Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet n° 14 (2013)

Publié par C. G. le

couvgrande.jpg

Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet n° 14 : « Les Lettres françaises », ouvrage coordonné par Maryse Vassevière et Luc Vigier, Presses Universitaires de Strasbourg, 2013

Cliquer ici pour lire en ligne sur openedition Les Recherches croisées Aragon/Elsa Triolet publiées aux Presses Universitaires de Strasbourg à partir du numéro 8

Ce volume 14 des RCAET constitue les Actes du colloque « Aragon et Les Lettres françaises » organisé en commun par l’ERITA et l’ITEM à la Maison Elsa Triolet-Aragon les 10 et 11 juin 2011. Pendant plus de vingt ans, jusqu’à l’arrêt brutal de 1972 analysé par Édouard Béguin, Aragon aura dirigé Les Lettres françaises, grand magazine culturel ancré à gauche qui a accompagné le développement culturel des années 1960 jusqu’à mai 1968 (Corinne Grenouillet) et porté la marque de son directeur. Pour Aragon en retour, le travail journalistique aux Lettres françaises aura été l’aliment de la création, grâce à une critique littéraire qui repose sur le principe du « savoir aimer » (Maryse Vassevière). Aragon a été non seulement un grand poète et un grand romancier mais aussi un grand journaliste, un « médiologue » dont Daniel Bougnoux analyse la démarche. C’est ce versant-là, à la fois politique et esthé¬tique, de sa production que ce colloque, qui réunissait des littéraires et des historiens (Yves Lavoinne, Erwan Caulet, François Vignale), a exploré, en donnant aussi la parole à des témoins majeurs comme Pierre Daix, Charles Dobzynski et René Depestre et en n’omettant pas l’importante contribution culturelle d’Elsa Triolet à la vie du journal (Marianne Delranc). Une table ronde aura fait aussi entendre la voix des jeunes chercheuses qui montrent comment Aragon journaliste revisite l’histoire littéraire à l’aune de l’affectif (Josette Lefaure) et examinent le travail d’Aragon critique littéraire dans son dialogue avec Marceline Desbordes-Valmore par exemple (Lina Aghbarian) ou avec Roger Vailland (Emmanuelle Cordenod) et le travail d’Aragon mettant la critique picturale au défi avec Picasso par exemple (Julie Morisson). Enfin Luc Vigier montre la filiation des Lettres françaises d’Aragon dans celles de Jean Ristat dont la publication mensuelle a repris depuis 2004 comme supplément littéraire de L’Humanité.

Table des matières

Maryse VASSEVIERE et Luc VIGIER 9
Avant-propos

Le journal et la vie culturelle

Daniel BOUGNOUX 15
Le goût du journal : Aragon médiologue

Erwan CAULET 27
L’arrivée d’Aragon à la tête des Lettres françaises :
inflexions et continuités

François VIGNALE 43
Louis Aragon et les revues littéraires légales (1940-1942)

Yves LAVOINNE 57
Aragon et l’Unesco 1946. Le spectre du fascisme
D’une polémique à l’autre : de Malraux à Julian S. Huxley

Corinne GRENOUILLET 71
« Papa Aragon » et le « parti de la jeunesse » :
Les Lettres françaises du 15 mai 1968

Le journal et les arts

Maryse VASSEVIERE 95
« Savoir aimer » : une critique littéraire entre mémoire et avenir

Édouard BEGUIN 115
« La valse des adieux » : une fable pour l’avenir

Luc VIGIER 139
Les Lettres françaises de Jean Ristat, roman

Marianne Delranc-Gaudric 151
La contribution d’Elsa Triolet aux Lettres françaises

Table ronde des jeunes chercheurs

Lina Aghbarian 171
Aragon éditeur de Marceline Desbordes-Valmore

Emmanuelle CORDENOD-ROIRON 191
Une curieuse stratégie d’étouffement :
le sort de Roger Vailland dans Les Lettres françaises

