Aragon à l’international, appel à contributions (RCAET n° 16)

Publié par C. G. le

Coordonnateurs : Erwan Caulet (Université Paris-I/CNRS, Centre d’Histoire sociale du XXe siècle), Corinne Grenouillet, (Université de Strasbourg, EA 1337 « Configurations littéraires »), Patricia Principalli, (Université Paris-Est Créteil, EA 4384, CIRCEFT-Escol, Paris 8 et UPEC)


Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet
(RCAET) consacrera son prochain volume (n° 16) à la réception d’Aragon à l’international.
Qu’Aragon fut un inlassable promoteur des cultures étrangères, nul ne l’ignore, au regard des multiples activités de traduction, d’édition ou de critique qu’il consacra aux littératures étrangères. En atteste le colloque consacré en 1992 à « Aragon, Elsa Triolet et les cultures étrangères », qui contribua à dresser un premier état des lieux. Car Aragon s’est toujours montré particulièrement ouvert aux cultures de l’Autre ; il s’est nourri des cultures russe, espagnole, allemande ; il a traduit La Chasse au Snark de Lewis Caroll (1928) ou A pleine voix de Maïakovski (1933), a révisé les traductions de nombreux auteurs publiés dans la collection « Littératures soviétiques », n’a cessé d’insérer dans sa prose des traductions partielles de Shakespeare, Pouchkine, Cummings ou Hölderlin et d’imiter des poètes étrangers (Johanne Le Ray, RCAET n° 15) ; il parlait et lisait plusieurs langues étrangères dans le texte, avait même pris des cours de malais dans les années 1920. René Depestre, qui se définit comme un écrivain du Sud, peut ainsi justement parler de la « mondialité d’Aragon en matière de culture et de civilisation » (RCAET n° 14, p. 223).
Mais si l’on peut évoquer une incorporation de la culture mondiale par Aragon, peut-on observer, à l’inverse, une influence d’Aragon sur cette dernière ? Certains travaux ont déjà souligné que son œuvre fut elle-même une source d’inspiration, dans des cultures européennes ou plus lointaines : John Bennett a montré la complexité de la reconnaissance de la voix d’Aragon résistant en Angleterre, Anne Roche a analysé la lecture du Paysan de Paris par Walter Benjamin, Sankishi Inada puis Michel de Boissieu ont mis en évidence le rôle de l’écrivain dans la production japonaise, lié à des circonstances historiques particulières.
Par ailleurs, Aragon fut l’un des rares écrivains à rendre hommage, dans ses romans (Les Communistes) et sa poésie (« Cantique aux morts de couleur », 1949 ou « Dominos d’ossements que les jardiniers trient », 1956) à la vaillance et au sacrifice des soldats africains pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le même temps, il rencontre les écrivains d’Afrique noire, le Guinéen Fodéba Keïta par exemple (Corinne Grenouillet, RCAET n° 13). A partir du milieu des années 1950, plus de 80 articles consacrés à la littérature maghrébine d’expression française parurent dans le journal d’Aragon, Les Lettres françaises, qui célébra le poète algérien Mohammed Dib et accorda une large place aux écrivains algériens Mouloud Feraoun, Kateb Yacine et Abdelkhébir Khatibi ainsi qu’au Tunisien Albert Memmi.
Cet intérêt d’Aragon pour la littérature étrangère d’expression française a été réciproque, et l’est encore. En 1955, le monde littéraire caribéen s’enflamma pour une polémique déclenchée par la publication du Journal d’une poésie nationale : le jeune poète haïtien René Depestre et le poète martiniquais Aimé Césaire croisèrent le fer, le second accusant le premier de se placer sous la tutelle des enseignements théoriques d’Aragon, comme l’ont montré Maryse Condé, et après elle Romuald Fonkoua et Anne Douaire-Banny. Récemment, Béatrice N’Guessan Leroux, Anthony Mangeon ou Nyunda ya Rubango ont observé la place d’Aragon dans la production congolaise, plus particulièrement chez Mukala Kadima-Nzuji (La Chorale des mouches, 2003) et chez Henri Lopes, dont Le Lys et le flamboyant (1997) fait entendre l’écho de La Mise à mort (1965).
Tahar ben Jelloun déclare, de son côté, avoir été bouleversé par ses poèmes « largement inspirés de la poésie amoureuse des Arabes d’Andalousie » (Le Bris et Rouaud, p. 114). L’auteur du Fou d’Elsa (1963), dont l’écriture métissée s’appuie sur les langues et les cultures orientales (Hervé Bismuth, Ridha Boulaâbi), ne pouvait que rencontrer un fort écho parmi les écrivains et les lecteurs arabes. Rania Fathy, travaillant aujourd’hui sur la littérature égyptienne d’expression française, dont l’œuvre de Gulpérie Efflatoun, évoque en effet un « vrai engouement pour Aragon marquant toute une génération d’écrivains et de lectorat arabes », et voit même son œuvre comme « porteuse de prémices d’une littérature-monde avant la lettre ».

