Inès Ammar, Revue de Presse à l’occasion de la parution de La Pléiade Poésie et Aragon dans la présidentielle, 2007

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Inès Ammar, doctorante, nous propose de faire un tour d’horizon des articles publiés à l’occasion de la sortie des oeuvres poétiques complètes d’Aragon dans la « Bibliothèque de la Pléiade » ainsi qu’un aperçu de l’utilisation politique d’Aragon lors de la campagne présidentielle de 2007.

1. Revue de presse: « Avez-vous lu Louis Aragon ? »

« Voici donc toute la lyre d’Aragon, rassemblée, ainsi qu’il l’a souhaité, dans l’ordre chronologique, depuis Feu de joie jusqu’aux Adieux en passant par des traductions et des textes épars dont cette édition offre le recueil le plus complet jamais réalisé. »
C’est en ces termes que les éditions Gallimard présentaient la sortie des Œuvres Poétiques Complètes dans La Pléiade le 20 avril 2007. Événement littéraire d’importance qui a suscité des réactions diverses et parfois vives dans la presse française.
Une des premières réactions fut celle de Philippe Sollers dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 2007. Si l’auteur de Femmes reconnait la modernité d’Aragon, surtout son « extrême liberté », il ne manque pas de s’attarder sur la période surréaliste pour ensuite critiquer Aragon communiste et fou d’Elsa en posant une question pour le moins étrange : « Aragon a-t-il eu peur de devenir fou ? »

Son commentaire de la sortie des Œuvres Poétiques Complètes vire à une sorte de règlement de compte (et ce n’est pas la première fois que Sollers s’adonne à ce plaisir2 ). Ainsi, les poèmes d’Aragon sont considérés comme « soporifiques », causant « l’ennui », des « séances d’hypnose… Il paraît, selon Sollers, qu’« on s’endort vite » en lisant Aragon.
On peut dès lors se demander : comment peut-on parler de la vie d’Aragon et de son œuvre en faisant l’impasse sur la participation active du poète à la Résistance française ? Comment oublier l’engagement d’Aragon contre la guerre d’Espagne et son adhésion au PCF motivée par le fait que c’était le seul parti qui s’opposait à la guerre du Rif (Maroc)… ?

Le journal L’Humanité apporte quelques éléments de réponse. Le 26 avril 2007 sous le titre « Aragon, l’irrécupérable », Alain Nicolas se pose et pose au lecteur une question essentielle :
Que savons-nous du poète Aragon, aujourd’hui ? Ou plutôt que croyons-nous savoir ?
Aragon, poète aux masques et aux mythes sans cesse alimentés par les amis et les ennemis… C’est pour cette raison que parler d’Aragon tient du défi.
Aragon qui a donné son œuvre au CNRS en 1971 a dit « Pesez mes mots, analysez mes phrases » a encouragé l’émergence « d’un grand art nouveau, la recherche ». A ce juste titre ne mérite-t-il pas « mieux qu’un culte, idolâtre ou de détestation » ?
Alain Nicolas nous invite judicieusement à lire Aragon, le poète de l’invention, qui « ne sera jamais le rentier du surréalisme, l’académicien du vers libre et du poème en prose »…

Jacques-Pierre Amette parle dans Le Point du 19 avril 2007 du « Fleuve Aragon » et se réjouit de la sortie des Œuvres Poétiques Complètes :

« Les deux volumes de la Pléiade – très bien commentés – permettent enfin de prendre la mesure de cette incroyable excursion dans la plus belle langue française. ». Ce qui est merveilleux chez Aragon c’est qu’« Il fait poésie de tout : d’une grève de mineurs en 1947, d’un droguiste tué à deux rues de chez lui ; il salue l’invention de l’escalier mécanique, les nouvelles machines à calculer lancées sur le marché, il amasse des vers de mirliton pour de joyeux kolkhoziens d’Irkoutsk. « O tintamarre tintamarre O tintamarre qui me tue », confesse-t-il.
Selon cet article, ce qui rend cette édition intéressante ce sont les écrits sur la poésie, les commentaires d’Aragon, ses « confidences d’atelier ». On reste alors « ébahi devant un fleuve de mots oubliés, perdus, magnifiques, qui scintillent. (..)»

Il convient, effectivement, de souligner la richesse des notes, notices et variantes qui nous guident dans la lecture ou la relecture d’Aragon dans cette édition.

