Mayse Vassevière, « Aragon / Hugo » (2006)

Publié par C. G. le

Aragon/Hugo

Hugo est une préoccupation constante d’Aragon : à la fois dans l’entreprise militante et critique du réalisme (et même du réalisme socialiste) et dans l’écriture romanesque elle-même dont le Hugo des Misérables constitue un puissant moteur et un intertexte complexe.

I. Hugo dans le paratexte critique

1. Pour un réalisme socialiste (1935)


Le chapitre « Hugo réaliste » (un discours prononcé le 5 juin 1933 à la Société allemande des Gens de Lettres (association d’écrivains allemands antifascistes émigrés en France après l’arrivée d’Hitler au pouvoir). Importance de ces destinataires et aussi du contexte de la commémoration à contrecœur du Cinquantenaire de la mort (refus de la préfecture d’autoriser une manifestation à l’Arc de Triomphe sous le prétexte qu’on y lirait le poème « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie » qui ne plaisait pas au général Gouraud, gouverneur de Paris…) de Hugo par la IIIe République Ce qui plaît à Aragon chez Hugo ‘c’est sa façon de mettre les pieds dans le plat. Ce qui, dans Hugo, véritablement, ne peut se réduire aux proportions des salons, à une tasse de thé, c’est sa façon à lui de tout mêler, de tout gâcher, de tout casser, de s’asseoir dans les fleurs, de foutre la vaisselle par terre. » Puis deux exemples sont donnés (les mêmes que dans une note de la Chronique du Bel Canto de juillet 1946 accrochée à cette phrase : « J’aime qu’un poète se paye le luxe de l’impardonnable. Cela fut souvent la grandeur de Hugo. ») : ce vers de la « Chanson d’Hacquoil le Marin », « L’amour fout le camp comme un bougre », et le poème « Bon conseil aux amants » qui raconte l’histoire de l’ogre : « Il n’y a pas que cela, dans Hugo. Il y a de petites histoires écrites vers l’âge de 65 ans, qu’on aime à résumer, comme une fable qui n’est pas de La Fontaine. Par exemple, l’histoire de cet ogre qui avait un nom en « ski ». Il fallait trouver une rime à ski, simplement pour cette raison. Cet ogre était tombé amoureux d’une châtelaine. Il venait tous les jours chez celle-ci lui jouer un petit air de violon. La châtelaine un jour était sortie. L’ogre vient, s’ennuie, commence à parler avec l’enfant. Et puis, comme il s’ennuie vraiment trop, « il se met doucement à croquer le marmot ». La châtelaine rentre et demande : « Où est ce bel enfant que j’ai ? » Et l’ogre lui répond tout bas : « Je l’ai mangé… » L’ogre, là-dessus, est chassé par la châtelaine. Moralité d’Hugo : « Ne mangez pas l’enfant dont vous aimez la mère ! »
Double motivation dans ce recours (presque paradoxal pour ce livre canonique) à Hugo (cf. Bernard Leuilliot au colloque « Le XIXe siècle d’Aragon » qui, à propos du rapport d’Aragon à Hugo parle d’une vision positive de l’histoire mais aussi d’un humour et même d’un secret désespoir) :
• l’humour iconoclaste et anticonformiste (« Hugo est un vieux farceur, et c’est pourquoi il n’a pas vieilli ; » « Il y a plusieurs manières de prendre Hugo. La manière, aujourd’hui, pour des gens qui sont jeunes, c’est de le prendre par la barbe. Hugo est la plus belle manifestation d’irrespect qui ait jamais eu lieu dans le monde. ») = le point de vue surréaliste non encore rejeté… (cf. aussi : « Sans doute, nous autres, gens très raffinés, avons-nous été élevés, par des générations successives de professeurs, à considérer surtout et avant tout, dans Hugo, le mauvais goût. Il était énorme. C’est ce mauvais goût-là que j’aime. » Ce qui est en même temps qu’une revendication dans la filiation surréaliste et rimbaldienne, la critique indirecte de l’institution scolaire et du classicisme dominant).
• l’engagement de l’exil et le réalisme en poésie avec Les Châtiments (« Un salaud de notre pays, qui s’appelait Maurice Barrès, a dit une chose assez définitive sur Hugo : « Qu’aurait été Hugo sans le rocher de Guernesey ? ») : « Les Châtiments, ce n’est pas simplement une œuvre magistrale contre Napoléon III ou contre Hitler ; c’est avant tout une merveilleuse leçon de réalisme dans la poésie. Les Châtiments, c’est le déni opposé, une bonne fois pour toutes, aux gens qui croient à l’incompatibilité du réalisme et de la poésie. Les Châtiments ? Je dirai plus ; je dirai quelque chose qui peut choquer certains : c’est la préfiguration, dans la poésie, de ce que nos amis soviétiques ont appelé le réalisme socialiste. »
Et comme preuve du lien entre ces deux motivations, il donne à lire des Châtiments, comme exemple de ce réalisme socialiste en poésie, le poème peu connu, en forme d’apologue humoristique, « Les Trois chevaux » (le vainqueur du derby d’Epson, le dada militaire « un cheval que Racine eût appelé coursier » et le cheval de labour comme une métaphore de la société tout entière et de la lutte des classes… avec cette si belle chute :
« J’ai faim, j’ai soif, j’ai froid : je ne suis pas féroce,
Mais je suis malheureux.
Ainsi parla la rosse.
Le cheval de bataille alors, plein de fureur,
Indigné, bien pensant dit : – Vive l’Empereur ! »)

