les manuels scolaires des lycées aujourd’hui »

Est-ce qu’on donne aux lycéens d’aujourd’hui Aragon à lire et à étudier ? Et quel Aragon ? L’observation d’un corpus de manuels récents, constitué en fonction de l’évolution des programmes et des épreuves de l’enseignement du Français – essentiellement entre 2000 et en 2012 –, de certaines ressources numériques, ainsi que des annales du baccalauréat, permet d’y mesurer la place très modeste et l’image souvent simplifiée à outrance, stéréotypée, parfois même erronée, de cet auteur et de son œuvre. Si les exigences liées à l’enseignement littéraire au lycée – programmes, horaires impartis et méthodes préconisées – expliquent partiellement un appauvrissement au fil du temps, en quantité et en variété, des extraits proposés aux élèves, d’autres critères implicites, d’ordre idéologique, pèsent sur l’étude de l’œuvre d’Aragon. La méfiance ambivalente qu’il éprouvait envers les scoliastes et l’histoire littéraire telle qu’on l’enseigne s’en trouverait justifiée. La recherche universitaire demeure donc essentielle pour la transmission de l’œuvre : non seulement les publications qui en résultent, les programmes universitaires et la formation des professeurs, concepteurs des manuels et utilisateurs, mais aussi la nécessaire critique des manuels scolaires, ces outils institutionnels qui participent à la définition des canons littéraires et à la classicisation des auteurs.

Johanne Le Ray, « Aragon et l’expérience de l’étranger : la traduction comme laboratoire de la création »

La production de traducteur d’Aragon, certes épisodique, éclectique et d’un volume global relativement modeste, est un aspect encore méconnu de son travail. Or, on est loin d’avoir évalué la fécondité de cette pratique dans ses interactions souterraines avec l’œuvre. Expérience de l’étranger répondant à une éthique du décentrement, la traduction aura été pour Aragon l’occasion d’une défamiliarisation dont le bénéfice poétique semble évident. On peut ainsi observer concrètement comment l’activité de traducteur travaille l’écriture de l’auteur, la confrontation avec les langues étrangères lui ayant vraisemblablement permis de mettre en crise une conception normative du français tout en lui fournissant les bases d’une expérimentation créatrice propice à une réinvention de soi dans la langue maternelle.

Florian Mahot-Boudias, « “Front rouge”, les tracts et L’Humanité : hypothèses sur la genèse d’un poème détesté »

Au-delà de la traditionnelle lecture biographique et historique de « Front rouge », poème d’Aragon écrit en 1930 et conduisant à la rupture entre l’auteur et André Breton, cet article propose une lecture poétique et des hypothèses génétiques sur ce texte « détesté » par son auteur et par la critique. « Front rouge » est d’abord un poème hybride, mêlant l’héritage surréaliste, l’influence de Maïakovski et les lectures d’Aragon dans le moment d’une intense et violente politisation de son activité littéraire. Il témoigne aussi de la lecture par l’auteur de L’Humanité et plus généralement des publications d’agitation communistes, comme les tracts. Dans le sillage des études récentes sur les liens entre presse et littérature, l’article construit une comparaison entre ces types d’écrit et la lettre du poème.

Béatrice N’guessan-Larroux, « Croisements romanesques : Aragon au Congo »

L’étude entend démontrer le lien singulier qui existe entre Aragon et l’auteur congolais Henri Lopes. On part d’une rencontre littéraire en ces années cinquante annonciatrices des futures décolonisations africaines pour montrer comment, à ses débuts, l’auteur de La Nouvelle romance met à profit le réalisme socialiste tel qu’il est représenté à travers les trois figures féminines des Cloches de Bâle. Mais ce réalisme semble tourner court, confronté qu’il est aux questions tribales du Congo et à l’échec des indépendances. L’apparente similitude du roman familial des deux auteurs offre une porte de sortie à Henri Lopes. Dans plusieurs de ses textes, le métis des colonies, toujours de « père inconnu », retrouve alors une dignité littéraire. Le « mentir-vrai » permet de déployer toutes sortes de discours sur le métissage dont celui qui le constitue à la fois comme être d’enracinement et d’universalité.