Julie MORISSON 199
Une langue de l’art ? la critique picturale au défi

Josette Lefaure-Pintueles 209
Le « temps traversé » contre un « argus » des poètes :
une conception de l’histoire littéraire

Table ronde des témoins

Pierre DAIX 217
Aragon et son journal

René DEPESTRE 221
Témoignage

Charles DOBZYNSKI 225
Un arc-en-lettres

Résumés 237

Table des matières 247

couvgrande.jpg

Résumés des articles

par ordre alphabétique des auteurs


Lina Aghbarian, Nancy. « Aragon éditeur de Marcelline Desbordes-Valmore »

En 1949, Aragon entreprend de publier, en feuilleton, dans Les Lettres françaises, L’Atelier d’un peintre de Marceline Desbordes-Valmore qu’il illustrera et commentera pendant six mois. Deux autres publications concomitantes, les premiers chapitres des Communistes parus dans Les Lettres françaises et la republication du discours Réalisme socialiste et réalisme français de 1937 dans La Nouvelle Critique de mai 1949, nous éclairent sur le sens à donner à son entreprise, en nous procurant la grille de lecture qu’il y applique. Aragon greffe sur le roman de Marceline Desbordes-Valmore son propre roman, et transforme, en mode d’expression, les deux univers, littéraire et pictural, qui s’opposent dans L’Atelier. En mettant ses pas dans ceux de Valmore, Aragon relève la dualité littéraire et picturale de L’Atelier mais projette sur lui la dualité littéraire et politique, une dualité dont il fait part presque à chacun de ses commentaires et presque à chacune de ses illustrations. Il s’agit d’un prodigieux travail de réécriture où le génie d’Aragon rivalise avec son espièglerie. Une réécriture qui prend L’Atelier pour le socle sur lequel il construit son atelier révolutionnaire et dans lequel il dévoile, par l’extraordinaire construction en double, la réalité de la dualité qui constituait l’homme qu’il était. C’est un témoignage en acte sur le rôle instigateur qu’Aragon accordait à l’écrivain ; une mise à nu de son univers et un excellent exemple de l’écriture par collage. Rendre public le secret de sa bibliothèque au prétexte de réhabiliter Valmore, n’est rien d’autre que la publication par Aragon du roman matrice du réalisme français, synthèse de toutes ses amours.

Édouard Béguin, Lyon. « “La valse des adieux“ : une fable pour l’avenir »

Dans le dernier numéro des Lettres françaises, daté du 11 octobre 1972, Aragon choisit de donner, en guise d’ultime éditorial, la nouvelle « La valse des adieux », qui sera reprise plus tard dans le recueil Le Mentir-vrai. Comment comprendre, alors que la cessation de la parution du journal constitue une défaite politique majeure pour l’écrivain, que celui-ci ait décidé de finir par ce texte de fiction, dont le titre est le nom d’une romance oubliée du temps des crinolines ? On s’essaie ici à lire l’éditorial d’Aragon en privilégiant sa nature fictionnelle. Fiction de circonstance, au sens où l’écrivain avait entendu la poésie de circonstance au temps de la Résistance, la nouvelle intervient dans le dispositif du numéro d’adieu des Lettres françaises pour faire de son titre, tel que le motive l’ensemble du texte, la parole d’adieu d’un mourant qui refuse de simplement se résoudre au silence auquel on le contraint. La valeur de cette formule d’adieu, inventée non pas pour se taire mais pour continuer de parler dans le silence, est recherchée ici dans la facture même de la nouvelle, qui se donne à lire comme un art poétique de la fiction. Cet art poétique, complémentaire de celui de la nouvelle éponyme du Mentir-vrai, se signale dans le texte à partir de la trace de l’acte de réécriture de « La valse des adieux », romance du chansonnier Gustave Nadaud (1820-1893). Partant de cette trace, qui atteste la présence-absence de l’auteur comme geste, on montre comment le texte de la nouvelle se constitue selon la logique d’une narration poétique, comme un cheminement dans les mots, où s’illustre une imagination romanesque retrouvée grâce à la rencontre vécue avec les mots de la chanson ancienne. La mise au jour de la pratique du mentir-vrai dans la nouvelle, indissociablement « pratique de la vie » et du langage, conduit ainsi à reconnaître que le mot de la fin des Lettres françaises, loin de se réduire à l’aveu d’une « vie gâchée », est tourné vers l’avenir et fait résonner l’affirmation d’une croyance intacte dans la puissance humaine du créer.

