Cécile Kovacshazy: étude de texte

Published by L. V. on

Explication de texte linéaire, première partie, chapitre LVII,
depuis la page 339 « Cette affaire belge… » jusqu’à la page 340 « …le voilà l’avenir. Du joli. » (édition Folio au programme des agrégations de lettres).
Cécile Kovacshazy, Université de Paris VII Jussieu
Introduction

La rentrée des classes de 1897 a eu lieu et, avec elle, pour Pierre Mercadier, « le train-train de l’existence, le métier jamais aimé » (p.329) d’enseignant d’histoire dans un lycée de Lorraine. La pesanteur de cette vie est renforcée cette année-là par l’échec de sa relation avec Blanche Pailleron. Mercadier devient insomniaque et le chapitre 57 nous livre par la technique du monologue intérieur un « diorama nocturne » (p.337) dans lequel Mercadier passe en revue de façon désordonnée toute sa vie actuelle en essayant, en vain, d’en exclure la question de l’argent.

Lecture

Cette affaire belge…Je n’aurais jamais dû : il faut dire qu’il y avait quelque chose de tentant…D’abord, il est intolérable que Paulette prétende me dicter de ne pas voir celui-ci ou celui-là : si Meyer me fait de la musique, et que ça me plaît. Je vois bien ses ridicules ! Les parents qui viennent chercher leur progéniture à la porte du lycée… La mère du petit Berlin, par exemple. On ne fait pas plus chlorotique que cette blonde qui se retire les morceaux de la bouche pour ce gosse médiocre dont on ne fera jamais un chef de bureau, mais qui une fois a été second en latin, alors…Ou, ce couple de retraités qui ne rateraient pas une sortie de classes de peur que leur minuscule puce aille fumer des cigarettes avec les autres…Ou le domestique du fabriquant de gaufrettes qui vient chercher le jeune monsieur, et qui fait du plat à la femme du concierge…Quelle fatigue ce petit univers de roudoudou et de bâton de réglisse ! On passe là-dedans avec les paquets de copies sous le bras, et une fois rentré chez soi, il faut s’échiner à éplucher ça, les conneries de ces messieurs les enfants de salauds…Les élèves ! L’ennui des copies à corriger. L’irritation des fautes, toujours les mêmes. Qu’est-ce que j’ai été prendre un pareil métier ?
Si les gens racontent des histoires, ce n’est pas mon affaire. Et Paulette n’a qu’à ne pas les écouter. Ou qu’elle les écoute, la garce ! Ses relations mondaines me font suer. Je verrai Meyer, même si on jase. Bien que Meyer… je ne vais tout de même pas avoir des ennuis à cause de Meyer. Il joue bien Brahms. Quelle heure peut-il être ? Le calme effroyable de cette province, la nuit. A Paris, j’entendais dans la rue les voitures de choux et de carottes qui passaient sous mes fenêtres, allant aux Halles. On pouvait se rendre compte comme ça du temps qui passait. Oh, alors, je dormais bien. C’était plutôt quand on bavardait avec des amis, une femme… Pas d’ennuis d’argent, la jeunesse. Qu’est-ce que j’ai été prendre un métier pareil ? Maman. Pauvre Maman. Enfin elle n’est plus à plaindre. C’est moi qui le suis. Elle m’a tellement farci la tête avec cette idée qu’il fallait penser à l’avenir. Eh bien, le voilà l’avenir. Du joli..
Axe de lecture
Depuis le début du roman, la personne sociale du protagoniste se délite progressivement. Dans cette perspective, notre extrait est une étape décisive puisque c’est le moment où émerge la décision de Pierre Mercadier de tout quitter. Je voudrais dès lors voir dans cet extrait comment le choix stylistique du monologue intérieur (monologue narrativisé, selon la typologie de Dorrit Cohn) permet de mettre en avant la déliquescence, l’échec de la vie de Mercadier. Le flux désarticulé du monologue montre le flux désarticulé de la vie de Mercadier.