Dans L’Express du 26 avril, sous le titre « je me souviens d’Aragon », Jérôme Depuis donne ses impressions concernant cet « événement littéraire ». Elles s’inscrivent sous le signe de la redécouverte de « l’inventivité » d’Aragon.
L’express laisse la parole à deux écrivains qui ont bien connu le poète : Renaud Camus et Jean Ristat.
Renaud Camus témoigne dans son journal3 :
«Lorsque j’ai fait sa connaissance, en 1976, Aragon était un homme illustre. Il vivait pourtant dans une solitude effrayante.
(…)
C’était une fenêtre merveilleuse sur le siècle. »
Jean Ristat revient sur les années où il a travaillé avec Aragon sur son œuvre poétique complet qui était censé faire 7 volumes et en a fait 15 !

Dans un article titré « Après que les poètes ont disparu… », publié le 26 avril 2007 dans Le Figaro Littéraire, François Taillandier s’interroge :
Aujourd’hui existe-t-il en France une poésie qui allie qualité, inventivité, clarté, sans renoncer à être lue, chantée et apprise par le plus grand nombre ?
Taillandier revient sur l’entreprise de l’œuvre poétique complet qui a été un « chantier gigantesque » mêlant poèmes, commentaires et textes critiques.
Mais l’avantage de la Pléiade est qu’elle nous présente un nouvel Aragon , un « Aragon remis aux normes de l’édition critique universitaire, et la plus prestigieuse, sous la houlette d’aragoniens brevetés (…) »

Ne perdons pas de vue le fait que la sortie d’Aragon en Pléiade, qui a lieu dans un contexte politique précis, et pas des moindres (les Présidentielles), coïncide aussi avec deux célébrations littéraires : les trente ans de la mort de Prévert et (surtout) le centenaire de la naissance de René Char.
C’est pour certains l’occasion d’opposer Aragon et Char. Il en va ainsi de Laurent Greilsamer dans son article « Aragon et le capitaine Alexandre » paru dans Le Monde du 30 avril 2007. L’auteur semble toutefois oublier que le « militant propagandiste » a participé à la Résistance non seulement par sa poésie mais aussi en tant que médecin auxiliaire au front. La comparaison entre les deux poètes semble même à la fin de l’article prendre un étrange aspect de concurrence !
La Croix, dans son édition du 2 mai 2007, publie un article intitulé « Les profondeurs labyrinthiques du fleuve Aragon »… Jean Claude Raspiengeas y parle du « polygraphe envoûtant, qui, de ses mots, tissa la légende du siècle passé »
Il cite Olivier Barbarant qui déplore « les préjugés d’une lecture parcellaire ». il n’est pas, en effet, inutile de prêter attention aux propos d’Olivier Barbarant pour comprendre qu’ « Ainsi enveloppée par l’encombrante figure de l’auteur, longtemps écrasée par les aléas d’une réception exclusivement idéologique (…) cette écriture n’a pas encore été considérée dans sa diversité, sa cohérence, ni dans sa véritable modernité »
« Il n’est pas possible de penser la poésie au XXe sans prendre en considération la poésie d’Aragon »
« Quoi qu’il en soit, l’esthétique d’Aragon ne vise pas à juxtaposer de petits monuments parfaitement ciselés, des diamants parfaitement taillés.(…) C’est une œuvre qui vit comme une houle au rythme de ses retombées et de ses explosions. »

Sous le titre « Le royaume d’Aragon » paru dans Libération du 26 avril 2007, Philippe Lançon, dans un long et laborieux article ressasse des lieux communs. En effet, à part La Grande gaîté à quoi il daigne accorder quelque attention, point de salut à ses yeux pour ce poète qui n’a pas su rester surréaliste. L’article est truffé de mots qui simplifient outrageusement la poésie d’Aragon : on voit défiler des mots comme rage, tristesse, fureur, mélancolie, insolence, courage, lâcheté …
Dans la même veine pessimiste et reniant tout l’héritage aragonien, l’ article « Louis Aragon ferme la porte «, écrit par Stéphane Denis et publié dans Le Figaro magazine le 21 avril 2007, ne manque pas de reprendre les clichés tant véhiculés sur la vie du poète et sur son œuvre. Selon Stéphane Denis, Aragon ferme « une longue aventure ».
N’en déplaise à Stéphane Denis, Aragon n’est pas oublié. Il est parmi nous grâce particulièrement à la chanson6. Aujourd’hui c’est même la jeune génération qui met en musique Aragon. Non Aragon ne ferme pas la porte, il l’ouvre. Il est cet homme dont il nous parle dans Le Fou d’Elsa « l’homme est celui qui se dépense/ et se dépasse comme il pense/(…) Joyeux pour une porte ouverte sur l’abîme de son destin » On n’a pas fini d’apprendre et de découvrir avec cet homme-là. Et c’est ce qui fait de lui, me semble-t-il, un grand poète.

