Georges Aillaud, ERITA, mai 2017
Pour Georges – le 16 mai à Montreuil – ERITA
Nous nous souvenons d’une journée d’études sur Elsa Triolet organisée par l’Equipe de recherches interdisciplinaires sur Elsa Triolet et Aragon (ERITA), dont Georges faisait partie, et où intervenaient des collègues étrangers. Il aimait que l’association n’oublie pas l’œuvre d’Elsa Triolet – qu’il appelait affectueusement « Elsa » – car il l’appréciait beaucoup. Ce jour-là on commença par un tour de table. Chacun déclina son nom, sa fonction, ses titres ; lorsque ce fut le tour de Georges, il dit : « Georges Aillaud, squatteur », puis il marqua une pause, savourant l’air interloqué des nouveaux venus.
C’était cela, Georges : une modestie teintée de malice.
S’offusquant un peu de ce que les statuts de l’ERITA stipulaient qu’il s’agit d’une association de chercheurs, il prétendait qu’il n’était pas « chercheur ». Cela l’autorisait, parfois, à s’amuser des titres universitaires…
Aux journées de l’ERITA, auxquelles il était très fidèle, il intervenait souvent pour préciser ou rectifier tel point précis d’histoire ou d’édition.
S’il fallait un exemple de la qualité des recherches de Georges, on pourrait citer le compte rendu qu’a fait Suzanne Ravis de sa Chronologie d’Aragon et d’Elsa Triolet (1939-1945), publiée en 2014 par les Annales de la SALAET :
« Au long de 209 pages organisées en tableau de façon efficace, Georges Aillaud a pour méthode de privilégier les faits, dont il vérifie l’exactitude. Pour autant, il ne propose pas un défilé purement factuel et froid. On sent vibrer le besoin de dire vrai ; de temps en temps perce une nuance d’ironie à la lecture d’affirmations d’autrui erronées.(…)
L’objet le plus étudié de la « chronologie » est constitué par les écrits publiés entre 1939 et 1945 par les deux auteurs malgré les obstacles de tous ordres. Georges Aillaud relève et date minutieusement tracts, articles, poèmes, nouvelles, recueils diversement composés, romans en cours ou publiés… Il mentionne les éventuelles dédicaces, la présence ou non d’une signature des auteurs, d’un pseudonyme, ou l’absence totale de signature (c’est le cas du journal Les Etoiles réalisé par les deux écrivains). Pour chaque édition originale repérée, Georges Aillaud signale les multiples rééditions partielles ou complètes réalisées en France et à l’étranger. Il s’attache à compléter, et parfois à rectifier, l’Essai de bibliographie du chercheur britannique Crispin Geoghegan (…).
Nous devons à ce bibliophile infatigable, discrètement présent par ses seules initiales en marge, de découvrir l’existence de publications isolées, ou des articles de critique littéraire quelque peu oubliés concernant les deux écrivains. Le plus souvent, c’est l’œuvre d’Elsa Triolet qui a été négligée. Georges Aillaud note par exemple, à la date de juin 1942, « Long article de deux pages de René Tavernier, sur Mille regrets dans Confluences n° 11 » (p. 94). Pas à pas, grâce à un travail de bénédictin, Georges Aillaud rectifie des approximations et comble des oublis, dans une recherche permanente. »
A ses yeux, cette reconnaissance de la part d’une très grande chercheuse aragonienne valait légitimation pleine et entière de son travail.
Mais ce travail était inextricablement mêlé à deux des grandes passions de sa vie : la politique et la bibliophilie. Tombé à l’adolescence dans la pratique systématique des « œuvres complètes » d’un auteur, avec le cadeau des dix tomes du Balzac dans la Pléiade fait par sa mère et sa sœur au fil de Noëls et d’anniversaires consécutifs, il se passionne rapidement pour la Révolution française, lit « tout Zola », beaucoup d’Anatole France, Voltaire, Hugo… Le cadeau de noces de sa femme, la reliure de la moitié de ses Anatole France, cadeau dont ceux qui connaissaient un peu Georges l’ont entendu parler avec émotion, marque le début de son goût pour le « beau livre ». Nous voudrions ici faire écouter Georges lui-même lorsqu’il évoquait ses passions. Ces mots sont extraits de son introduction au legs de ses bibliothèques à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, introduction qu’il nous avait fait l’amitié de nous transmettre.