Patricia Principalli, « Aragon dans les manuels de l’école et du collège : un auteur “classique” ? »

Sont considérés comme classiques les auteurs et les textes qui font l’objet d’un consensus à la fois dans le champ littéraire et dans le champ scolaire. De multiples indices montrent qu’Aragon est aujourd’hui unanimement reconnu dans le champ littéraire. Cet article se propose d’observer, en analysant des corpus de manuels de l’école élémentaire et du collège, si Aragon fait l’objet de ce processus de « classicisation » du côté scolaire, et à quelles conditions. On verra ainsi que, trente ans après sa mort, l’image d’Aragon s’esquisse discrètement à l’école primaire comme celle d’un jeune surréaliste qui joue avec la langue, alors qu’au collège se construit très fermement l’image du poète de l’amour et de la Résistance, que ce double filtre sélectif constitue aujourd’hui comme classique.

Alain Trouvé, « Cantate à André Masson : ultime variation sur l’art et la totalité »

La Cantate à André Masson, qui fut d’abord écrite pour illustrer un livre de lithographies du peintre, prend une dimension nouvelle comme dernier grand poème de L’Œuvre poétique. L’échange spécial entre langages verbal et pictural n’est qu’un des aspects de cet hommage, ressuscitant aussi les souvenirs du surréalisme et de la guerre. Grâce à cet ami avec qui il partage le goût des histoires, Aragon s’arrache au deuil accablant d’Elsa et réinvestit les dix grands mythes amoureux illustrés par Masson. Toute son aventure érotique, poétique et politique se rejoue sur un mode mineur mais non désespéré dans une écriture multiforme, composant une ultime variante de l’art total, rétrospective et prospective.

Marjolaine Vallin, « Aragon dans les manuels de Français langue étrangère »

L’article recense les textes d’Aragon cités dans les manuels de français langue étrangère (FLE) depuis les années 1980 jusqu’en 2012 et tente d’expliquer les raisons de la rareté de cette présence : d’une part la littérature est la parent pauvre des approches dites communicative et actionnelle qui règnent aujourd’hui en didactique du FLE, d’autre part le choix des manuels se porte surtout sur des écrivains vivants, des extraits de romans policiers ou adaptés au cinéma, des pièces de théâtre. L’article analyse les choix effectués (poèmes de résistance puis d’amour) et les absences manifestes (celle de la prose narrative par exemple) pour dégager la vision très consensuelle d’Aragon qui est donnée aux apprenants étrangers.

Maryse Vassevière, « Les paradoxes d’Aragon »

Cet article voudrait examiner la dimension paradoxale de la continuité de l’œuvre d’un romancier-journaliste confronté à la double exigence du surplomb de la réalité par le roman et de la fidélité à la fournaise de l’événement. Ces paradoxes s’enracinent dans trois couples antinomiques (écrire/vivre, réalisme/surréalisme et roman/journal) auxquels l’écrivain a été confronté et que, contrairement à la doxa, il a voulu réconcilier. Ils sont à l’origine de bien des mauvaises lectures de l’œuvre d’Aragon et ils témoignent de l’hétérogénéité fondamentale d’une écriture qui nécessite une autre conception du réalisme. Souligner la continuité derrière ces paradoxes, et parler de l’hétérogénéité paradoxale des textes romanesques d’Aragon qui font entendre les aveux indirects du mentir-vrai (par exemple avec la séquence de l’enterrement de Gorki dans La Mise à mort), c’est encore une manière de souligner la modernité d’Aragon, son « actualité », et de le situer dans la ligne des travaux récents de Pierre Bayard sur le plagiat par anticipation.

Cliquer ici pour lire en ligne sur openedition Les Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet publiées aux Presses Universitaires de Strasbourg à partir du numéro 8

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Table

Patricia Principalli, Corinne Grenouillet, Erwan Caulet
Écrit au seuil : Aragon, trente ans après

Réception internationale

Michel de Boissieu, Une lecture de La Semaine sainte au Japon

Béatrice N’guessan-Larroux, Croisements romanesques : Aragon au Congo

Aragon dans le champ scolaire

Patricia Principalli, Aragon dans les manuels de l’école et du collège : un auteur « classique » ?

