En hommage à Pierre Daix, revue de presse, par Patricia Principalli
La presse a rendu immédiatement un hommage appuyé à Pierre Daix, en saluant à la fois son humanisme profond, son honnêteté politique, ses apports critiques sur l’art du XXe siècle et sa proximité avec les grands artistes du XXe siècle, tout particulièrement Picasso.
De nombreux journaux ont ainsi repris le jour même ou le lendemain le texte de la dépêche AFP, tel quel, ou plus ou moins adapté, résumé ou glosé et complété, par exemple :
–Libération du 2 novembre, «Décès de l’écrivain Pierre Daix »,
–La Montagne du 2 novembre, « Pierre Daix, témoin du XXe siècle et spécialiste de Picasso, vient de mourir »,
–La Charente libre du 2 novembre, « Décès de l’écrivain et journaliste Pierre Daix »,
–La Libre du 2 novembre, « Pierre Daix, témoin du XXe siècle et spécialiste de Picasso, vient de mourir » ,
–La Dépêche du Midi du 3 novembre, « Pierre Daix, écrivain et résistant, est décédé »,
–Paris Match du 3 novembre, « Pierre Daix. L’hommage de son amis François Pinault »,
–Connaissance des arts du 3 novembre, « Décès de Pierre Daix, spécialiste de Picasso »,
–Le Télégramme du 3 novembre, « Décès de l’écrivain Pierre Daix »,
ou même Gala du 2 novembre, « L’historien d’art Pierre Daix est mort ».
Cette dépêche retrace :
– les différentes étapes de la vie de Pierre Daix (l’adhésion au PCF, la Résistance, la déportation à Mauthausen, l’appartenance au cabinet du ministre Charles Tillon à la Libération, le rôle à Ce soir et aux Lettres françaises), en signalant sa préface à la première traduction française d’Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne,
– la rupture avec le PCF en 1971 (« »Je m’étais manipulé moi-même : un comble pour quelqu’un qui avait reçu une formation d’historien! ». « Le marxisme ne veut plus rien dire à partir du moment où il désigne en même temps l’invasion de la Tchécoslovaquie et la résistance socialiste à la normalisation », affirme-t-il en 1976. »),
– ses écrits autobiographiques et sa biographie d’Aragon (« Les Hérétiques du PCF (1980), Aragon (1975) ou Bréviaire pour Mauthausen (prix François Mauriac 2005). Pierre Daix était enfin l’auteur de nombreux romans comme La Dernière Forteresse (1950), Classe 42 (1951), Les Chemins du printemps (1979), L’Ombre de la forteresse (1990), Quatre jours en novembre (1994) »),
– son amitié avec Picasso et ses écrits sur l’art (en plus de Picasso, « le cubisme, Manet, Rodin, Gauguin, Hartung, Soulages, les surréalistes, Zao Wou-ki, Matisse, Alechinsky ou le collectionneur et homme d’affaires François Pinault »).
Des articles plus développés et personnels rendent un hommage vibrant à Pierre Daix. C’est d’abord L’Humanité du 3 novembre , qui choisit d’ouvrir et refermer l’article par la métaphore du cœur qui bat, dans le titre allusif, (« son cœur, de battre, n’avait jamais cessé »), filée par la citation finale de l’article : « Il y a quelques années, nous l’avions sollicité pour qu’il nous écrive un texte, d’une belle longueur, sur Picasso à l’occasion d’une série. Il l’avait fait avec une affabilité dont on se souvient encore. Il nous semblait entendre dans ses paroles, comme dans les Visiteurs du soir, le film de Carné, “un cœur qui bat, qui bat” ». Maurice Ulrich replace Pierre Daix dans le contexte de l’après-guerre, qui éclaire l’aveuglement qui fut celui de beaucoup, insiste sur sa profonde honnêteté et sa lucidité, tout en soulignant la relation profonde qui l’unissait à Aragon et à Elsa Triolet. Il rappelle l’affaire du portrait de Staline et rapporte les propos de Daix lavant le couple de tout soupçon de stalinisme : « Daix fait justice des accusations de stalinisme dont Aragon est l’objet. Dans la remarquable biographie qu’il a consacrée à ce dernier en 1994, Daix fait aussi justice des accusations de stalinisme dont il est si facilement l’objet, à la faveur il faut bien le dire d’une méconnaissance ne serait-ce que de poèmes comme “La Nuit de Moscou”. En février 1953, Aragon et Elsa Triolet reviennent de Moscou où règne une atmosphère délétère et antisémite liée à ce qu’on a appelé « le procès des blouses blanches », accusant faussement des médecins juifs de complot. Daix, qui les accueille au Bourget, raconte : « Durant le bref chemin jusqu’à la voiture, ils laissèrent éclater leur colère. Je fus abasourdi de la véhémence de leurs propos. Ils me mirent ce jour-là en présence du stalinisme – du moins m’en suis-je rendu compte plus tard. ».