Ces travaux nous paraissent ouvrir une voie féconde dans la recherche aragonienne, que nous voudrions explorer davantage, en interrogeant certains aspects de la réception d’Aragon à l’international. Nous souhaiterions notamment accorder une place particulière aux relations d’Aragon à la littérature francophone. Les pistes seraient les suivantes :
– Les zones francophones : Aragon occupe-t-il une place particulière, et laquelle, chez les auteurs étrangers d’expression française ? Qu’en est-il au Moyen-Orient, en Afrique et dans les Caraïbes, mais aussi au Québec ou en Europe?
– Les textes traduits : Aragon a-t-il été traduit, comment, par qui, où ? Certaines aires culturelles sont-elles plus particulièrement concernées, et pourquoi ? Certaines œuvres sont-elles privilégiées, d’autres sont-elles au contraire omises ? Favorise-t-on plutôt la poésie ou plutôt l’œuvre romanesque ? En quoi les choix de traduction opérés sont-ils révélateurs d’une interprétation de l’œuvre et de l’homme, et/ou de son engagement, mais aussi des modalités d’importation et de réception dans le pays d’accueil, telles qu’elles sont étudiées par les Translation studies ? Quelles sont les raisons de son éventuelle absence dans certains espaces ?
– La présence dans le cursus scolaire et/ou universitaire : Aragon est-il représenté dans l’enseignement, figure-t-il dans des préconisations parmi d’autres auteurs étrangers et lesquels, dans des manuels scolaires ou dans des programmes d’enseignement ?
– Le rôle de la chanson : en France Ferré, Ferrat ou Brassens ont largement contribué à populariser la poésie aragonienne auprès de toute une génération ; plus de 150 poèmes ont fait l’objet de mises en chanson, que reprennent des interprètes plus récents ; la mise en chanson de poèmes d’Aragon existe-t-elle ailleurs ? A-t-elle eu, comme en France, un rôle de diffusion de l’œuvre de l’écrivain ?
– Le rôle du politique : unis dans un même combat, réunis dans des congrès internationaux, les écrivains ou artistes étrangers communistes amis du couple Elsa Triolet-Aragon (l’Espagnol Rafael Alberti, le Chilien Pablo Neruda, le Brésilien Jorge Amado, l’Italien Alberto Moravia, pour ne citer qu’eux) ont-ils, lorsqu’ils ont pu le faire, joué un rôle spécifique dans la diffusion et la réception de son œuvre dans leur pays d’origine ?
– La filiation aragonienne : quels écrivains étrangers Aragon et ses œuvres ont-ils influencés (et influencent-ils aujourd’hui encore) ? Quels auteurs ont noué un dialogue littéraire avec lui dans leurs œuvres propres, l’ont cité, s’en sont inspiré en reprenant et poursuivant des thèmes ou des figures qu’il a initiés ? Y a-t-il des textes qui le mettent en scène comme écrivain ?

La classicisation d’Aragon en France semblant accomplie, c’est en somme la présence et la place d’Aragon dans le champ littéraire mondial que ce volume entend interroger.

Bibliographie indicative :

Ouvrages généraux :
Pascale Casanova La République mondiale des lettres, Seuil, 1999, 512 p.
Johan Heilbron et Gisèle Sapiro (éds), Traduction : les échanges littéraires internationaux, Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 144, septembre 2002.
Michel Le Bris Michel et Jean Rouaud (dir), Pour une littérature monde, Gallimard, Paris, 2007.
Gisèle Sapiro (dir.), La Traduction comme vecteur des échanges culturels internationaux. Circulation des livres de littérature et de sciences sociales et évolution de la place de la France sur le marché mondial de l’édition (1980-2002), Rapport de recherche, Centre de sociologie européenne, 2007.
Gisèle Sapiro, Translatio. Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, Paris, Éditions du CNRS, coll. « Culture et société »,‎ 2009, 432 p.