Daniel Bougnoux, Université de Grenoble. « Aragon médiologue »

La querelle du journalisme, qui a agité et divisé le groupe surréaliste dans les années vingt, révèle la très nette différence entre Breton et Aragon, qui recouvre et éclaire aussi la querelle du roman : en nourrissant son écriture poétique-romanesque par son activité de journaliste, Aragon défendait une culture de l’événement, du dialogue et en général de cette mentalité élargie théorisée par Kant à propos des Lumières, puis par Walter Benjamin dans son éloge du flâneur et des passages parisiens. La direction de Ce soir, puis des Lettres françaises, fut pour Aragon une façon de poursuivre et de pratiquer au grand jour le projet initial d’une Défense de l’infini, et la pédagogie dadaïste-surréaliste du choc et des rencontres. Le « jour » de Breton et celui d’Aragon s’opposent, l’un le situant du côté des médiums, et l’autre des médias.

Erwan Caulet, Paris. « Histoire d’une revue, histoire de la critique littéraire communiste : l’arrivée d’Aragon à la tête des Lettres françaises»

Est examiné l’impact de l’arrivée d’Aragon à la tête des Lettres françaises (LLF) sur le profil bibliographique de la critique littéraire du titre : les modifications d’équilibre des composantes française, américaine et soviétique de celui-ci ; son ancrage doctrinal continué mais infléchi. Il s’agit par ce biais de mesurer le « leadership » qu’Aragon peut impulser aux LF, entre légiti¬misme doctrinal, inscription dans la matrice critique communiste notamment de guerre froide et impulsion nouvelle, et de saisir le positionnement enchevêtré de fidélité et (d’amorce) de dégagement, de déprise politique qui caractérise l’orientation des LF dans cette phase de leur histoire (1953-1956). On cherche à dégager la proposition de « sortie dans la fidélité » (M. Vassevière) de l’orthodoxie réaliste socialiste d’Aragon dans les LF et le périmètre, afférent, de critique littéraire « d’expression communiste », « moyen »/mezza voce, qui en découle, dans ce qui apparaît comme un terminus ad quem du cycle de guerre froide des LF et de la critique littéraire communiste.

Emmanuelle Cordenod-Roiron, Lyon. « Une curieuse stratégie d’étouffement : le sort de Roger Vailland dans Les Lettres françaises »

Il existe un envers méconnu à l’instrument de pouvoir qu’étaient Les Lettres françaises pour Aragon : la stratégie de silence et d’étouffement menée à l’égard de Roger Vailland en est un exemple frappant. Aragon maître de la jeunesse, Aragon promoteur des jeunes talents, autant d’images léguées qu’il importe de nuancer. La relation ambivalente qu’il entretient avec son cadet de dix ans ne tient pas, comme on a tendance à le penser rapidement, à des raisons d’ordre littéraire, politique et moral, mais plus vraisemblablement à une rivalité aux fondements troubles, Vailland apparaissant sur bien des points comme un double antithétique d’Aragon. C’est ce que révèle l’enquête menée à travers leur dialogue indirect dans Les Lettres françaises, seul prisme permettant d’objectiver cette relation fuyante.