Le Monde, après l’annonce du décès le 2 novembre, consacre dans l’édition datée du 4 novembre deux articles à Pierre Daix. Dans « Pierre Daix (1922-2014), écrivain et historien de l’art », Thomas Wieder dénoue les apparents paradoxes de son parcours : « On peut, dans une même vie, adorer Staline puis vénérer Soljenitsyne. Se lier d’amitié avec Picasso et avec François Pinault. Diriger le plus grand hebdomadaire communiste de son temps (Les Lettres françaises) avant d’écrire pour un journal ouvertement libéral (Le Quotidien de Paris). Publier des essais sur Matisse, Aragon ou Rodin aussi bien que sur Manet, Braudel ou Zao Wou-ki. Être, enfin, un mémorialiste d’une extrême exigence avec soi-même après avoir été un militant d’une intransigeance parfois injuste envers les autres. Mort dimanche 2 novembre à l’âge de 92 ans, Pierre Daix fut tout cela à la fois. » L’article développe ensuite le parcours politique de Daix, en détaillant l’engagement dans la Résistance, la déportation, la position au sein du Parti communiste où il « oscille entre allégeance aveugle et dissidence courageuse » avant de rompre définitivement.
C’est à l’amitié profonde et durable entre Pierre Daix et Picasso que s’attache de son côté Philippe Dagen dans « Pierre Daix, l’ami de Pablo Picasso ». Il en retrace l’origine (l’émotion partagée lors de la visite du ghetto de Varsovie et du camp d’Auschwitz, pendant le Congrès des intellectuels pour la paix, à Wroclaw, en 1948, dont Picasso est l’invité d’honneur), rappelle le rôle joué par Daix au sujet du portrait de Staline dans Les Lettres françaises, montre comment il devient « progressivement l’historien de l’art de son ami, son meilleur connaisseur en France et l’un des meilleurs au monde », publie des études incontournables sur l’œuvre de Picasso (une biographie, le Dictionnaire…). Son dernier geste : la visite du Musée Picasso quelques jours avant sa mort, en compagnie de François Pinault.
Philippe Tesson avec « Pierre Daix, vie et destin », publié dans Le Point du 6 novembre, montre lui aussi un parcours marqué par « l’engagement » : « il avait été dès sa jeunesse
happé par les mâchoires de l’Histoire. Car la vie de Pierre Daix fut d’abord une vie engagée : une vie politique dans son temps. ». Communiste, Résistant, déporté, directeur de rédaction des Lettres françaises (l’une des trois photos qui illustrent l’article représente Pierre Daix auprès d’Aragon aux Lettres Françaises en 1969) d’abord « à l’avant-garde contre la propagande anticommuniste » avant de devenir « une institution trop rebelle » pour ne pas être sabordée, journaliste à Combat et au Quotidien de Paris, auteur de Dénis de mémoire, Pierre Daix est vu par Philippe Tesson comme se dégageant progressivement et de plus en plus de l’emprise communiste, enfin « libéré du faux soleil d’octobre 1917 ». Le rôle joué auprès de Picasso et de l’art en général, généralement salué par tous, n’est marqué ici que par une photo de Daix avec Picasso, en 1953.
Pierre-Louis Basse s’adresse fraternellement et directement à Pierre Daix dans Libération du 12 novembre , retenant l’espoir pour leçon de cette longue vie pleine d’épreuves : « D’abord, la voix de Pierre Daix. Cette voix si grave et rocailleuse, à force d’avoir charrié toutes les contradictions d’un siècle. Tous les courages. Toutes les utopies et les poésies rassemblées.
Tous les peintres et les communistes. Toutes les désillusions. Tous les stalinismes et les trahisons. Mais aussi et malgré tout, jusqu’à la nuit de ta vie : tous les espoirs. » Et c’est un extrait de « La Nuit de Moscou » d’Aragon qui clôture l’article, donnant son titre à l’article, « Pierre Daix, sourire de fin ».