Mouvement du texte

À un texte qui trouve sa cohérence dans le désordre d’un état de demi-sommeil, il serait malvenu de conférer une structure autre que celle d’une absence de structure. Le texte s’inscrit en effet bien moins dans une dynamique linéaire que dans une fixité du ressassement.

On notera néanmoins que les pensées de Pierre Mercadier s’articulent selon un nombre de thématiques restreint : il s’agit à chaque fois de préoccupations ayant partie liée :
– avec Paulette (du début à « ses ridicules »)
– avec le lycée (de « Les parents qui » à « pareil métier ? »)
– avec Meyer (de « Si les gens » à « Brahms »)
– avec la nostalgie d’un monde oscillant entre liberté parisienne et domination maternelle (de « Quelle heure peut-il être » qui joue un rôle-pivot, à la fin).

Explication linéaire

Cette affaire belge…Je n’aurais jamais dû : il faut dire qu’il y avait quelque chose de tentant…
Dans quelques passages des Voyageurs de l’impériale, comme celui qui nous occupe ici, le narrateur se place en retrait : il laisse à Mercadier tout l’espace de l’énonciation sans interférer par la médiation de l’ironie. Le rapport labile entre le narrateur et son protagoniste est illustré ici par le syntagme cette affaire belge : la fin de l’antépénultième paragraphe s’achevait exactement sur ce syntagme. Le paragraphe qui précède notre extrait avait laissé place à des considérations générales émises par un « on » indéfini, imputable soit à du discours direct libre, soit, plus vraisemblablement, à un « intermezzo » hors diégèse, à mettre sur le compte d’une esthétique de l’excursus. Le début de notre explication reprend donc la divagation mentale exactement là où l’avant-dernier paragraphe l’avait laissée.
Malgré l’injonction « je ne penserai pas à l’argent » (p.337), Mercadier ressasse son obsession ou peut-être son unique intérêt : celui de l’argent et du jeu boursier. Sa seule liberté, le seul liant de sa vie, se transforme déjà ici en une nette dépendance presque pathologique. Le regret de Mercadier n’est pas tant l’expression d’une culpabilité (totalement inexistante chez lui) que celle du dépit pour une perte de gains, ce sentiment résultant lui-même non d’un souci bourgeois d’acquisition mais d’un intérêt du jeu pratiqué pour lui-même. Devoir et plaisir ne parviennent pas à s’accorder.
Deux marques grammaticales primordiales viennent conforter l’illusion mimétique d’un état de semi-conscience : d’une part, l’emploi du démonstratif cette alors que ce déterminant n’a pas de référent anaphorique dans le cotexte ; d’autre part, l’usage des points de suspension, qui transcrivent l’hésitation d’une pensée en train de naître sous nos yeux (du moins dans le cadre de l’illusion réaliste du monologue). A ces deux particularités grammaticales on peut adjoindre l’usage de la subordination en asyndète qui est le propre d’une pensée orale, libérée de la complexité logique du support écrit.
D’abord, il est intolérable que Paulette prétende me dicter de ne pas voir celui-ci ou celui-là :
L’adverbe argumentatif relèverait presque d’un langage infantile ; il caractérise l’état d’esprit d’un homme en position de défense. Mercadier se sent en effet dérangé par son entourage exécrable et, en tout premier lieu, par son épouse Paulette qui ne vit que pour le qu’en dira-t-on. La phrase fait écho aux disputes conjugales des pages précédentes tournant autour des visites musicales d’un des rares juifs de la ville, dans un contexte d’antisémitisme généralisé.
si Meyer me fait de la musique, et que ça me plaît.
Le monologue intérieur de cet état de demi-veille calque le langage oral, ce qui explique l’emploi de deux subordonnées hypothétiques sans la principale. Aragon ne va toutefois pas aussi loin que Céline : il ne supprime, par exemple, pas le « ne » de la négation, de même qu’il n’altère pas les mots par des aphérèses ou des apocopes.
