Les Aventures de Télémaque (1922) : synopsis par Alain Trouvé

Publié par C. G. le

Article publié le 6 avril 2005


Titre : Les Aventures de Télémaque

Période de rédaction : Le livre a été commencé à Sarrebrück, en 1919.  » J’avais commencé à écrire Les Aventures de Télémaque…qui ne devait pas du tout être ce que c’est devenu, mais se passer là, dans le Saargebiet, avec un jeune militaire qui me ressemblait comme une Nuit de décembre et qui s’appelait Télémaque… » (J’abats mon jeu, pp. 123-124).  » André Breton n’avait pas aimé ce prologue, y préférant, disait-il, les Nymphes.  » (Jean Ristat, L’OP, I, p. 370). Le prologue fut supprimé et remplacé par le début actuel. L’essentiel de la rédaction est effectué entre 1919 et 1921 :  » Le livre suit en réalité ma vie telle qu’elle fut (et ne pouvait s’écrire) de 1919 à la fin 1921  » (Les incipit, p. 164).

Édition présentée : Gallimard, 1966, rééd. Juin 1993. Texte précédé en 1966 d’un avant-propos intitulé  » Amende honorable  » et suivi de Notes  » pour un collectionneur  » écrites en 1922 mais publiées pour la première fois (Aragon dit les avoir retrouvées  » dans les papiers du fonds Doucet, légué à la Bibliothèque Sainte-Geneviève « ).

Édition originale : le 28 novembre 1922 [achevé d’imprimer], Paris, Gallimard, collection  » Un livre, Un portrait « . Édition avec un portrait de l’auteur par R. Delaunay.

Éditions disponibles : Gallimard, 1966, et ses rééditions | Gallimard,  » L’Imaginaire « , 1997 | L’Œuvre Poétique (L’OP1), 15 volumes, I, pp. 233-360, Livre Club Diderot, 1974-1981 | L’Œuvre Poétique (L’OP2), 7 volumes, I, Livre Club Diderot, 1989-1990 | Pléiade, I, 1997, pp. 187-235.
NB : Les éditions de L’OP et de La Pléiade sont les seules à ajouter au récit un Épilogue d’une page précédé d’une épigraphe empruntée à Tristan Tzara. Jean Ristat commente ainsi la suppression antérieure de l’épilogue :  » Aragon, en raison de la brouille entre dadaïstes et surréalistes ne pouvant garder l’épigraphe ou la faire seule disparaître, a sans doute préféré retirer l’épilogue en entier.  » (L’OP1, I, p. 371)

Contenu : Les Aventures de Télémaque est écrit  » sous l’influence dominante  » de Lautréamont-Ducasse sur le nom duquel se refermait Anicet. Aragon présentera son livre en 1969 comme une  » correction  » du roman pédagogique de Fénelon, s’inspirant du traitement réservé aux auteurs classiques dans Les Poésies d’Isidore Ducasse. La trame romanesque du récit fénelonien est réduite à un nombre limité de protagonistes et à un seul lieu, l’île d’Ogygie, sur laquelle règne la nymphe Calypso. Le choix exclusif de ce lieu du plaisir signale, dira plus tard Aragon,  » la puérilité de l’ouvrage « . La verve irrévérencieuse du jeune auteur se donne libre cours dans le détournement parodique du personnage de Mentor (Minerve), modèle de sagesse devenu ici porte-parole de l’absurdité délirante. Mais les discours prêtés au précepteur sont en réalité des collages de manifestes Dada (révélation faite au public en 1966 dans les Notes pour un collectionneur). Le livre transpose donc ainsi  » ce qui fut le prélude et le déroulement de la Saison Dada à Paris  » (Les incipit, p. 164).
Une triple quête structure le récit, indiquant au passage sa dimension romanesque : quête de la femme, quête du père et quête de la connaissance, entre philosophie et invention verbale.
L’initiation amoureuse, assurée par la nymphe Eucharis, assistée parfois de Calypso qui croit retrouver dans Télémaque l’image d’Ulysse, semble heureuse. L’exaltation lyrique n’assure toutefois ni la stabilité – Eucharis et Calypso peuvent aussi se passer de Télémaque – ni la pérennité du couple. De retour d’une incursion au royaume de Neptune, Télémaque apprend qu’Eucharis a mis au monde un fils et il récuse cette image de lui-même. L’enfant finira balancé dans la mer par la nourrice,  » vache à rubans « .
La paternité est donc impossible – écho de l’expérience intime de l’auteur. Ulysse que cherchait Télémaque sera vite oublié. Le précepteur, figure de la révolte, n’est pas un substitut valable. L’initiation qu’il propose est refusée. En même temps, le disciple subversif reste ainsi paradoxalement fidèle à l’esprit de révolte professé par le maître et la joute entre les deux personnages se terminera par un match nul : Télémaque se jette dans la mer pour prouver sa liberté ; Mentor est écrasé par un rocher au moment où il proclame son triomphe.
L’essentiel, au-delà des personnages et des voix narratives, souvent brouillées, se joue toutefois dans l’écriture. Aragon y verra rétrospectivement une  » critique de Dada, au point que la dernière page en soit un exemple de ce qui allait, pour nous […]s’y substituer, c’est à dire ce lyrisme de l’incontrôlable, qui n’avait pas encore de nom, et devait de notre consentement en 1923 prendre le nom de surréalisme  » (Les incipit, p. 165). Cette recherche est sensible dès l’ouverture qui laisse entrevoir, dans sa réécriture du modèle fénelonien, les associations libres de l’écriture automatique, selon un mécanisme de  » transtylisation  » (Genette, Palimpsestes, p. 413). Ce faisant, l’écriture est engagée dans un mode d’exploration qu’Aragon fait dialoguer avec la philosophie – la première épigraphe est empruntée à Kant – sans se limiter à une dénonciation ironique.
Cette œuvre qui porte la trace des facéties et de l’esprit iconoclaste propres au dadaïsme conserve ainsi une dimension classique de confrontation aux modèles. Dans le sillage de Fénelon qu’il ne se contente pas de parodier, Aragon revisite aussi Homère, organisant le glissement de la fable mythologique vers le merveilleux moderne. Le recours systématique aux épigraphes, une pour chacun des sept chapitres – cas unique dans l’ensemble de la production aragonienne -, l’ouvre à la diversité culturelle : philosophique, religieuse et littéraire, et fonde des proximités déroutantes qui vont sans doute au-delà de la simple provocation. Maniant élégamment l’allusion et l’ellipse, l’auteur offre ainsi à son lecteur autant d’énigmes à déchiffrer.