D’autres articles mettent en évidence certains aspects du parcours de Pierre Daix, dont la chaleur, les qualités humaines et la culture font consensus, avec une variabilité liée à l’ancrage politique du journal et de l’auteur de l’article et/ou au lectorat visé.
Est ainsi montré tour à tour un vrai communiste, qui a rompu avec le stalinisme, un humaniste lucide qui s est rendu compte qu’il s était trompé, un homme dont l’art et les artistes ont constitué l’essentiel de la vie, ou un homme dont on ne peut que saluer le parcours long et diversifié.
Jean André Chérasse dans un article de Mediapart du 2 novembre, « Pierre Daix, un vrai communiste » insiste sur « son intégrité militante », qui le fit rompre avec le « communisme soviétique » : « Pierre Daix, communiste exemplaire, n’avait pas supporté le dévoiement stalinien de la bureaucratie du PCF et le négationnisme de l’appareil ».
Dans La Croix du 2 novembre, dans « Mort de Pierre Daix, intellectuel engagé et ami de Picasso », Sabine Gignoux rend compte de la belle humanité de Pierre Daix, cet « homme passionnant et chaleureux », souligne tout autant son courage que ses apports à l’histoire de l’art, mais évoque Aragon, le « grand ami » directeur des Lettres françaises dont il fut le rédacteur en chef pour rapporter une terrible phrase de Daix sur le vieil homme qu’il était devenu, « ce vieillard gâteux, rentré dans le rang, marchant aux côtés de Georges Marchais ».
Avec l’article « L’historien d’art Pierre Daix est mort », le magazine Gala du 3 novembre, rapporte sous la plume de Pauline Gallard les « mille vies » de Pierre Daix, de son engagement au PCF et de sa déportation à « sa contribution à l’art et à sa démocratisation » récompensée par le prix Georges-Pompidou en 2003.
Quant aux auteurs de « Pierre Daix était un “homme libre, généreux, ouvert, combatif” »
publié par Le Figaro du 3 novembre, ils occultent l’aspect politique de la vie de Pierre Daix, ainsi que le lien avec Aragon, en focalisant sur sa relation à Picasso : le Dictionnaire Picasso publié en 1995, l’hommage de l’ex-directrice du musée Picasso Anne Baldassari, et l’hommage du président de la République concernant ses apports sur l’art. Ils rapportent en outre les brèves déclarations de Manuel Valls et de Fleur Pellerin.
L’amitié avec François Pinault est souvent soulignée, pour illustrer l’étroite relation de Daix à l’art (Pinault étant le patron mécène que l’on sait) et/ou pour montrer l’ouverture d’esprit de celui qui est parfois désigné comme un ancien stalinien converti à la droite (certains articles soulignent sa participation au Quotidien de Paris, journal libéral). Les déclarations de François Pinault sont d’ailleurs rapportées à plusieurs reprises, notamment dans Le Point du 2 novembre
(intégralement), La Croix du 2 novembre , Paris Match du 3 novembre.
Voir l’hommage de Reynald Lahanque , reproduit ici à la demande de l’auteur :
De Pierre Daix, ce n’est pas l’indispensable biographie d’Aragon que j’ai d’abord connue, mais ses témoignages sur son expérience de militant, ainsi que ses analyses du communisme réel. J’ai cru au matin et Le socialisme du silence, publiés en 1976, ont été pour moi des lectures marquantes. Ces deux livres, tout de sincérité et de rigueur, projetaient une lumière crue sur le sens et les affres de l’engagement, et ils amorçaient le bilan d’un immense désastre historique, au moment où venait de paraître en France L’Archipel du Goulag. Et c’est Pierre Daix qui avait contribué à faire entendre une première fois la voix de Soljenitsyne, en obtenant que soit publié Une journée d’Ivan Dénissovitch. Le très jeune résistant communiste avait connu la prison et la déportation, le survivant avait consacré toutes ses forces à la défense de son idéal, et voici que cet idéal était bafoué par les camarades eux-mêmes. Il fallait du courage pour d’abord demeurer fidèle, et plus de courage encore pour s’éloigner, et pour aller aussi loin que possible dans l’examen de ce qui était advenu, ici et là-bas. Daix aura ce courage, en publiant des livres comme Les Hérétiques du PCF, Le Futur indocile ou Tout mon temps.