Je vois bien ses ridicules !
L’exclamation rappelle que, si Pierre Mercadier est un anti-héros, il n’en est pas moins parfois un homme lucide, comme il le souligne lui-même.
Mais elle rappelle également la conception de l’amitié selon Mercadier, conception qui se voit ici en partie contredite : Pierre a expliqué, plus haut (p.116), à la seule personne susceptible d’être son ami, qu’il ne voulait pas d’amis. Or, si l’amitié participe d’une vaste comédie sociale, les « ridicules » de Meyer pourraient bien n’être qu’une apparence factice.
Enfin, l’exclamation est le signe d’une progression dans l’indifférence de Mercadier à l’égard de sa famille.
Les parents qui viennent chercher leur progéniture à la porte du lycée…
Le mot ridicules permet, par association libre d’idées, un déplacement vers une autre sphère de la vie de Mercadier, la sphère professionnelle du professeur d’histoire. Mercadier passe en revue trois cas exemplaires de parents d’élèves. Cette évocation se fait sur un ton extrêmement méprisant. Le terme collectif désignant les enfants, « progéniture », rappelle combien la fibre paternelle de Mercadier est peu développée (elle le demeurera du moins pendant les vingt ans qui séparent la mort de la première Jeanne des rencontres aux Bois de Boulogne avec Jeannot).
Trois cas de figures sont donc ici clairement distingués syntaxiquement. La description repose sur une accumulation de subordonnées relatives descriptives.
La mère du petit Berlin, par exemple. On ne fait pas plus chlorotique que cette blonde qui sauve la face, une pauvre femme émaciée, qui se retire les morceaux de la bouche pour ce gosse médiocre dont on ne fera jamais un chef de bureau, mais qui une fois a été second en latin, alors…
Avec la locution adverbiale par exemple, la phrase nominale inaugure une véritable typologie. Au-delà du mépris acerbe qu’ils expriment, ces trois portraits revêtent une dimension tout à fait comique. Le comique est dû à un pittoresque exacerbé, à un travail d’Aragon sur les détails (allant jusqu’à donner un patronyme à l’une des silhouettes) afin de décrire le « monde réel » et de conférer ainsi à cette évocation scolaire un grand effet de réel.
La tournure familière « ne faire pas plus…que », la mention de la chlorose (anémie par manque de fer), l’adjectif « émaciée » et l’expression à la fois métaphorique et très imagée « qui se retire les morceaux de la bouche », tous ces éléments réunis offrent une peinture de la mère en fin de compte moins tragique que ludique. Ce portrait est proche d’une récriture caricaturale de la Fantine des Misérables.
Ou, ce couple de retraités qui ne rateraient pas une sortie de classes de peur que leur minuscule puce aille fumer des cigarettes avec les autres…
C’est un procédé d’hyperbole qui permet, comme dans le premier cas, de nourrir la vision dysphorique du lycée de Pierre Mercadier et l’expression de son profond mépris. La métaphore animalière pléonastique « minuscule puce » qui caractérise l’enfant du deuxième cas voit son ridicule redoublé par un jeu d’allitérations.
Dans ces deux premiers exemples, le grotesque comique est provoqué par la disproportion totale entre le début de la description et sa chute : entre la femme qui se sacrifie corps et âme et l’enfant médiocre, entre les parents inquiets et le sujet de leur inquiétude. Parents et enfants sont tout autant raillés.
Ou le domestique du fabriquant de gaufrettes qui vient chercher le jeune monsieur, et qui fait du plat à la femme du concierge…
Le dernier exemple (qu’on avait déjà rencontré en haut de la page 334) relève cette fois de la catégorie des familles riches, dans un registre purement comique :
– par l’accumulation des compléments déterminatifs
– par l’expression familière et grivoise « faire du plat »

