Florian Gödel, « Le héros tragique du réalisme : La réception de Louis Aragon en RDA », 2019
Aragon a été lu pendant toute l’existence de la RDA, de ses débuts à sa fin, plus qu’aucun autre écrivain français. On distingue habituellement trois grandes périodes créatrices dans l’œuvre aragonienne : les expérimentations avant-gardistes (Dada et surréalisme), le réalisme socialiste (et la poésie de la Résistance) et finalement le réalisme dit expérimental. Et la RDA a cherché à se saisir de l’ensemble de la production aragonienne.
Aragon n’a donc cessé d’être publié pendant ces quatre décennies, quels que soient ses partis pris littéraires. Les tirages de ses œuvres sont révélateurs : les tirages des éditions originales diminuent nettement à partir de 1962, alors que les œuvres précédentes relevant du réalisme socialiste sont constamment réimprimées, et à fort tirage . La rupture intervient entre le roman Karwoche (La Semaine sainte 1958/1962) et Spiegelbilder (La Mise à mort 1965/1968). Le premier parait chez l’éditeur Volk und Welt avec un tirage de 15 000 exemplaires ; Spiegelbilder, premier roman de la dernière période d’Aragon, aurait également dû paraitre à 15 000 exemplaires, mais Volk und Welt décide très vite de réduire le tirage à 3 000 exemplaires . Cette restriction est d’autant plus étonnante que l’éditeur avait déjà acquis auprès de Gallimard une licence pour 10 000 exemplaires. Cela vaut également pour la publication des œuvres ultérieures et pour celles de la période dadaïste et surréaliste, qui ne dépasseront jamais plus de 6 000 exemplaires. Au regard du paysage du marché est-allemand, ce dernier chiffre est particulièrement bas. Aragon fut donc traité comme le reste de la modernité littéraire française. De surcroît, à partir de Theater/Roman (Théâtre/Roman 1974/1978), toute nouvelle publication aragonienne, œuvre dadaïste et surréaliste comprise, reprenait en fait des licences accordées à des éditeurs ouest-allemands.