Marianne Delranc-Gaudric, Paris. « La contribution d’Elsa Triolet aux Lettres françaises »

Qui parcourt Les Lettres françaises ne peut qu’être frappé par l’abondance et la variété des articles et publications d’Elsa Triolet : œuvres originales, articles polémiques, protestations contre des injustices, critiques théâtrales, littéraires, artistiques, traductions, promotion de jeunes poètes français et d’écrivains russes : environ quatre cents textes expriment une vie culturelle souvent mouvementée. Il s’agit tout d’abord d’en dresser un panorama et de tenter d’en tracer une typologie. Ainsi, trois grands ensembles se dessinent : des textes originaux (reportages, « bonnes feuilles », préfaces…) et commentaires par Elsa Triolet de ses propres œuvres ; des interventions dans la vie culturelle française ou étrangère ainsi que des prises de position polémiques ou politiques sur un certain nombre de sujets ; des articles plus proprement littéraires : chroniques théâtrales, articles portant sur les domaines artistiques et littéraires français et russes. L’on voit au passage que certains textes servent à « lancer » la lecture de ses romans autant qu’à les expliciter ; d’autres à promouvoir et défendre une littérature française progressiste dans le contexte de l’après-guerre ou à défendre des écrivains et intellectuels persécutés dans leur pays ( par exemple : « Le Cas Sakharov », 1969); certains articles s’inscrivent dans une polémique acérée comme celle déclenchée par la « Lettre aux directeurs de la Résistance » de Jean Paulhan (1952). D’autres sont plus généraux et abordent le problème du réalisme avec, en toile de fond, l’idée futuriste que le poète crée ses propres règles, adaptées à un monde en perpétuel mouvement et que l’écrivain doit être libre. Si Maïakovski, dont elle défend la mémoire face à une « récupération » stalinienne, est présent dans nombre de ses articles, Elsa Triolet fait aussi connaître au lecteur des auteurs russes classiques et des écrivains de la déstalinisation comme Soljenitsyne ou Voznessenski.
Mais au-delà de cette typologie, ces articles transcendent les catégories littéraires ou journalistiques : l’autobiographie se glisse un peu partout, des préfaces deviennent témoignages, des réflexions esthétiques générales s’insèrent dans les chroniques théâtrales, et l’intertextualité de ses écrits avec ceux d’auteurs russes, de Kafka, ou d’Aragon, apparaissent au détour d’articles de toute sorte. Par leur liberté d’écriture, leur caractère inclassable, leur insertion dans la vie, les articles d’Elsa Triolet forment une œuvre à part entière.

Corinne Grenouillet, Université de Strasbourg. « “Papa Aragon” et le “parti de la jeunesse” » : Les Lettres françaises du 15 mai 1968

Au moment où éclate Mai 1968, le divorce peut sembler total entre le PCF et une partie de la jeunesse étudiante. La fronde de l’Union des étudiants communistes (l’UEC) est récente : l’organisation fut définitivement mise au pas en mars 1965. Au printemps, plusieurs interventions (dont la plus connue est celle de G. Marchais le 3 mai 1968 parlant de Cohn-Bendit comme d’un « anarchiste allemand ») manifestèrent l’incompréhension du parti devant les problèmes de la jeunesse et son mépris de la composante libertaire du « Mouvement du 22 mars » installé à Nanterre. Le printemps des étudiants a également été ignoré par Les Lettres françaises, moins par volonté délibérée, qu’en raison d’une concentration de l’énergie rédactionnelle sur la Tchécoslovaquie. Ouvrant les colonnes des Lettres françaises aux étudiants dans un numéro spécial paru le 15 mai 1968 (n° 1234), laissant de nombreux universitaires et ses collaborateurs s’exprimer librement, Aragon fait preuve d’une certaine audace politique.
Dans un numéro très riche, il entend ouvrir le débat et laisser examiner de près les questions universitaires : la contestation étudiante invite-t-elle à une réflexion globale ou au contraire, faut-il la cantonner aux problèmes spécifiquement étudiants, laissant au Parti communiste – lequel n’est jamais nommé directement – le monopole de l’analyse politique ? On note plusieurs manifestations d’hétérodoxie dans le numéro et une tendance anti-Marchais avérée. Mais au moment où le numéro paraît, la ligne du parti a déjà bougé. En insistant, par le choix des photos, par le contenu des articles (écrits par des universitaires militants) sur l’aspiration à une « Université démocratique » et sur « l’union » des travailleurs et des étudiants, il nous semble que le numéro des Lettres françaises accompagne plutôt qu’il ne précède ou ne suscite cette évolution.
Mais si Aragon intervient en politique, sa parole (audible en clair au début et à la fin du numéro), elle, n’est pas une parole politique : elle est une parole poétique. Aragon se déporte, il n’est pas là où on pourrait l’attendre. Il endosse l’habit du poète, se montre indulgent devant l’arrogance juvénile, et cite presque dans son intégralité l’épilogue des Poètes. C’est alors un vieil homme désenchanté qui s’exprime, saisi d’une incommen¬surable pitié devant les errements et les erreurs qui guettent les jeunes gens, un vieil homme qui admet à demi-mot ses erreurs et cède la place, avec une forme de majesté, aux « hommes de demain » : « À vous de dire ce que je vois ». Ce dernier vers du poème (et des Poètes), exprime un passage de relais, poétique, tout en posant l’écrivain comme un visionnaire, à la manière d’un poète romantique. Le tombeau est aussi passage de flambeau.