Je tiens à insérer dans cette revue de presse un écho de la sortie de la Pléiade dans la presse belge. J’en profite pour saluer la création de La société belge des amis de Louis Aragon. Il faut croire qu’en Belgique Aragon a beaucoup de lecteurs ! L’article en question est paru dans le journal Le soir du vendredi 25 mai 2007 sous la plume de Jacques de Decker, ce même Jacques de Decker qui quelques jours après lisait Le Roman inachevé au Théâtre/ poème (Initiative de La société belge des amis de Louis Aragon)
Dans son article « Aragon, un grand farceur outrageusement libre », Jacques de Decker s’interroge sur les raisons pour lesquelles Aragon a du attendre longtemps pour paraître en Pléiade. Pour le journaliste, Aragon est un classique parce qu’« un classique est un créateur dont le langage échappe au temps. » Et même si cette sortie est tardive, elle est primordiale « Pour rappeler, enfin, qu’un artiste majeur est capable de parler à tout le monde. »

Je voudrais, pour conclure cette revue de presse, citer les propos de l’éditeur :
« Aragon n’est pas facile à croquer. (…) Aucun de ses livres ne le trahit, mais aucun ne le résume. »
Examinant l’impact de cette actualité aragonienne dans la presse, j’ai voulu être objective …Peine perdue diraient certains…
Mais je reprendrais volontiers l’invitation du poète : « Commencez par me lire » afin de rendre à Aragon ce qui appartient à Aragon et rendre à Louis ce qui appartient à lui.
Tentative périlleuse, défi plein d’enjeux dont le premier est d’être accusé d’avoir la folie d’Aragon, cette folie- là qui mêlerait lucidité et égarements …

2. Aragon pendant la présidentielle :

Aragon : un récupéré politique ?
Le communisme d’Aragon qui l’a rendu si détestable pour certains continue à peser sur son œuvre. En effet, certains journalistes, à l’occasion de la sortie des œuvres poétiques complètes dans La Pléiade, ne manquent pas de le rappeler quitte à se répéter. C’est le cas de la plupart des journaux.
Il faut dire que le contexte politique spécifique qui marque la sortie de la Pléiade fait souvent irruption dans les articles. Rappelons que La Pléiade est sortie le 20 avril 2007, c’est-à-dire la veille du premier tour des présidentielles.
Il s’en suit que « Le poète officiel du PCF » (selon les termes de Jacques- Pierre Amette, dans Le Point) se voit rattaché, volens nolens, à l’état actuel du PCF.
En effet, Le contexte politique de parution s’impose dès les premières lignes de l’article de Laurent Greilsamer : « Quand Marie-Georges Buffet et le Parti Communiste s’effondrent au premier tour de l’élection présidentielle, Aragon triomphe »
De même dans l’article de de Decker, qui rappelle qu’Aragon fut communiste toute sa vie, on lit ce qui suit : « curieusement, le livre sort à peu près au moment où ce même parti a connu ses propres funérailles » faisant ainsi allusion au faible score du PCF aux présidentielles.
Néanmoins, dans son article « Le fleuve Aragon », paru dans Le Point, Jacques-Pierre Amette présente Aragon comme un grand orateur dont les politiques devraient suivre l’exemple :
« Alors que nos candidats sont bien habillés devant les micros et « visent à la présidence », ils ne savent pas s’ils doivent parler comme Déroulède, Guy Mollet, Maurice Barrès ou Maurice Druon par crainte de parler comme Lecanuet. Aragon, comme Malraux, trouve la grande rhétorique. La tripe « patriotique », il l’a, sans calcul. Tribun, il console les travailleurs de Thorez, puis il cite les dames de Carpaccio. On se dit alors que, depuis qu’il s’est tu, la langue française a rétréci. .. ». Ce ne sont pas les grands thèmes de meeting qui manquent mais « une respiration, une manière d’assouplir la langue de tous les jours, ou l’alexandrin, de l’enjamber pour mieux courir, ou de faire brûler les mots qui font défaut à nos journaux télévisés. »
Notons que les prétendants à la présidence de la république en 2007 n’hésitèrent pas à citer Aragon quitte à avoir recours aux mêmes citations ou presque !
Cette manière de s’accaparer la parole d’Aragon sonne souvent comme un étalage de culture et/ou une volonté de s’approprier une poésie et une histoire de la poésie qui appartient, en vérité, à tout le monde.
Ainsi, Ségolène Royal dans son meeting à Toulouse a voulu dédier à Jose Luis Zapatero « quelques phrases » (le mot vers eût été plus approprié) « de l’un de nos plus grands poètes, Louis Aragon, qu’il a écrites en hommage à l’un des plus grands poètes espagnols, Frederico1 Garcia Lorca, assassiné par la milice fasciste à Grenade » Et elle cite :
« Un jour viendra, un jour d’épaules nues où les gens s’aimeront, un jour comme un oiseau sur la plus haute branche. »
Elle est bien ‘amusante’ cette citation mutilée qui évite à la candidate socialiste de citer «… un jour viendra couleur d’orange » (ce qui aurait été un clin d’œil à Bayrou !).
Dans le même discours, elle dit un vers que les journalistes, commentant l’événement, ont attribué par erreur à…Aragon :
« Un seul désir suffit pour peupler tout un monde. ». Il s’avère que ce vers est de Lamartine, extrait d’un poème intitulé « la mort de Socrate » (1823) publié dans ses Méditations poétiques !
François Bayrou, dans son meeting du 18 avril 2007 à Bercy, invoquant l’esprit de la Résistance, affirme que la France est « en danger d’épuisement, de révolte et de fracture ». Il n’hésite pas à lire « La Rose et le Réséda », poème d’Aragon dédié à quatre jeunes hommes d’horizons politiques divers, fusillés pendant la seconde guerre mondiale. «Quand il s’agit de reconstruire le pays, on a besoin de tout le monde», dit-il. Et Ce n’est pas la première fois que Bayrou cite Aragon2.
Le candidat de la droite, Nicolas Sarkozy, voulant rassembler tous les Français, paraphrase Aragon et invoque des figures de la Gauche :
« Ma France… Ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas… Celle des travailleurs qui ont cru à Jaurès et à Blum… »
La figure sans cesse évoquée et invoquée tout au long de sa campagne est celle de Guy Môquet, une récupération qui a valu au candidat une réponse de Pierre-Louis Basse, auteur de Guy Môquet. Une enfance fusillée (Stock 2000) :« Sur le coup, j’ai cru à une lecture publique de l’Aragon du Roman inachevé. Presque du Jean Ferrat dans le texte. » (Le Monde du 19 janvier)
Ils sont bien étranges ses politiques qui n’hésitent pas à recourir à ce bagage littéraire qu’est l’œuvre d’Aragon mais qui jusqu’à aujourd’hui ont fait la sourde oreille concernant l’attribution du nom d’Aragon à une rue parisienne !
Si les politiques récupèrent Aragon pour montrer leur ouverture et leur culture, cette attitude n’a aucun rapport avec les agissements souterrains…D’où l’intérêt de lire le témoignage de Jean Ristat concernant la rue de Varenne et le collage invraisemblable auquel Aragon s’était livré à la fin de sa vie dans une chambre où se mêlaient des photos de Man Ray et des dessins de Masson ainsi que des affiches : « Malheureusement cette chambre n’a pas pu se transformer en musée ». Après sa visite en 1983, Mitterrand fit savoir à Jean Ristat qu’il avait tous les « opuscules politiques » d’Aragon et qu’ « il n’y aurait jamais de musée. »
…à méditer….