Rédacteur en chef des Lettres françaises dans l’après-guerre, très proche collaborateur d’Aragon, et jouissant de l’amitié d’Éluard et de Picasso, il avait pris toute sa part dans les combats idéologiques et culturels du Parti. Responsable littéraire de La Nouvelle Critique, il avait contribué à théoriser et à diffuser la version française du réalisme socialiste. Ce qu’on sait moins, semble-t-il, c’est qu’avec les quatre volumes de Classe 42 (1951-1953) il a aussi écrit un vaste roman politique qui, à bien des égards, reprenait les choses là où Aragon les avait laissées : le premier volume paraît au moment où l’auteur des Communistes renonce à poursuivre son entreprise, et il s’ouvre sur la débâcle de mai-juin 40, sur laquelle s’achevait le cycle d’Aragon. C’est Daix qui écrit le roman attendu, le roman de la Résistance et des héros communistes, en couvrant non toute la guerre, mais la période qui va des premières heures de l’Occupation à la bataille de Stalingrad (février 1943). C’est-à-dire la période qu’il a lui-même vécue, comme membre de l’Organisation secrète, jusqu’à son arrestation. Il savait, mieux que personne, qu’il risquait ainsi de heurter la vulgate officielle qui attribuait à la direction du Parti le mérite entier de la lutte, d’autant qu’il allait avoir très vite la confirmation de la mise à l’écart des « francs-tireurs », avec l’éviction de Charles Tillon (le chef glorieux des FTP, devenu ministre de l’Air à la Libération, et qui avait fait du jeune Pierre Daix, à peine revenu de Mauthausen, son chef de cabinet). Mais pour l’essentiel, il a joué le jeu, en magnifiant « le parti antinazi » et en minimisant la part des initiatives prises par les pionniers de la lutte armée : Classe 42 met en scène l’inlassable travail d’éducation politique, de mise au pas, destiné à canaliser l’enthousiasme de très jeunes gens, leur volonté d’en découdre. Ce faisant, tout en donnant systématiquement raison aux cadres du Parti, il rencontre en chemin des questions sensibles, qui touchent à la liberté que se sont arrogée les premiers activistes, dès l’été 40, à l’absence de préparation à la lutte armée par la direction, au caractère tardif de la décision de recourir aux attentats, au défaut prolongé de directives à l’intention des néophytes entrés dans la clandestinité, aux habitudes prises d’avoir à se débrouiller seuls. Tout cela que le roman ne peut dire en clair, mais qu’il effleure, si bien que les deux derniers volumes seront tièdement accueillis par L’Humanité et très froidement par Jacques Duclos : celui-ci avait dû comprendre ce qu’il y avait de dénégation dans une formule comme « l’illégalité n’est pas une école ».
La suite de son histoire personnelle, la déportation à Mauthausen, Daix l’avait racontée dans La Dernière Forteresse (1950), en faisant du Parti « le recours suprême » et en poussant très loin « l’idéalisation des Soviétiques » (ce sont ses termes). Faute de pouvoir le réécrire (comme Aragon l’avait fait des Communistes) tant le point de vue stalinien l’imprégnait de « manière indélébile », il en a opéré une sorte de reprise critique avec L’Ombre de la forteresse, publié quarante ans plus tard (1990). Le réalisme n’est plus, cette fois, un vain mot, mais la leçon qui demeure est celle de l’efficacité de la croyance : que la foi du militant soit tissée de mensonges et d’illusions n’a pas empêché, tout au contraire, qu’elle ait rempli son office salvateur. Celui qui avait fait ses apprentissages décisifs dans les prisons de Vichy et dans l’enfer d’un camp nazi lui doit, pour beaucoup, d’avoir survécu, son témoignage corroborant ce que ses romans nous invitent à déchiffrer.
En signe de reconnaissance, et sachant que Pierre Daix a aussi beaucoup écrit sur la peinture et l’art, je voudrais lui dédier le dernier poème que composa le grand Hokusai : « Tel un fantôme / Je foulerai d’un pas léger / Les champs d’été ».
Voir l’hommage de l’équipe Aragon de l’ITEM
Voir l’hommage de Gallimard
Voir l’hommage de François Pinault (dans Le Point du 2 novembre)
Voir l’hommage de François Hollande
Voir la notice du Maitron