Yves Lavoinne, Centre Universitaire du Journalisme, Université de Strasbourg. « Aragon et l’UNESCO 1946 : le spectre du fascisme »

À l’occasion de sa première session à Paris, l’UNESCO invita une série de conférenciers à parler dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Or, le 28 novembre 1946, la célébration des valeurs culturelles le cède à la polémique. En effet, l’invité du jour, Aragon, refuse le titre qui figure au programme : « La culture des masses » ; puis il conclut par un réquisitoire contre les positions philosophiques du secrétaire exécutif de l’UNESCO, Julian S. Huxley.
Ce double geste s’inscrit dans un contexte politique national et international, lourd d’enjeux. Le PCF souhaite accéder à la présidence du Conseil et donc tout discours opposant les élites et les masses disconvient. Surtout, l’URSS est la grande absente de l’UNESCO qui, selon Aragon, est ainsi exposée à une dérive technocratique sous influence anglo-saxonne.
De plus, obsédé par les possibles résurgences du fascisme, Aragon verse dans la suspicion de principe envers ce qui est allemand ou soumis à l’influence germanique. En France, un ancien ministre du général de Gaulle se fait le chantre de l’homme occidental ; un socialiste ose confondre dans la même réprobation Barrès et Maurras ; bref les alliés d’hier basculent vers la posture d’ennemis de demain. Plus grave encore, le « pluralisme » a des échos jusqu’au sein du PCF.
Néanmoins, la thèse maîtresse (la culture « une et indivisible ») relève de la conviction philosophique d’Aragon : le lien étroit entre l’attachement à la nation et une position de classe, jugée seule garante d’une authentique analyse politique.

Josette Lefaure-Pintueles, Paris. « Le « temps traversé » contre un « argus » des poètes : une conception de l’histoire littéraire »

La critique littéraire qu’Aragon pratique dans son journal, Les Lettres françaises, articule toujours l’actualité et l’histoire littéraire. Aragon met en perspective la circonstance présente et la mémoire des œuvres, ce qui lui permet de relativiser la fortune littéraire des auteurs. On peut le saisir à partir de deux exemples : un article de 1948 sur la poésie et la référence récurrente au fil des ans, comme un jalon, à un roman de Joseph Delteil salué par les surréalistes, Sur le fleuve Amour.

