Florilège de citations

Publié par C. G. le

Actualité d’Aragon : Florilège de citations

Lisant ou relisant Aragon, il nous semble parfois que, des pages imprimées, jaillissent des phrases ou des vers qui s’en vont promener dans le monde où nous vivons. Nous avons rassemblé, dans cette petite anthologie, des citations qui paraissaient ainsi particulièrement actuelles aux chercheurs de l’ÉRITA. Mais il est dommage de les isoler : aussi avons-nous indiqué leurs références, pour que le lecteur puisse se reporter aux œuvres dans lesquelles elles figurent.


Il est interdit blasphémer
Pour pénétrer dans mon domaine
Entre toutes choses humaines
Ce qui porte le nom d’aimer

Le Voyage de Hollande et autres poèmes, 1964-1965, exergue,
Œuvres Poétiques Complètes [désormais OPC], Pléiade II, 2007, p. 941.

La Culture est nécessaire à l’homme, comme le pain lui est nécessaire, car la Culture est le pain de l’esprit.

Allocution d’ouverture à la conférence de Jacques Duclos : « Les droits de l’intelligence », Paris, 1er juin 1938 (organisée par la Maison de la Culture, association dont Aragon est le secrétaire général),
In : Jacques Duclos, Les Droits de l’intelligence, Coll. de la Maison de la Culture, Éditions Sociales Internationales, Juin 1938.

Le baron Seillières est plutôt un palefrenier.
Traité du Style, 1928, Gallimard, coll. L’Imaginaire, 1980, p. 12.

Le jour déclinant les pistes cyclables
Dans un Ruisdael sombre aux rouges falots
Portent de la ville au loin par les sables
Le pédalement de mille vélos
« Les martins pêcheurs au ciel jaune et rose… », in
Le Roman inachevé, 1956, Gallimard, coll. Poésie, 1966, p. 109.

Ô Texaco motor oil, Eco, Shell, grandes inscriptions du potentiel humain ! bientôt nous nous signerons devant vos fontaines, et les plus jeunes d’entre nous périront d’avoir considéré leurs nymphes dans le naphte.
Le Paysan de Paris, 1926, nrf Gallimard, 1964, p. 143.

Ô vocabulaire des années soixante-dix où déjà plus personne ne sait ce que c’est une pièce de vingt sous, mis à part les vieillards et l’ex-Zouave du Pont de l’Alma s’il pouvait parler! Donne-moi la main, discours éphémère qui ne sera point perpétué par les inscriptions tombales, histoire de traverser le temps à pieds joints avec ce visage que j’ai dramatiquement pour en finir, et l’air d’en rire. Et l’air d’en rire.
« Prénatalité », in Le Mentir-vrai, nrf Gallimard, 1980.

On a identifié la nation et sa monnaie. La monnaie montant, la nation, n’est-ce pas, s’enrichit. Et en effet, d’après MONSIEUR Poincaré, la situation est bien meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a un an. La situation de qui? Celle des possesseurs de francs, qui seuls constituent la nation bourgeoise. C’est donc la bourgeoisie qui pose d’une façon éclatante l’identité de la monnaie, de la nation et de la bourgeoisie.

Lettre de rupture à Jacques Doucet du 15 janvier 1927, in ORC, Pléiade I, p. 1181. Lettre conservée à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, sous la cote 7211-10.

Tout est préfabriqué le rêve et le manger
Ô pool charbon-acier Benelux Euratom
Nous peuplons le vacarme avec des mots fantômes

Le Roman inachevé, 1956, Gallimard, coll. Poésie, 1966, p. 166.

Égrenez le fruit la grenade mûre
Égrenez ce cœur à la fin calmé
De toutes ses plaintes
Il n’en restera qu’un nom sur le mur
Et sous le portrait de la bien-aimée
Mes paroles peintes

Le Roman inachevé, 1956, Gallimard, coll. Poésie, 1966, p. 246.