Caractéristiques : Aragon a écarté son livre de la publication de ses Œuvres romanesques croisées entreprise en 1964. Il a choisi de l’intégrer en 1974 dans L’Œuvre poétique en dépit de son caractère assez évidemment romanesque. Ce choix surprenant, non suivi par les éditeurs posthumes (La Pléiade), peut quand même s’admettre. Tous les écrits, notamment à l’époque surréaliste, ne cessent de mêler la double dimension poétique et romanesque et d’organiser la transgression de la frontière entre les deux. À cet égard Télémaque ressortit donc bien aussi au poétique. L’Avant-lire d’ORC 2, en 1964, le présente par ailleurs comme  » une sorte de manifeste de l’écriture, à quoi se mêlent de purs et simples manifestes Dada  » (pp. 23-24). Cette marginalisation dure jusqu’à la réédition de 1966 et s’accompagne d’une dévalorisation :  » j’ai fait un Télémaque à l’antique croisement de Fénelon et de Dada, que vous ne trouverez pas à mon stand, car, celui-là, il est vraiment out of print… » (Les lettres françaises, n° 768 du 15 avril 1959). La réévaluation ultérieure de l’époque dadaïste s’accompagne d’un retour à l’identification du récit comme roman (Je n’ai jamais appris à écrire ou Les incipit, 1969).

Commentaires de l’auteur :
Notes pour un collectionneur, [1922], 1966, éditions citées
Les lettres françaises n° 768 du 9 au 15 avril 1959, article repris dans J’abats mon jeu, Mercure de France, 1992, pp. 123-124.
Avant-lire, ORC, tome 2, 1964, pp. 23-24.
Les Collages, Hermann, 1965, p. 100.
Je n’ai jamais appris à écrire ou Les incipit, Skira, 1969, rééd. ORC, tome 42, pp. 163-174.

Études et articles de référence :
Amiot, Anne-Marie,  » Le plagiat, soleil noir de l’écriture « , Revue Europe,  » Aragon romancier « , n° 717-718, janvier – février 1989, pp. 14-26.
Babilas, Wolfgang,  » Le collage dans l’œuvre critique et littéraire d’Aragon « , Revue des Sciences Humaines, n° 151, 1973, pp. 329-354.
Bougnoux, Daniel, Notice et documents, suivis de Notes et variantes, in Aragon, Œuvres romanesques complètes, Pléiade, I, Gallimard, 1997, pp. 1050-1076.
Daix, Pierre, Aragon, Flammarion, 1994, pp. 150-158.
Gindine, Yvette, Aragon prosateur surréaliste, Droz, Genève, 1966.
Lévi-Valensi, Jacqueline, Aragon romancier d’Anicet à Aurélien, Sedes, 1989, pp. 70-85.
Ravis-Françon, Suzanne, Temps et création romanesque dans l’œuvre d’Aragon, thèse pour le Doctorat d’Etat, Université de Paris III, 1991, pp. 52-61, 176-178, 216-218.
Vassevière, Maryse, Aragon romancier intertextuel, L’Harmattan, 1998, pp. 84-101.

(A.T)