Ces trois exemples oscillent entre cas particuliers et stéréotypes du « monde réel ». Ils s’apparentent à des emplois de théâtre dont la scène serait l’école de la Troisième République. Dans tous les cas, ils marquent la désolidarisation de Mercadier.
Quelle fatigue ce petit univers de roudoudou et de bâton de réglisse ! On passe là-dedans avec les paquets de copies sous le bras, et une fois rentré chez soi, il faut s’échiner à éplucher ça, les conneries de ces messieurs les enfants de salauds…Les élèves ! L’ennui des copies à corriger. L’irritation des fautes, toujours les mêmes. Qu’est-ce que j’ai été prendre un pareil métier ?
On rencontre à nouveau une exclamative sans verbe, modalité propre au monologue intérieur en libre association. Dans ce flux erratique de la pensée, Aragon s’amuse avec un lexique d’enfants, probablement empreint de souvenirs autobiographiques. On sait que le roudoudou est un caramel dans une boîte ronde et que l’on lèche mais il est principalement intéressant pour sa sonorité grotesque.
On passe là-dedans avec les paquets de copies sous le bras, et une fois rentré chez soi, il faut s’échiner à éplucher ça, les conneries de ces messieurs les enfants de salauds… L’ennui des copies à corriger. L’irritation des fautes, toujours les mêmes. Qu’est-ce que j’ai été prendre un pareil métier ?
Le changement de pronom et l’article défini pluriel autorisent un élargissement, une généralisation (qui permet à des agrégatifs de s’identifier plus facilement à leur futur métier…) Le mépris passe par une désignation vague « là-dedans… ça », ou encore, d’un point de vue lexical, par le verbe hyperbolique et familier s’échiner et par le substantif de registre vulgaire « conneries ». Pierre Mercadier refuse l’institution, le grand corps qui supposerait la reconnaissance d’une appartenance collective.
ces messieurs les enfants de salauds …
Si Pierre Mercadier est un anti-héros pour Aragon puisqu’il représente des valeurs négatives de déliaison, il n’est pas purement négatif, il n’est pas totalement vecteur d’anti-valeurs : l’injure qu’il adresse à ses élèves est on ne peut plus justifiée quand on se rappelle que ce sont ces mêmes « enfants de salauds » qui organiseront au chapitre 61 un pogrom d’une violence inouïe. Mais pour Aragon, ces « salauds » sont également toute la génération dont Mercadier n’est qu’un représentant, cette génération dont la passivité a mené à la guerre -la première, comme la seconde. Le problème est que les « enfants de salauds » désignent aussi le propre fils de Mercadier puisqu’on sait que Pascal (p.655) dira de son père à Reine : « j’ai été élevé à considérer papa comme un salaud. »
Si les gens racontent des histoires, ce n’est pas mon affaire. Et Paulette n’a qu’à ne pas les écouter.
Pierre Mercadier se moque éperdument du qu’en dira-t-on ; il se situe à l’opposé de Paulette. En cela, son individualisme se révèle en partie positif.
Mais on peut également comprendre le mot « histoires » dans un sens plus romanesque. Dans Les Voyageurs de l’impériale, tous les personnages sans exception se construisent leur roman personnel. Et le grand roman que constitue Les Voyageurs de l’impériale fonde sa continuité et sa cohérence sur le refus de Pierre de les écouter, de les partager.
Ou qu’elle les écoute, la garce ! Ses relations mondaines me font suer. Je verrai Meyer, même si on jase. Bien que Meyer… je ne vais tout de même pas avoir des ennuis à cause de Meyer. Il joue bien Brahms.
La tergiversation est une marque de la spontanéité discursive de Pierre (de l’illusion de spontanéité par l’auteur), tout comme l’inachèvement de la phrase concessive (« Bien que Meyer… »).
Dans un climat national d’antisémitisme cristallisé par l’affaire Dreyfus, Pierre Mercadier n’adopte ostensiblement aucune autre position qu’une indifférence égoïste. Le seul critère est que Meyer « joue bien Brahms ». La dimension collective, politique est rejetée et occultée, annonçant par là le plaidoyer du chapitre 60 contre l’engagement, et les félicitations tout à fait antisémites de M. Décrassement qui s’ensuivent.
