Compte rendu de Carine Trevisan dans la RHLF, Recherches croisées n° 11 «Aragon politique»

Publié par C. G. le

Compte-rendu par Carine Trevisan de :
Recherches croisées n° 11, Aragon / Elsa Triolet, « Aragon politique », Presses universitaires de Strasbourg, 2007. Un vol.

Publié dans les comptes rendus en ligne de la RHLF, RHLF n° 1, 2009

Consacré à « Aragon politique », ce numéro des Recherches croisées sur Aragon et Elsa Triolet rassemble des textes dont la diversité (en termes d’objet, d’approche, d’esprit, voire de position politique des auteurs) montre combien cet objet reste aujourd’hui problématique.
La plupart des articles portent, explicitement ou non, sur ce qu’implique l’allégeance d’un écrivain à un parti politique. L’accent est globalement mis non sur les certitudes d’Aragon mais sur les moments où il semble perdre ses assises, prenant toute la mesure de la difficulté à concilier sa double identité de militant et d’écrivain. Ainsi, l’expression ici récurrente : « il ne pouvait pas ne pas… » se mettre au service de la politique (culturelle ou autre) du parti communiste. La double négation indique la force de la contrainte s’exerçant sur Aragon et explique ce que l’un des articles nomme (l’expression est discutable) « l’art de penser contre soi-même ».
Certains textes, remarquablement subtils et érudits, montrent que ce qu’Aragon n’a pu dire ouvertement (effets désastreux de la collectivisation forcée, de l’antisémitisme en France et en URSS, crimes staliniens), se retrouve, pour qui sait lire, sous une forme cryptée dans ses romans : critique de l’antisémitisme français dans Les Voyageurs de l’impériale, irruption de voix contradictoires dans ce qui était considéré comme un roman à thèse (Les Communistes), allusions à Staline et au Goulag, par le biais, notamment, de citations d’Hamletdans la Mise à Mort.
D’autres articles font ouvertement mention des actes ou propos de dissidence d’Aragon. Ainsi, cette étude sur les éditions du 10 mai, dirigées par Aragon, se proposant, grâce à des subventions de l’URSS, de publier des auteurs allemands exilés. L’exécution de Mikhaïl Koltsov en 1940, qui avait fait fonction d’agent littéraire de ces éditions auprès de Moscou, a mis fin à ces subventions. Commentaire d’Aragon en mars 1939 : « Je dois liquider sans que rien ne légitime cette liquidation ».
Ce recueil montre surtout ce que peut être l’éducation politique d’un écrivain, les difficultés (et les bonheurs) d’un apprentissage, ses illusions et désillusions, ce qu’elle suscite de ténacité (ainsi, les 2 000 pages écrites en deux ans et demi pour l’Histoire parallèle de l’URSS et des États-Unis, co-signée avec A. Maurois, achevée fin 1962 – Aragon écrivait, dans le même temps, Le Fou d’Elsa…), ce qu’elle impose quant à la gravité des termes qu’on emploie, dans un contexte public, politique (ainsi, l’impératif «capitulez», adressé aux étudiants communistes en mai 1963).
On peut regretter que la question que nous nous posons tous aujourd’hui, celle de ce que savait ou non Aragon de l’ampleur de la répression sous le régime de Staline, ne soit abordée ici que de façon très feutrée, et que ne soit évoqué à aucun moment son rapport aux écrits de Soljenitsyne (qu’il a nommé le « plus grand prosateur russe vivant »).
Carine TREVISAN