Hommage à Antonin Liehm, par Reynald Lahanque

Publié par P. P. le

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Hommage à Antonin Liehm (1924-2020)

Nous avons de bonnes raisons de nous souvenir d’Antonin Liehm : beaucoup d’entre nous avaient fait sa connaissance lors de notre colloque « Aragon politique » (Saint-Quentin-en-Yvelines, 4-5 mars 2004 ; voir Recherches croisées n°11) et il nous avait fait l’amitié de poursuivre les échanges lors de la séance de séminaire du 5 juin 2004 (voir compte rendu en ligne d’Hervé Bismuth ). Cette rencontre avait permis de recueillir son témoignage sur son activité de traducteur d’Aragon en langue tchèque, ainsi que sur bien d’autres questions relatives à la vie culturelle et politique de son pays. Liehm avait croisé Aragon une première fois en octobre 1945 à Prague (chez Adolf Hoffmeister – voir Les Collages, 1960), il l’avait revu dix ans plus tard, puis en 1963, avant de devenir l’un de ses amis proches. Et l’on sait que c’est lui qui était venu demander à Aragon d’intercéder auprès de Gallimard pour que soit publiée en français une traduction de La Plaisanterie de Milan Kundera. Aragon rendit ainsi service à quelqu’un qui avait de son mieux servi son œuvre : dès 1953, mais après la mort de Staline (car il figurait auparavant sur une liste noire pour sa proximité avec Clementis), Liehm avait accepté la commande de traduire Les Communistes, et c’est avec ce vaste roman qu’il nous a dit avoir « appris à traduire Aragon ». Il a ensuite traduit Aurélien, Les Cloches de Bâle, Les Voyageurs de l’impériale (mais pas Les Beaux Quartiers, qui avait déjà fait l’objet d’une bonne traduction tchèque), La Semaine sainte et La Mise à mort, mais aussi, outre les romans, Histoire de l’URSS, le « Discours de Prague » et une partie de J’abats mon jeu. Il avait évoqué devant nous la difficulté d’« entrer dans le style d’Aragon », de rendre sa « respiration de poète » et la longueur de ses phrases, une longueur « étrangère à la culture tchèque ». Et il avait rappelé que, bien entendu, toutes ces traductions avaient été interdites en Tchécoslovaquie après qu’Aragon et Les Lettres françaises eurent désavoué l’intervention armée du 21 août 1968. L’activité de traducteur d’Antonin Liehm n’a pas concerné qu’Aragon, il avait très tôt traduit le théâtre de Sartre, par exemple. Et c’est Sartre qui donna une longue préface à son livre publié par Gallimard en 1970, Trois générations. Entretiens sur le phénomène culturel tchèque (livre illustré par Hoffmeister). Mais cette activité n’a été elle-même que l’une des formes de son inlassable travail de passeur entre les cultures : il avait été l’un des acteurs éminents du printemps de Prague en tant que corédacteur de la revue Literarni Listy ; contraint à l’exil, il a été l’inventeur (avec Paul Noirot) de la grande et belle revue de culture européenne que fut la Lettre internationale, illustrée des collages de Jiri Kolar, publiée en France à partir de 1984, puis déclinée en plusieurs langues, en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Europe de l’Est après 1989. L’aventure a duré jusqu’au début des années 2000, elle a survécu jusqu’à aujourd’hui en Allemagne et en Roumanie (mais ses jours y sont désormais comptés). Liehm s’était installé définitivement en France en 1969, il avait enseigné à l’EHESS, ainsi que dans des universités aux États-Unis, en Angleterre et en Suisse. Lui qui se définissait modestement comme un « journaliste tchèque », il fut un grand européen, un esprit encyclopédique, et un infatigable homme de culture. Il nous est loisible de lire ses livres publiés en français : outre Trois générations, Le Passé Présent. Le socialisme oriental face au monde moderne (JC Lattès, 1974), Les cinémas de l’Est de 1945 à nos jours (éditions du Cerf, 1989), Socialisme à visage humain : les intellectuels de Prague au centre de la mêlée (Albatros, coll. Cahiers de l’Est, 1999). Une bonne façon de perpétuer sa mémoire. Reynald Lahanque

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P. P.

Patricia Principalli, maître de conférences à l'Université de Montpellier