Michel Apel-Muller, par Corinne Grenouillet, 2012
Michel Apel-Muller nous a quittés ce 21 décembre 2012. Alors que notre petit monde de chercheurs sur Aragon est entré en ébullition pour rendre hommage à l’écrivain décédé il y a tout juste 30 ans (le 24 décembre 1982), voilà que celui que nous considérons comme le père fondateur de la recherche aragonienne disparaît.
L’émotion m’étreint au souvenir de celui qui fut mon professeur à l’Université de Besançon et qui m’ouvrit les portes de la recherche universitaire. Son érudition flamboyante, sa connaissance intime de l’œuvre d’Aragon en faisaient un véritable passeur : c’est la complexité de l’écriture, les références politiques et culturelles du Roman inachevé, et la beauté du vers aragonien qu’il révélait à nos yeux ignorants. Les étudiants du séminaire de maîtrise de 1985, rue Mégevand, étaient très impressionnés par sa faconde et sa culture. Lorsqu’il évoquait devant nous la cordialité des étudiants cubains, Michel ne mesurait pas alors combien il nous intimidait. Il lui arrivait, le soir, dans une des grandes salles de la Faculté des Lettres, de faire une conférence sur l’écrivain. Nous y emmenions nos amis qui ne connaissaient pas « la Fac » car Michel était le genre de professeur que nous avions envie de faire découvrir.
Il avait rencontré Aragon et Elsa Triolet dans les années soixante, avait soutenu une des premières thèses universitaires sur Elsa Triolet, sous la direction de Jean Peytard, à Besançon. De sa relation au couple, sa proximité initiale avec Elsa Triolet, puis son compagnonnage avec Aragon qu’il fréquenta presque journellement pendant une année (1971-1972), il a longuement témoigné. Nous reproduisons ici cet entretien avec Maryse Vassevière et Luc Vigier, paru dans le numéro 9 des Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet (Presses Universitaires de Strasbourg).
Son activité au service de la recherche aragonienne fut immense : il fut un intermédiaire décisif entre Aragon et le CNRS. Sans lui, il n’y aurait pas eu le legs par Aragon de tous ses manuscrits et de ceux d’Elsa Triolet à la Nation française, « quelle que soit la forme de son gouvernement », en 1977. Il fut l’initiateur de l’exploitation scientifique des manuscrits et organisa les premiers séminaires de la rue Richelieu en 1986 : il sut s’entourer de chercheurs de premier plan, Suzanne Ravis (qui devint la directrice du Groupe de Recherche du CNRS), Lionel Follet, Léon Robel, Édouard Ruiz… Parallèlement à cette activité au sein du Fonds Aragon-Elsa Triolet, qu’il dirigea de fait pendant plusieurs années, il accomplit un travail de pionnier dans le cadre de la Fondation Aragon-Elsa Triolet : il avait dans l’idée que le Moulin de la Villeneuve (Saint-Arnoult en Yvelines), maison de campagne d’Aragon inscrit aujourd’hui dans le réseau des « Maison d’écrivains », devienne un centre de recherche : la bibliothèque d’Aragon et d’Elsa Triolet s’y trouve et Michel aurait souhaité que leurs manuscrits puissent venir la rejoindre, vœu qui ne se concrétisa pas (les manuscrits sont désormais à la Bibliothèque nationale). Le Moulin devait être rénové ; Michel obtint du Ministère de la culture l’engagement de travaux considérables ; il travailla à l’élaboration de statuts de ce qui est devenu le « Centre de recherche et de création Elsa Triolet-Louis Aragon ». Au cours de toutes ces années, il batailla avec une ténacité, et même une fougue, qu’il faut saluer… Il avait de la suite dans les idées, l’intelligence du grand négociateur, et la répartie incisive. Il aurait voulu que tout aille beaucoup plus vite, mais il repartait au combat, inlassablement.
Bernard Vasseur, le directeur du Centre de recherche et de création Elsa Triolet-Louis Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines, reconnaît volontiers sa dette envers lui – cette dette est en réalité celle de toute la communauté des chercheurs, des artistes et des visiteurs qui se bousculent désormais en ce lieu si vivant et chaleureux. Beaucoup semblent avoir oublié ce que la recherche aragonienne doit à Michel Apel-Muller. Que son nom soit si rarement cité, dans la presse, mais aussi dans les travaux récents sur Aragon, constitue une injustice profonde.
Michel n’en éprouvait pourtant aucune aigreur : il vivait depuis une dizaine d’années en Dordogne, sur les « terres » de Jeannine, son épouse. Il aimait la forêt et la chasse. Il avait coutume de terminer nos conversations téléphoniques par l’indication du nombre de sangliers qu’il avait tués. L’image que je garde de mon vieux maître est celle d’un causeur éblouissant, passionné et convaincu. Je le revois sur le seuil de sa maison toute simple de Jayac au milieu des châtaigniers en août 2010 : porteur d’une casquette un peu démodée, il avait l’air d’un paysan et d’un patriarche, heureux de nous délecter bientôt des têtes de champignons grillées qu’il avait cueillies lui-même et cuisinées.
Les obsèques auront lieu au crématorium d’Allassac (Corrèze), lundi 24 décembre, à 16 h.
À lire sur ce site :
« Entretien avec Michel Apel-Muller », réalisé par Maryse Vassevière et Luc Vigier, paru dans les Recherches croisées Aragon Elsa/Triolet n° 9, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004.