Josette Pintueles, Aragon dans les manuels scolaires des lycées aujourd’hui

Marjolaine Vallin, Aragon dans les manuels de Français langue étrangère

Aragon, polyvalent et polygraphe

Johanne Le Ray, Aragon et le l’expérience de l’étranger : la traduction comme laboratoire de la création

Marie-Cécile Bouju, Aragon, éditeur

Florian Mahot-Boudias, “Front rouge”, les tracts et L’Humanité : hypothèses sur la genèse d’un poème détesté

Aragon et l’Histoire
Reynald Lahanque, Oublier Barrès, oublier l’Indonésie

Mireille Hilsum, Aragon, un écrivain du siècle passé ?

Marie-France Boireau, Aragon, romancier penseur de l’histoire

Maryse Vassevière, Les paradoxes d’Aragon

Daniel Bougnoux, Vérité d’Aragon

Intertextes
Adrien Cavallaro, Aragon et le système rimbaldien
Alain Trouvé, Cantate à André Masson : ultime variation sur l’art et la totalité

Résumés par ordre alphabétique d’auteurs

Hervé Bismuth et Agnès Alexandre-Collier, « Aragon et Robert Alexandre »

Robert Alexandre appartenait, avec Jacques Tréfouël ou Pierre Maison, à la bande des amis de jeunesse d’Aragon. Le témoignage tardif (1981) de Robert Alexandre, enfin publié, offre le regard d’un proche d’Aragon sur les années de lycée et l’après-guerre : sa vie de lycée, ses relations avec sa « sœur » et son « parrain », ses passions littéraires et artistiques, ses fidélités en amitié. Ce témoignage est accompagné de trois lettres écrites depuis son cantonnement par Aragon à Robert Alexandre (entre novembre 1918 et février 1919).

Marie-France Boireau, « Aragon, romancier penseur de l’histoire »

Selon Aragon, le roman est « un langage qui ne dit pas seulement ce qu’il dit mais autre chose encore, au-delà ». Cet « au-delà » nous a paru digne d’investigation d’où l’hypothèse que s’y trouve suggérée une pensée de l’Histoire complexe en raison même de la poétique du genre romanesque.
En utilisant les outils de l’analyse littéraire et ceux des historiens (« horizon d’attente », « champ d’expérience », « régime d’historicité »), nous cherchons à démontrer qu’Aragon, dans ses romans, fait l’expérience de sa pensée, suggérant qu’il existe dans l’Histoire une part d’obscur, d’inintelligible. Par ailleurs, écrivant le roman de la classe ouvrière, il découvre sa propre historicité et le roman historique devient roman à la première personne.

Michel de Boissieu, « Une lecture de La Semaine sainte au Japon »

Le critique littéraire japonais Inada Sankichi consacre un chapitre de ses Recherches sur Aragon à l’analyse de La Semaine sainte. Il y traite surtout de quatre thèmes : le rôle de l’imagination dans la conception d’un roman historique, le caractère autobiographique du récit, le personnage de Géricault et l’évolution psychologique qui le conduit à prendre sa décision finale, les rapports entre le passé et l’avenir ainsi que les leçons transmises par une génération aux suivantes. Ces thèmes rappellent tous de célèbres controverses littéraires ou politiques du Japon moderne et contemporain. Si elle ne renouvelle pas l’interprétation de La Semaine sainte, l’étude d’Inada a donc le mérite de rendre ce roman français familier au public japonais.

Daniel Bougnoux, « Vérité d’Aragon »

Dans toute son œuvre, Aragon se sera durement expliqué avec les historiens, confrères avec lesquels il rivalise, en tentant de leur inculquer par l’exercice du roman comme de la poésie une conception plus exigeante de la vérité. Ses derniers romans, ceux qui relèvent notamment de la période que nous proposons d’appeler métalinguistique, compliquent en permanence une vérité de l’énoncé par celle de l’énonciation : « linguiste », le romancier s’intéresse aux rapports de la pensée avec les différentes langues, aux méandres de la mémoire, du désir et d’une subjectivité qui ne fut jamais très sûre d’elle-même. La vérité, pas seulement historique, figerait une parole qu’il s’agit pour lui de continuellement relancer.