J’ai rêvé d’un pays. C’était dans une autre vie. J’ai rêvé d’un pays où il avait fait grand vent. C’était dans un autre monde. J’ai rêvé d’un pays où le malheur était devenu si fort, si grand, si noir que c’était comme un arbre immense entre le soleil et les gens. Alors un jour pareil à la plus profonde des nuits les bûcherons se révoltèrent, et il n’y avait pas de scie assez grande ni de bras assez puissants pour trancher au pied l’arbre maudit. Mais les bûcherons s’y mirent tous ensemble, et c’était la fin d’une guerre, et les champs étaient obscurs de vautours, et l’air empuanti d’hommes et de chevaux morts. J’ai rêvé d’un pays où les enfants et les femmes aidèrent les bûcherons à abattre le malheur.
La Mise à mort, Œuvres romanesques croisées, t. XXXIII, 1965, p. 237.

Je porte la victoire au cœur de mon désastre
Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres
Je porte le soleil dans mon obscurité
« La nuit de Moscou », Le Roman inachevé, OPC, Pléiade II, p. 253.

Qu’on entende bien comment j’écris le mot optimisme, avec quel désespoir toujours.
Note marginale de 1969 dans « Apologie du luxe », janvier 1946,
in Henri Matisse, roman, 1971, Quarto Gallimard, p. 352

Je ne peux plus vous faire d’autres cadeaux que ceux de cette lumière sombre
Hommes de demain soufflez sur les charbons
À vous de dire ce que je vois
« Épilogue », Les Poètes, 21 novembre 1960,
nrf Gallimard, p. 213.

Je porte dans mes bras la peur comme un enfant sauvage
Mes genoux font le bruit des siècles brisés
Mes mains m’ont quitté pour mendier la vie
Je ne ressemble plus qu’aux arbres tombés

Si le soulier troué sur une route peut
Ressembler encore à la course

Si l’aveugle a le droit de parler des couleurs

Si la langue a les rêves d’un chien dans la bouche

S’il fait bleu dans l’homme à force de noir
Théâtre/Roman, 1974, Œuvres Romanesques complètes [désormais ORC], Pléiade V, 2012, p. 1179-1180.

Charognards le poids de votre genou
Le toucher de vos doigts profanatoires
Un discours jeté comme un drap sur vous
C’est cela que vous appelez l’Histoire
Poèmes des années soixante, VII,
in Les Adieux et autres poèmes, 1981, OPC, Pléiade II, 2007, p. 1171.

Écoute-moi petit mon semblable mon frère on croit seul être seul il n’en
est rien nous sommes
Légion
« Prose au seuil de parler », Théâtre/Roman, 1974, ORC, Pléiade V, 2012, p. 914.

Et l’on entend partout grincer les girouettes
« Chant de Prairial » 1er juin 1958, OPC, Pléiade II, 2007, p. 1279.

Songez qu’on n’arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables
Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien
« Épilogue », Les Poètes, 21 novembre 1960, OPC, Pléiade II, p. 487.

Puis sans prendre même le soin de se vêtir il écrivit ce verset d’une sourate
imaginaire Ô impie
Tu ne blasphémeras pas le nom du Seigneur puisqu’il n’existe point

Fin du dernier poème du Fou d’Elsa, « Ô impie », nrf Gallimard, 1963, p. 425.

L’avenir de l’homme est la femme
Elle est la couleur de son âme
Elle est sa rumeur et son bruit
Et sans elle il n’est qu’un blasphème
Il n’est qu’un noyau sans le fruit
Sa bouche souffle un vent sauvage
Sa vie appartient aux ravages
Et sa propre main le détruit
« Zadjal de l’avenir », Le Fou d’Elsa, nrf Gallimard, 1963, p. 166.

Le roman, c’est la clef des chambres interdites de notre maison

« C’est là que tout a commencé…»,
préface aux Cloches de Bâle, ORC, Pléiade I, p. 691-692.

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