« Soyons clair : je ne recherche toujours pas particulièrement les tirages numérotés, sur grand papier, avec riche reliure, bien que je ne crache absolument pas sur ce genre de beauté ou de rareté. Par contre, ce qui m’attire, m’émeut, me fait vibrer, c’est le côté vivant du livre daté de sa première parution ; tel que ses premiers lecteurs (et l’auteur lui-même !) l’ont découvert. Bien sûr, il est dans ce cas, souvent numéroté. C’est encore plus émouvant s’il est dédicacé !
De proche en proche, grâce à Jean ALLEMANE, mais aussi grâce au très bel ouvrage de Jean BRUHAT, Jean DAUTRY et Emile TERSEN sur la Commune, et a fortiori grâce à mes opinions de plus en plus consciemment révolutionnaires, je m’intéressai à la Commune de Paris en 1871, une des trois périodes selon moi, avec la Révolution française et la décennie 1936-1946, où les citoyens français « actifs » * (au sens habituel de ce mot et non au sens que la bourgeoisie donna à « ses » électeurs ») eurent le plus l’occasion, et même l’obligation, de CREER, d’INNOVER. Lorsqu’on se penche sur le travail du Grand Comité de Salut Public en 1793-94, ou sur les décisions de l’Assemblée de la Commune de Paris en 1871 ou encore sur les réalisations du Front Populaire et du Gouvernement issu de la Résistance, on est époustouflé. Ceci par différence d’avec ce qu’on appelle aujourd’hui l’Histoire du temps long (également fort intéressante mais différemment ; prière de ne pas me faire dire ce que je n’ai pas dit !), il s’agit alors d l’Histoire du temps rétréci, serré, de l’Histoire la plus DENSE que je connaisse et créant intensément du NEUF.
J’ai ainsi passé des années à dévorer des ouvrages sur la Commune et, comme nombre d’entre eux n’étaient pas réédités, j’ai plongé dans la bibliophilie (mot un peu prétentieux mais je n’en connais pas d’autre).
(…) C’est de la même façon que, vers mes 40 ou 45 ans, je devins amoureux d’ARAGON puis, quelque temps plus tard, d’Elsa TRIOLET. C’était au départ très lié à la période de la Résistance pour s’élargir ensuite à toute leur œuvre. J’entrai dans le monde aragonien étant déjà épris de beaux livres, d’éditions originales… Quel renversement ! Il faut dire que le cordon de la bourse y fut pour quelque chose : il était bien serré en début de carrière, moyennement serré au milieu de la vie (payant l’appartement, élevant les enfants) et devint plus lâche sur la fin. »
Quant aux raisons de son legs, Georges en invoquait deux : d’une part le vœu que son « TRAVAIL (c’en était un) » ne soit pas dispersé, et d’autre part, la volonté de rendre ce qu’on lui avait donné. Il s’en expliquait ainsi :
« J’ai été boursier pendant mes études dites supérieures. C’est grâce à cette bourse que j’ai poursuivi mes études ; ma mère que j’ai rejointe l’année du bac, n’aurait pu y subvenir. Grâce à cette bourse, j’ai eu ce qu’on appelle un « bon métier », partant un « bon salaire » puis une « bonne retraite », grâce à quoi j’ai pu constituer ces bibliothèques. Il convient, selon moi, de RENVOYER L’ASCENSEUR : ces livres doivent être le bien, la propriété, de mes concitoyens. »
Cette grande générosité, ce sens du collectif, se manifestaient aussi lorsqu’il nous ouvrait généreusement sa bibliothèque, dans laquelle c’est nous qui étions cette fois des « squatteurs ».
Respect, Georges…