3. Articles consultés:

Récapitulatif des articles étudiés :

1.Philippe Sollers, « Comment peut-on passer de l’extrême liberté surréaliste à l’académisme stalinien ? L’auteur de « Femmes » répond et se souvient du « Fou d’Elsa » dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 2007

2.Jacques-Pierre Amette, « Le fleuve Aragon », dans Le Point du 19 avril 2007

3.Barbarant (entretien) « la poésie, mathématique de l’écriture » dans La nouvelle vie ouvrière du 20 avril 2007
4.Jacques Dimet, « Une pléiade pour Aragon » dans La nouvelle vie ouvrière du 20 avril 2007

5.Stéphane Denis, « Louis Aragon ferme la porte », Le figaro magazine le 21 avril 2007

6.Alain Nicolas, « Aragon , l’irrécupérable « , dans l’humanité du 26 avril 2007

7.Alain Nicolas « On ne peut penser la poésie au XXe siècle sans Aragon » dans l’Humanité du 26 avril 2007

8.Philippe Lançon, « Le royaume d’Aragon, Autobiographie poétique sans étiquette. Louis Aragon et ses vers, en deux tomes de Pléiade. » dans Libération du 26 avril 2007

9.Jérôme Depuis, « Je me souviens d’Aragon », dans L’Express du 26 avril 2007

10.François Taillandier, « Après que les poètes ont disparu… » dans le Figaro Littéraire du 26 avril 2007

11.Laurent Greilsamer, « Aragon et le capitaine Alexandre » dans LE Monde du 30 avril 2007

12.Jean Claude Raspiengeas « Les profondeurs labyrinthiques du fleuve Aragon » dans LA croix du 2 mai 2007

13.Jacques de Decker, « Aragon, un grand farceur outrageusement libre » dans Le soir (Belge) du 25 mai 2007

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Categories: Brèves

L. V.

Luc Vigier, maître de conférences à l'Université de Poitiers