Marianne Delranc Gaudric, Compte rendu de Robert Falco : Juge à Nuremberg. Souvenirs inédits du procès des criminels nazis, 2012

Publié par C. G. le

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Les souvenirs du juge Robert Falco, l’un des deux juges français du Tribunal Militaire International de Nuremberg, viennent de paraître, illustrés par des croquis de Jeanne Falco, son épouse présente au procès. Parmi ceux-ci, un très beau portrait au crayon d’ Elsa Triolet, qui assista quelque temps aux audiences en tant que journaliste.

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C’est grâce à sa famille, ainsi qu’au Mémorial de Caen où sont déposées ces archives que nous pouvons prendre connaissance de ce document capital.
Le témoignage du juge Falco, qui, conseiller à la Cour de Cassation, fut révoqué sous Vichy en raison des lois antisémites, outre son grand intérêt historique, frappe par sa convergence avec celui d’Elsa Triolet. Ayant participé dès le départ à la mise en place du statut du Tribunal et de son organisation, il est bien placé pour en voir tous les problèmes, tous les écueils et toute l’importance, en fin de compte. Il souligne la pauvreté des moyens matériels et humains mis à disposition par la France, en comparaison avec ceux des États-Unis notamment, comme le fait Elsa Triolet dans La Valse des juges. Il évoque le Grand Hôtel, où se donnent des soirées dansantes et, comme Elsa Triolet, son « impression étrange de luxe et de gaîté dans cet espèce de palace militaire international où l’on ‘fox-trotte’ après dîner au son d’un jazz […] la roue du destin a heureusement tourné mais l’occupation si bruyamment joyeuse au milieu d’un pays en ruine […] a quelque chose d’un peu troublant » (p. 48). Il revient d’ailleurs à plusieurs reprises sur ces soirées dansantes, presque dans les mêmes termes qu’elle (p. 105 par exemple). Il relève, comme elle, la procédure anglo-saxonne « un peu étrange » de l’accusé-témoin (p. 81).

Mais, bien sûr, son témoignage porte sur l’ensemble du déroulement du procès, de façon chronologique, montrant les accusés les uns après les autres (dont Von Schirach, à l’audition duquel assista Elsa Triolet), évoquant les plaidoiries, les réquisitoires, révélant les délibérations du Tribunal et les désaccords sur une notion fondamentale : celle du complot (conspiracy), ainsi que sur les peines à appliquer aux accusés. Le juge français Donnedieu de Vabres, qui avait « participé en 1935 au congrès de l’académie juridique allemande, présidée par Hans Frank, l’un des 23 accusés à Nuremberg » et « traversé le régime de Vichy sans encombre […] commentant par exemple la législation répressive du régime de Vichy, ou encore les textes sur le « statut des Juifs » » (Préface, p. 14-15), apparaît comme pesant dans le sens d’une forte atténuation de la notion de complot ainsi que des peines de certains accusés. Robert Falco note (p. 42) que « Les Russes, auxquels rien n’échappe, auraient protesté contre sa nomination » et qu’« Un entrefilet paru dans le journal Le Populaire » est intitulé « Un nazi juge au tribunal de Nuremberg ». À la lecture des dessous du procès, l’on comprend mieux l’amertume d’Elsa Triolet et son impression que « l’on ne fait pas ce qu’il faut », « Pourquoi ne fait-on pas ce qu’il faut ? » demande-t-elle dans La Valse des Juges.

Reste que le juge Falco, dans sa conclusion, après avoir noté la diversité des opinions concernant ce procès « approuvé dans l’ensemble par la presse anglo-saxonne bien que certaines feuilles américaines l’aient trouvé trop dur à l’égard des généraux. Les journaux soviétiques […] sont élogieux pour l’ensemble du jugement. Les journaux français d’extrême gauche par contre, plus sévères que leurs amis moscovites, critiquent en termes véhéments la faiblesse du tribunal », termine, contrairement à Elsa Triolet, sur des interrogations positives, montrant qu’il a conscience de l’importance historique de Nuremberg : « Mais par-delà ces opinions passagères, quel sera, sur notre jugement, le jugement de l’Histoire ? Considérera-t-elle, comme certains le prétendent, qu’il constitue un pas considérable fait dans le domaine du droit pénal international ? […] est-il téméraire d’espérer qu’il soit cependant considéré dans l’avenir comme un jalon utile sur le chemin rocailleux au bout duquel l’humanité parviendra peut-être un jour à donner des assises légales à la paix ? » (p. 165).

Il est intéressant et utile de lire ce livre, si proche du récit de La Valse des juges, et qui nous plonge, de façon si vivante, dans l’atmosphère de l’immédiat après-guerre.

Marianne Delranc Gaudric

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Robert Falco, Juge à Nuremberg. Souvenirs inédits du procès des criminels nazis, Illustrations de Jeanne Falco, Préface d’Annette Wievorka, Introduction de Guillaume Mouralis, Historien, Chargé de recherches au CNRS, Nancy, Éditions Arbre bleu, 2012

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