Julie Morisson, Poitiers. « Une langue de l’art ? la critique picturale au défi »

L’article des Lettres françaises « La Verve de Picasso » condense les enjeux liés à la critique picturale soulevés par Aragon dans les années 1953 et 1954. Posant Picasso au cœur d’un débat sur la figuration et l’abstraction, il évoque en réalité des problèmes plus vastes touchant certes la critique picturale mais également la critique d’art. Aragon s’interroge ainsi sur l’engagement esthétique du critique, cherche une langue capable de dire l’indicible de la peinture, travaille à imposer une ouverture aux critiques tout en légitimant son propre regard et son statut de critique. En étudiant la structure, la langue et les prises de positions d’Aragon, cet article cherche à comprendre comment par l’usage même de la langue, Aragon tente de résoudre ces diverses tensions.

Maryse Vassevière, Université Paris 3. « “Savoir aimer“ : une critique littéraire entre mémoire et avenir »

Ce n’est pas au directeur des Lettres françaises que je m’attache, mais à l’Aragon qui intervient comme un simple journaliste : au critique littéraire magistral qui a petit à petit forgé son art dans les centaines d’articles qu’il a offerts au journal de 1944 à 1972 (voir en annexe le complément au tableau que j’ai déjà donné dans « Aragon journaliste et romancier » de RCAET 9) et que je considérerai comme une partie non négligeable du corpus-continent de l’œuvre entière. Car pour Aragon, article, poésie, roman, tout lui « est également parole » : parole adressée aux lecteurs de ses romans, aux autres écrivains, aux membres du parti, etc. selon un feuilletage de l’énonciation qui mériterait d’être étudié de près. Considérant ces articles comme des textes littéraires à part entière, je les étudie en tant que tels pour voir s’y mettre en œuvre les principes d’une critique littéraire qu’Aragon résume simplement par la formule d’un article, « Savoir aimer », à valeur programmatique. C’est pourquoi chacun des points de mon analyse repose sur quelques articles de portée métatextuelle, dont l’un d’eux, « Le créer » (LLF, n° 1368, 13 janvier 1971) sera donné en annexe.

Luc Vigier, Université de Poitiers, ITEM-CNRS. « Les Lettres françaises de Jean Ristat, roman »

Le titre de l’hebdomadaire que dirigea Aragon pendant vingt ans, déjà porteur d’une lourde charge historique et mémorielle en 1953, prend une nouvelle dimension lorsque Jean Ristat, sept ans après la mort d’Aragon, ressuscite le titre et tente de maintenir son principe général de composition et de veille. C’est au travail des valeurs de résistance qu’on se consacre ici, en pointant certains éléments symboliques, idéologiques et visuels qui permettent d’observer, dans la réécriture des Lettres françaises par Jean Ristat, l’éthique d’un héritage et le roman d’une filiation.

François Vignale, Université du Maine. « Louis Aragon et les revues littéraires légales »

Les relations entretenues entre Louis Aragon et les revues littéraires légales hostiles à Vichy se sont inscrites dans une certaine complexité. C’est particu¬lièrement le cas avec Fontaine, la revue dirigée depuis Alger par Max-Pol Fouchet à laquelle l’écrivain collabore dès l’automne 1940. Lui apportant ses textes et bénéficiant en retour d’une tribune qui lui permet d’apparaître comme l’une des figures majeures autour desquelles pourrait s’opérer le rassemblement des écrivains et des intellectuels en butte à la Révolution nationale et à l’occupant nazi. Cette volonté de fédérer se heurte toutefois assez vite à des rivalités qui caractérisent la teneur des relations entre la revue algéroise et Poésie, la revue de Pierre Seghers, auxquelles Louis Aragon n’est pas étranger. La collaboration entre Fontaine et le poète s’interrompt d’ailleurs brutalement début 1942. Cependant, en s’appuyant sur une correspondance inédite entre Jean Roire, ami de Louis Aragon et administrateur de Fontaine et sur les outils de l’analyse de réseaux sociaux, on en déduit que l’échec de cette stratégie n’est pas si flagrant et qu’elle apparaît bien comme un préalable aux Lettres françaises et aux Étoiles.