Quelle heure peut-il être ? Le calme effroyable de cette province, la nuit. A Paris, j’entendais dans la rue les voitures de choux et de carottes qui passaient sous mes fenêtres, allant aux Halles. On pouvait se rendre compte comme ça du temps qui passait. Oh, alors, je dormais bien. C’était plutôt quand on bavardait avec des amis, une femme… Pas d’ennuis d’argent, la jeunesse.
La question est absolument sans rapport avec ce qui précède ; cette incohérence logique participe du mimétisme de l’état de semi-conscience, sans même qu’apparaissent cette fois les points de suspension. Elle permet de passer d’un présent de généralisation à un présent d’énonciation.
Cette vaste introspection d’une vie décevante en tout, après s’être arrêtée sur l’épouse et le travail, s’arrête, cette fois, sur le lieu de vie actuelle de Mercadier. On sait que Pierre est un « déraciné » qui hait se trouver où il se trouve, surtout quand il s’agit de la province. Il se remémore ses quelques semaines insouciantes de liberté négative à Paris de la fin août à la fin septembre (chapitre 54 et 55). Cette évocation d’un Paris bruyant et festif n’est pas sans rappeler le goût de l’auteur du Paysan de Paris et des surréalistes pour la « bigarrure » de la ville.
Qu’est-ce que j’ai été prendre un métier pareil ? Maman. Pauvre Maman. Enfin elle n’est plus à plaindre. C’est moi qui le suis. Elle m’a tellement farci la tête avec cette idée qu’il fallait penser à l’avenir.
Pour la seconde fois (sous une forme presque identique), Pierre Mercadier formule la question qui exprime toute l’horreur de son métier : il rejette tout ce qui touche à la transmission des valeurs et à la filiation. C’est ainsi qu’on peut esquisser un lien de causalité entre l’interrogation et la mention de sa mère, le mot-phrase pouvant apparaître comme une réponse. On nous l’a expliqué page 44 : sa mère a joué un rôle essentiel dans cette orientation professionnelle. Elle a joué un rôle « décisif et tragique » puisque le seul motif allégué pour ce choix de carrière était un motif pécuniaire. Or Mercadier, à l’opposé des bourgeois et de leur soif de possession (façon Paulette), ne s’intéresse pas à l’argent comme une fin mais comme un moyen de liberté. Lui qui ne culpabilise jamais fait ici peser la culpabilité de l’échec de sa vie sur les épaules de sa mère puisque ce sont les mères qui « faussent une vie dans les meilleurs intentions du monde » (p.44). Mercadier se déresponsabilise dans tous les domaines de son existence et, en conséquence, se désolidarise de son univers. Son individualisme récuse un quelconque respect, autant pour la « progéniture » (ses élèves comme ses enfants) que pour leur ascendance (les parents d’élèves comme ses propres parents).
Eh bien, le voilà l’avenir. Du joli..
Le syntagme antiphrastique relève de ces moments où Mercadier ne se ment pas encore à répétition et où il fait face à la médiocrité de sa propre vie : son avenir tout tracé de fonctionnaire.
Conclusion

L’état de demi-veille laisse libre cours à tout le mépris, à la haine et à la déception de Pierre Mercadier pour sa vie et ici, plus particulièrement, pour son métier d’enseignant. Aragon, dans le cadre du pacte de lecture réaliste qu’il a proposé dans la Préface, élabore une mimesis de monologue intérieur naturellement décousu parce qu’il calque l’oralité : par la ponctuation, la dislocation de la syntaxe, la familiarité du lexique et la juxtaposition de thèmes divergents. Ce souci de vraisemblance est encore plus travaillé que dans l’unique monologue intérieur de Paulette qui suivra deux chapitres plus loin. La vraisemblance textuelle permet au lecteur d’entrer dans l’intimité sincère du protagoniste, un protagoniste qui mentira de plus en plus avec les années, aux autres et à lui-même, un protagoniste totalement désabusé.
Le monologue intérieur nocturne du protagoniste au chapitre LVII, et ce passage en particulier, par sa fonction non-narrative de regard-bilan sur une vie, prépare paradoxalement le coup de théâtre narratif imminent : la rupture définitive de Mercadier avec son entourage.


L. V.

Luc Vigier, maître de conférences à l'Université de Poitiers