Marie-Cécile Bouju, « Aragon, éditeur »

En prenant la tête des éditions clandestines la Bibliothèque française en 1943, Aragon devient officiellement et pour la première fois un éditeur. Cette carrière se poursuit avec les Éditeurs français réunis, maison d’édition littéraire du PCF, jusqu’à leur disparition en 1981. Cette chronologie masque cependant une évolution complexe, qu’il convient d’analyser. Les relations d’Aragon avec la fabrique éditoriale – du choix des textes à la vente en librairie – commencent dès ses débuts littéraires et se développent pendant les années trente, démontrant qu’il sait utiliser revues et maisons d’édition, lieux clé de la vie intellectuelle et littéraire. Par la suite, à la tête de la Bibliothèque française puis des EFR, Aragon tente, avec des résultats très inégaux, de défendre à la fois des positions esthétiques personnelles et d’assumer ses responsabilités politiques. À partir de la fin des années 1950, il se consacre à la défense d’auteurs français et étrangers, aux EFR mais aussi ailleurs, en particulier chez Gallimard où il est devenu directeur de collection, sans pourtant parvenir à occuper une place centrale.

Adrien Cavallaro, « Aragon et le système rimbaldien »

Une lecture diachronique de l’œuvre d’Aragon occulte couramment la place effective qu’y occupe la référence rimbaldienne. Si celle-ci se fait certes moins fréquente à partir de la fin des années 1920, son originalité reste à apprécier. Une formule d’« Alchimie du verbe » en particulier a frappé Aragon : « je tiens le système ». Reprise dans des textes très divers, de prose critique, théorique ou fictionnelle, elle est investie d’un rôle de support poétique et réflexif, essentiellement durant les années surréalistes. C’est à travers elle qu’Aragon, indissociablement, analyse l’art de Rimbaud, et questionne, en acte, la possibilité d’une reconduction de son expérience poétique. L’analyse d’une transposition formelle, dans Les Aventures de Télémaque, et d’une transposition éthique, dans Une vague de rêves, du « système » lu par Aragon, donneront un aperçu de l’étendue des pratiques de réécriture rimbaldienne dans l’œuvre des premières années.

Mireille Hilsum, « Aragon, un écrivain du siècle passé ? »

Le « court XXe siècle » des historiens commence en 1914 et s’achève en 1989 avec la chute du Mur de Berlin ou en 1991 avec l’effondrement de l’URSS moins d’une décennie après la mort d’Aragon. Le XXe est, pour eux comme pour Aragon, le siècle des utopies et de leur effondrement, c’est ce que l’article analyse dans un premier temps. Mais la conscience de cet effondrement ne fait pas d’Aragon un précurseur de la « postmodernité » ni de cette « littérature du scrupule » qui marque la fin d’une conception de la littérature avec laquelle rompt la génération des années 80. L’article analyse, dans un second temps, ce qui distingue l’œuvre dernière d’Aragon de celles des générations suivantes, auxquelles il ne cesse pourtant de s’adresser.

Reynald Lahanque, « Oublier Barrès, oublier l’Indonésie »

Le deuxième chapitre de la dernière partie de Blanche ou l’oubli, « Tout l’orge de l’avenir », propose une longue méditation sur la conviction et le doute, qui se cristallise in fine dans un commentaire d’extraits de Gréco ou le secret de Tolède : Barrès voit dans le tableau représentant le martyre de saint Maurice et de ses compagnons une preuve de la précellence du réalisme en art, en même temps qu’il tire de la scène représentée une manière de leçon politique, celle de la beauté du sacrifice collectif obtenu grâce à la sagesse et à l’éloquence du « chef Maurice ». Passant des martyrs chrétiens d’autrefois aux communistes indonésiens du temps présent, victimes d’un effroyable massacre de masse, Aragon ne peut s’en tenir à la leçon de Barrès, même s’il veut croire encore que le martyre nourrit l’espérance. C’est qu’il en vient à s’interroger sur le bien-fondé de certains choix politiques opérés par ses camarades de combat, dans la lointaine Asie, mais aussi en France même. Les chefs peuvent s’être gravement trompés, « il ne suffit pas d’avoir raison pour avoir raison ». Le traitement du motif indonésien n’échappe pas à la tension douloureuse entre la mémoire et l’oubli qui structure tout le roman. Aragon se souvient à nouveau de Barrès, mais c’est pour en contester la vision. Au fil de l’actualité, il capte les traces confuses et parcellaires d’un massacre dont il pressent, à juste titre, qu’il sera oublié. Mais s’il en livre à jamais la mémoire à ses lecteurs, c’est en s’arrêtant au seuil de la vérité même que son roman fait affleurer, celle de l’abîme creusé entre le peuple et ceux qui croient pouvoir parler en son nom. En ce sens, se souvenir ne semble pas séparable d’oublier.