Ouvrages et articles sur Aragon :
John Bennett, Aragon, Londres et la France libre. Réception de l’œuvre en Grande-Bretagne, 1940-1946, L’Harmattan, 1998.
John Bennett, « Aragon et l’Angleterre pendant la Deuxième Guerre mondiale », Aragon, Elsa Triolet et les cultures étrangères, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000, p. 25-51.
John Bennett, « Aragon et … encore !… André Breton », Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet n° 7, Presses Universitaires franc-comtoises, 2001, p. 77-90.
Hervé Bismuth, Le Fou d’Elsa : Métissages linguistiques et discursifs, Éditions Universitaires de Dijon, coll. « Écritures », 2007, 200 p.
Michel de Boissieu, « Une lecture de La Semaine sainte au Japon », Aragon, trente ans après : Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet n° 15, Presses Universitaires de Strasbourg, 2014, p. 17-23.
Ridha Boulaâbi, L’Orient des langues au XXe siècle, Aragon, Ollier, Barthes, Macé, Paris, Geuthner, 2011, 537 p.
Maryse Condé, « Fous-t-en Depestre, Laisse dire Aragon », The Romanic Review, 1-2 (January-March 2001), 92, p. 177-85
René Depestre, « Témoignage », Aragon et Les Lettres françaises, Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet n° 14, Presses Universitaires de Strasbourg, 2013, p. 221-224.
Anne Douaire-Banny : « « Sans rimes, toute une saison, loin des mares ». Enjeux d’un débat sur la poésie nationale », À la littérature, site personnel de Pierre Campion, http://pierre.campion2.free.fr/douaire_depestre&cesaire.htm, mai 2011.
Rania Fathy, « Ecrire en français : le cas de la littérature égyptienne d’expression française », Faire vivre les identités : un parcours en francophonie, Paris, Archives contemporaines, 2011, p. 61-69.
Romuald Fonkoua, « L’invention d’un art poétique nègre. Contre le larbinisme », chapitre VI de Aimé Césaire (1913-2008), Perrin, 2010.
Corinne Grenouillet, « Soldats africains et question coloniale dans l’œuvre d’Aragon », Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet n° 13, Presses Universitaires de Strasbourg, 2011, p. 59-79.
Sankichi Inada, « De l’influence des œuvres d’Aragon sur la culture du Japon d’après-guerre », Aragon, Elsa Triolet et les cultures étrangères, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000, p. 77-86.
Johanne Leray, « Aragon et l’expérience de l’étranger : la traduction comme laboratoire de la création », Aragon, trente ans après, Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet n° 15, p. 89-102.
Anthony Mangeon, « Henri Lopes au miroir d’Aragon », Crimes d’auteur. De l’influence, du plagiat et de l’assassinat en littérature. Paris, Hermann, coll. Fictions pensantes, 2016, p. 89-108.
Béatrice N’guessan-Larroux, « Croisements romanesques : Aragon au Congo », Aragon, trente ans après : Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet n° 15, Presses Universitaires de Strasbourg, 2014, p. 25-40.
Léon Robel, « La langue, la littérature et la culture russes dans l’œuvre d’Aragon », Aragon, Elsa Triolet et les cultures étrangères, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000, p.141-170.
Anne Roche, « Le Paysan de Berlin : Le Paysan de Paris lu par Walter Benjamin », Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet n° 8, Presses Universitaires de Strasbourg, 2002, p. 177-186.
Nyunda ya Rubango, « Mukala Kadima-Nzuji à l’école de Genette et d’Aragon. Une lecture de La Chorale des mouches », Trajectoires et identités des lettres congolaises : Hommage à Mukala Kadima-Nzuji, textes réunis par Maurice Amuri Mpala-Lutebele, Éditions de l’Harmattan, coll. « Compte rendu », 2015.
James Steel, « Ondes hertziennes : correspondances et résonances entre la BBC et certains écrits d’Aragon et d’Elsa Triolet en 1942-1943 » ; Aragon, Elsa Triolet et les cultures étrangères, Presses Universitaires Franc-Comtoises, 2000, p. 183-197.
Agnès Whitfield, « La traduction américaine des Voyageurs de l’impériale
par Hannah Josephson », Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet n° 12, p. 149-176.
Jeanne Wiltord, « Habiter « le pan d’un grand désastre » », La Célibataire. Revue de psychanalyse clinique, logique, politique, nº 12, printemps 2006

Sitographie :

Bibliographie des articles parus dans Les Lettres françaises au sujet d’écrivains du Maghreb, LIMAG (Littératures du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), site animé par Charles Bonn

Les propositions de contributions, d’environ 300 mots, accompagnées d’une bio-bibliographie, sont à envoyer d’ici le 15 septembre 2016 à Erwan Caulet : erwan.caulet@laposte.net, Corinne Grenouillet : corinne.grenouillet@unistra.fr et Patricia Principalli : patricia.richard-principalli@u-pec.fr.
Les articles définitifs seront à remettre avant le 15 mars 2017 pour une évaluation en double aveugle par le comité de lecture des Recherches croisées Aragon Elsa Triolet et le comité de lecture des Presses Universitaires de Strasbourg.