Jean Albertini, par Edouard Béguin

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Notre ami Jean Albertini est mort le 21 septembre dernier, au terme d’une longue maladie qu’il a su affronter avec un immense courage. Sa générosité, son inlassable énergie, sa passion vont beaucoup nous manquer.

Professeur de Lettres classiques, Jean Albertini, né en 1931, a longtemps enseigné au collège Jules-Michelet de Vénissieux. Pendant près de vingt ans, jusqu’à sa retraite, il a été aussi chargé de cours à l’Université Lyon II. Le temps que lui laissaient son métier et son action militante au sein du Parti communiste français, rejoint dès sa première jeunesse, ce temps, toujours si compté, il le consacrait essentiellement, en travailleur infatigable, à une intense activité intellectuelle, vouée à la défense et illustration d’écrivains qui, au XXème siècle, ont lié inextricablement l’écriture et l’action au service de la cité, et qui, pour cela même, ont été souvent négligés, mal compris, voire délibérément ignorés par les modes littéraires.

Jean Albertini participait très activement aux travaux de l’Association Romain Rolland et à ceux de l’Association Etudes Jean-Richard Bloch. Ses précieuses anthologies consacrées à Rolland (Romain Rolland. Textes politiques, sociaux et philosophiques, Editions sociales, 1970) et à Bloch (Avez-vous lu Jean-Richard Bloch ?, Editions sociales, 1981) témoignent de son impeccable érudition et de son constant souci de donner à lire des textes peu accessibles et peu commentés, en apportant tous les outils nécessaires à la juste appréciation de leur rôle dans l’histoire complexe des idéologies et de la littérature du XXème siècle.

Membre fondateur d’ERITA et de la Société des amis de Louis Aragon et d’Elsa Triolet, dont il était devenu le Secrétaire général adjoint pour les Régions, il s’est dépensé sans compter pour mieux faire connaître l’action et les œuvres des deux écrivains, en qui il voyait des modèles de vie et de pensée. Interventions dans les colloques, conférences, organisation de débats, expositions, publications d’études minutieusement documentées, recueil de témoignages : les modalités du travail de Jean Albertini sur Aragon et Elsa Triolet étaient extrêmement diversifiées, mais toutes marquées par son double souci d’établir les faits et d’augmenter l’audience des deux écrivains dont il estimait, non sans raisons, que la voix était trop souvent étouffée dans un silence organisé ou dans le brouhaha de la Foire sur la Place. Son exposition Aragon ou l’écriture faite homme, et son originale anthologie Non, Aragon n’est pas un écrivain engagé ! (Editions Paroles d’aube, 1998), conçues à l’occasion du centenaire de la naissance d’Aragon, illustrent bien la portée qu’il entendait donner à un travail qu’il accomplissait avec une énergie qui force l’admiration. Ce travail, que sa modestie n’a pas contribué à suffisamment mettre en valeur, il l’a conduit jusqu’au bout : le 26 juin dernier, il était encore à l’antenne de Radio Canut pour la trente-deuxième d’une série d’émissions sur Aragon, cette dernière consacrée, pour finir, aux Incipit !

Exigeant avec lui-même comme avec autrui, il n’était pas toujours tendre avec ceux qui ne partageaient pas ses convictions. Mais nombreux sont ceux qui pourraient témoigner de l’aide qu’ils ont reçue de lui : étudiants, chercheurs, acteurs de la vie culturelle des quartiers pouvaient compter sur lui pour un renseignement, le prêt d’un livre, d’un document introuvable, pour un conseil, pour un simple coup de main…

Ses convictions, sa sensibilité exacerbée aux injustices et à la cruauté du monde ont conduit Jean Albertini à “ militer pour l’homme ”, selon la formule qu’il appliquait à Romain Rolland. C’est dans l’esprit de cet humanisme de combat que réside l’unité de cette vie intellectuelle qui aura apporté aux études sur Aragon et Elsa Triolet la passion du cœur et de l’esprit, et qui, pour tous ses amis, ne sera plus, à jamais, qu’une conversation interrompue.

Octobre 2006
Edouard Béguin


L. V.

Luc Vigier, maître de conférences à l'Université de Poitiers