Josette Pintueles, « Aragon dans les manuels scolaires des lycées aujourd’hui »

Est-ce qu’on donne aux lycéens d’aujourd’hui Aragon à lire et à étudier ? Et quel Aragon ? L’observation d’un corpus de manuels récents, constitué en fonction de l’évolution des programmes et des épreuves de l’enseignement du Français – essentiellement entre 2000 et en 2012 –, de certaines ressources numériques, ainsi que des annales du baccalauréat, permet d’y mesurer la place très modeste et l’image souvent simplifiée à outrance, stéréotypée, parfois même erronée, de cet auteur et de son œuvre. Si les exigences liées à l’enseignement littéraire au lycée – programmes, horaires impartis et méthodes préconisées – expliquent partiellement un appauvrissement au fil du temps, en quantité et en variété, des extraits proposés aux élèves, d’autres critères implicites, d’ordre idéologique, pèsent sur l’étude de l’œuvre d’Aragon. La méfiance ambivalente qu’il éprouvait envers les scoliastes et l’histoire littéraire telle qu’on l’enseigne s’en trouverait justifiée. La recherche universitaire demeure donc essentielle pour la transmission de l’œuvre : non seulement les publications qui en résultent, les programmes universitaires et la formation des professeurs, concepteurs des manuels et utilisateurs, mais aussi la nécessaire critique des manuels scolaires, ces outils institutionnels qui participent à la définition des canons littéraires et à la classicisation des auteurs.

Johanne Le Ray, « Aragon et l’expérience de l’étranger : la traduction comme laboratoire de la création »

La production de traducteur d’Aragon, certes épisodique, éclectique et d’un volume global relativement modeste, est un aspect encore méconnu de son travail. Or, on est loin d’avoir évalué la fécondité de cette pratique dans ses interactions souterraines avec l’œuvre. Expérience de l’étranger répondant à une éthique du décentrement, la traduction aura été pour Aragon l’occasion d’une défamiliarisation dont le bénéfice poétique semble évident. On peut ainsi observer concrètement comment l’activité de traducteur travaille l’écriture de l’auteur, la confrontation avec les langues étrangères lui ayant vraisemblablement permis de mettre en crise une conception normative du français tout en lui fournissant les bases d’une expérimentation créatrice propice à une réinvention de soi dans la langue maternelle.

Florian Mahot-Boudias, « “Front rouge”, les tracts et L’Humanité : hypothèses sur la genèse d’un poème détesté »

Au-delà de la traditionnelle lecture biographique et historique de « Front rouge », poème d’Aragon écrit en 1930 et conduisant à la rupture entre l’auteur et André Breton, cet article propose une lecture poétique et des hypothèses génétiques sur ce texte « détesté » par son auteur et par la critique. « Front rouge » est d’abord un poème hybride, mêlant l’héritage surréaliste, l’influence de Maïakovski et les lectures d’Aragon dans le moment d’une intense et violente politisation de son activité littéraire. Il témoigne aussi de la lecture par l’auteur de L’Humanité et plus généralement des publications d’agitation communistes, comme les tracts. Dans le sillage des études récentes sur les liens entre presse et littérature, l’article construit une comparaison entre ces types d’écrit et la lettre du poème.

Béatrice N’guessan-Larroux, « Croisements romanesques : Aragon au Congo »

L’étude entend démontrer le lien singulier qui existe entre Aragon et l’auteur congolais Henri Lopes. On part d’une rencontre littéraire en ces années cinquante annonciatrices des futures décolonisations africaines pour montrer comment, à ses débuts, l’auteur de La Nouvelle romance met à profit le réalisme socialiste tel qu’il est représenté à travers les trois figures féminines des Cloches de Bâle. Mais ce réalisme semble tourner court, confronté qu’il est aux questions tribales du Congo et à l’échec des indépendances. L’apparente similitude du roman familial des deux auteurs offre une porte de sortie à Henri Lopes. Dans plusieurs de ses textes, le métis des colonies, toujours de « père inconnu », retrouve alors une dignité littéraire. Le « mentir-vrai » permet de déployer toutes sortes de discours sur le métissage dont celui qui le constitue à la fois comme être d’enracinement et d’universalité.

