La Défense de l’Infini : synopsis par Lionel Follet

Publié par C. G. le

Article publié le 6 avril 2005


Période de rédaction : Aragon en commence l’écriture à Giverny, au début de mai 1923. Il y travaille irrégulièrement pendant plusieurs années, montrant et cachant à la fois à ses amis ce roman que Breton désapprouve. Il en détruit partiellement le manuscrit à Madrid, au début de novembre 1927. Il publie anonymement, en avril 1928, Le Con d’Irène, roman  » érotique  » qui rassemble plusieurs fragments de l’ouvrage détruit.

Édition présentée : Gallimard, collection  » Les Cahiers de la NRF « , mars 1997, édition renouvelée et augmentée par Lionel Follet (LXX + 570 pages). Cette édition est la seule à publier dix-neuf chapitres sauvés par Nancy Cunard, et retrouvés dans ses archives. Elle rassemble aussi des textes annexes que de nombreux liens unissent à La Défense de l’infini : Je te déteste, univers, les deux Mauvais Plaisant, etc. Une longue préface et un dossier final font le point sur les multiples problèmes que pose le roman.
[N.B. La première édition étant épuisée, j’ai pu faire paraître en 2002, dans la même collection, une « Seconde édition révisée » qui rectifie un certain nombre d’erreurs, et donne en particulier le texte exact de « Lyons-la-Forêt », dont Aragon avait interverti deux pages dans L’Œuvre poétique. C’est cette seconde édition qui fait foi désormais.
L. F.]

Édition originale (posthume) : Gallimard, collection Blanche, novembre 1986, édition présentée et annotée par Édouard Ruiz. Comporte les cinq eaux-fortes gravées par André Masson pour Le Con d’Irène en 1928. Un édition reliée du même texte a paru en même temps chez Messidor (elle figure désormais au catalogue Stock).

Éditions disponibles : outre les deux éditions décrites ci-dessus, le tome I des Œuvres romanesques complètes, Gallimard,  » Bibliothèque de la Pléiade « , avril 1997, publié sous la direction de Daniel Bougnoux, reprend le contenu de l’édition Ruiz dans un ordre différent.

Contenu : ce  » roman des romans  » auquel Aragon a travaillé pendant plus de quatre ans, avant de souhaiter l’anéantir, est une œuvre inclassable. Son architecture même et l’étendue réelle qu’il avait atteinte nous échappent, sans doute à jamais. Aragon a parlé de quinze cents pages écrites, de cent personnages mis au monde, chiffres qu’on peut juger hyperboliques ; mais l’ampleur et l’ambition de l’ouvrage ne font aucun doute.
Même les raisons de sa destruction restent problématiques : ni la désapprobation des surréalistes, ni les réticences supposées de Nancy Cunard, ne sauraient l’expliquer. La Défense de l’infini, entreprise sous le signe de  » la plus folle démesure « , semble avoir croulé sous son propre poids ; et le geste de désespoir qui l’anéantit figure un véritable suicide littéraire – prélude à une tentative réelle ratée de peu, l’année suivante à Venise.
Les fragments qui ont survécu à  » l’autodafé  » de Madrid (environ trois cents pages dans l’édition présentée, à quoi s’ajoutent deux cents pages de textes annexes) suffisent à attester l’importance de l’œuvre, et son caractère exceptionnel. La Défense de l’infini se voulait  » le comble et la négation du roman  » traditionnel : non pas le déroulement convenu d’une histoire suivie, mais un tissu de parenthèses et de digressions. Chaque personnage surgi par la porte battante d’un chapitre y suscite une intrigue nouvelle ; la voix sarcastique du scripteur s’interpose soudain pour apostropher le lecteur, ou commenter l’écriture en acte ; un poème, un texte  » automatique « , viennent rappeler que pour l’auteur il n’est pas de frontière entre lyrisme et fiction. La phrase aragonienne déploie sa puissance de trouble et de séduction, de la sensualité frémissante à la provocation la plus atroce. Cette esthétique de la confusion des genres, cette audace maîtrisée de la polyphonie, fondent l’étonnante modernité d’un grand texte tragique, écrit sous le signe du malheur d’aimer.
Les pages survivantes de ce chef-d’œuvre mutilé montrent combien il a nourri l’écriture ultérieure d’Aragon : le roman de société revisité dans le cycle du Monde réel, la luxuriance narrative de La Semaine Sainte, ou la polyphonie baroque de Théâtre / Roman, explorent chacun dans son registre propre les pistes ouvertes par La Défense de l’infini.

Études et articles de référence :
Alain Trouvé, Le Lecteur et le livre-fantôme, Essai sur La Défense de l’infini de Louis Aragon, Éditions Kimé, mai 2000.
(L.F.)