Patricia Principalli, « Aragon dans les manuels de l’école et du collège : un auteur “classique” ? »

Sont considérés comme classiques les auteurs et les textes qui font l’objet d’un consensus à la fois dans le champ littéraire et dans le champ scolaire. De multiples indices montrent qu’Aragon est aujourd’hui unanimement reconnu dans le champ littéraire. Cet article se propose d’observer, en analysant des corpus de manuels de l’école élémentaire et du collège, si Aragon fait l’objet de ce processus de « classicisation » du côté scolaire, et à quelles conditions. On verra ainsi que, trente ans après sa mort, l’image d’Aragon s’esquisse discrètement à l’école primaire comme celle d’un jeune surréaliste qui joue avec la langue, alors qu’au collège se construit très fermement l’image du poète de l’amour et de la Résistance, que ce double filtre sélectif constitue aujourd’hui comme classique.

Alain Trouvé, « Cantate à André Masson : ultime variation sur l’art et la totalité »

La Cantate à André Masson, qui fut d’abord écrite pour illustrer un livre de lithographies du peintre, prend une dimension nouvelle comme dernier grand poème de L’Œuvre poétique. L’échange spécial entre langages verbal et pictural n’est qu’un des aspects de cet hommage, ressuscitant aussi les souvenirs du surréalisme et de la guerre. Grâce à cet ami avec qui il partage le goût des histoires, Aragon s’arrache au deuil accablant d’Elsa et réinvestit les dix grands mythes amoureux illustrés par Masson. Toute son aventure érotique, poétique et politique se rejoue sur un mode mineur mais non désespéré dans une écriture multiforme, composant une ultime variante de l’art total, rétrospective et prospective.

Marjolaine Vallin, « Aragon dans les manuels de Français langue étrangère »

L’article recense les textes d’Aragon cités dans les manuels de français langue étrangère (FLE) depuis les années 1980 jusqu’en 2012 et tente d’expliquer les raisons de la rareté de cette présence : d’une part la littérature est la parent pauvre des approches dites communicative et actionnelle qui règnent aujourd’hui en didactique du FLE, d’autre part le choix des manuels se porte surtout sur des écrivains vivants, des extraits de romans policiers ou adaptés au cinéma, des pièces de théâtre. L’article analyse les choix effectués (poèmes de résistance puis d’amour) et les absences manifestes (celle de la prose narrative par exemple) pour dégager la vision très consensuelle d’Aragon qui est donnée aux apprenants étrangers.

Maryse Vassevière, « Les paradoxes d’Aragon »

Cet article voudrait examiner la dimension paradoxale de la continuité de l’œuvre d’un romancier-journaliste confronté à la double exigence du surplomb de la réalité par le roman et de la fidélité à la fournaise de l’événement. Ces paradoxes s’enracinent dans trois couples antinomiques (écrire/vivre, réalisme/surréalisme et roman/journal) auxquels l’écrivain a été confronté et que, contrairement à la doxa, il a voulu réconcilier. Ils sont à l’origine de bien des mauvaises lectures de l’œuvre d’Aragon et ils témoignent de l’hétérogénéité fondamentale d’une écriture qui nécessite une autre conception du réalisme. Souligner la continuité derrière ces paradoxes, et parler de l’hétérogénéité paradoxale des textes romanesques d’Aragon qui font entendre les aveux indirects du mentir-vrai (par exemple avec la séquence de l’enterrement de Gorki dans La Mise à mort), c’est encore une manière de souligner la modernité d’Aragon, son « actualité », et de le situer dans la ligne des travaux récents de Pierre Bayard sur le plagiat par anticipation.

Cliquer ici pour lire en ligne sur openedition Les Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet publiées aux Presses Universitaires de Strasbourg à partir du numéro 8