2. Chroniques du Bel Canto (1946)


Chronique d’août 1946

• Retour sur Hugo réaliste :« Personne n’a plus haut que Victor Hugo porté ce débat, plus violemment que lui pris dans de débat position (et pour l’engagement et pour le modernisme. » (p. 126).
• Réflexion sur la lecture de la poésie : la nécessité de rendre à la poésie ses circonstances, comme une condition de la saisie de la modernité et aussi la condition d’une lecture actuelle = la superposition temporelle et la double lecture (cf. les conclusions du colloque « Le XIXe siècle d’Aragon » sur l’actuel/l’universel ou le transhistorique (la poésie « éternelle enfin d’être datée » Chronique du Bel Canto de Janvier 1946, p. 25)
Ce qui a été moderne dans Les Châtiments par exemple, il faut pour que nous en reprenions la conscience, de grands bouleversements. Des circonstances historiques analogues à celles où Les Châtiments avaient leur plein effet. Mais du coup nous comprenons le mécanisme poétique tout entier, et nous devinons qu’il tient à nous, en rendant, à une poésie qui s’est en quelque sorte avec les années effacée, ses circonstances, de lui redonner sa force, sa couleur, comme à un tableau qu’on décrasse. Et la mode est le contraire du modernisme, qui nous fait, pour des raisons que nous saisissons mal, rire de ce qui a été moderne, un chapeau, un poème démodé. (p. 129)
• À mettre en relation avec l’idée développée dans le chapitre « Le retour à la réalité de Pour un réalisme socialiste : ce qu’il y a de « vivant » dans le romantisme, comme dans le naturalisme, et comme dans le surréalisme, c’est « ce qu’ils ont contenu de réalisme », c’est-à-dire encore leur « part de lumière »… (lien aussi avec la métaphore de « l’autre côté des choses » : chaque chose a son envers, sa part d’ombre et sa part de lumière = la leçon du surréalisme mais aussi la leçon de Brecht…)
• Exemples du « modernisme » de Hugo dans Les Châtiments :
– le nom des juges infâmes dans « Éblouissement » (Dombidau (« Gambade, ô Dombidau, pour l’onomatopée ! », Fould, Maupas, Billault, Parieu, Drouin, Lebœuf, Delangle, Dupin,, Leroy, Forey, Berger, d’Hautpoul, Murat).
– le vocabulaire moderne comme chez Rimbaud (« appeler les choses par leur nom, introduire dans la poésie les mots qui n’y ont pas droit de cité » = la même idée dans Pour un réalisme socialiste avec l’Hugo « bien vulgaire qui, dans Les Misérables, a su faire l’apologie de l’argot »).

3. Avez-vous lu Victor Hugo (1952)


Développement des grandes idées développées en 35 et en 46. Constitution d’une anthologie du poète national (comme les cailloux du Petit Poucet dans la forêt d’une œuvre rétrécie par la doxa) et commentaire de l’itinéraire poétique avec le grand tournant de l’exil et l’affirmation d’un optimisme historique dans les recueils (dont Les 4 vents de l’esprit) qui suivent Les Châtiments.

4. Lettres françaises


LF n° 369, 370, 371 du28 juin, 5 et 12 juillet 1951, à l’occasion de la Fête des 2000 ans de Paris et de l’oubli de Hugo dans ces célébrations ou plutôt avec une célébration infâme (mettre la « Vedette » de Ford pendant quinze jours à la place de la statue de Victor Hugo sur la place Victor Hugo, statue déjà enlevée par les Allemands pendant la guerre pour en faire des canons. L’article 1 est illustré par une photo de Willy Ronis), appréciée sur le mode humoristique par les journaux à la mode et pro-américains comme Combat par exemple.
– Grande protestation d’Aragon et diatribe anti-américaine, non seulement liée au climat de la guerre froide qui commence mais aussi à la conscience de l’ère du commerce qui se met en place au détriment de la culture… = un texte sacrément prémonitoire…
Une automobile Ford, la civilisation de Detroit, de l’homme à la chaîne, de Mac Gee sur la chaise électrique, d’Einstein et de Charlie Chaplin suspects, la civilisation qui ne peut subsister que dans l’ombre affreuse d’Hiroshima, de la menace atomique, entourée d’une ceinture au napalm. Une automobile Ford à la place de Victor Hugo, voilà le symbole qu’ont trouvé ceux qui installent Eisenhower à Marly, les dispositifs dans cinquante-cinq départements français de la guerre qui doit se poursuivre dans le « réduit breton » transformé en Corée, voilà le symbole au grand jour de cette sujétion au dollar, docilement applaudie jusque chez Molière, voilà le dieu laqué blanc de l’industrie étrangère, le Totem Atlantique qui chasse les gloires françaises au profit des stocks Marshall, la statue vernie et nickelée de ses importations ; et, plus arrogant que le nazi iconoclaste, le Yankee substitue au poète la machine, au chanteur le chantage d’une loterie pour de pauvres petits aveugles qui n’en peuvent mais, à la poésie le coca-cola des combines commerciales, la publicité à l’américaine à La Légende des siècles, au Génie la voiture de série, l’auto Ford à Victor Hugo.
Capacité d’Aragon à déceler dans le réel ce qui fait métaphore…
– Revalorisation de Hugo (vs Gide et la doxa « Hugo hélas »). Accent mis dans l’article 2 sur Hugo comme premier poète de Paris et du Paris populaire (vs Racine poète du Grand Siècle, c’est-à-dire de Versailles… Un étonnant panorama d’histoire littéraire envisagé du point de vue de l’histoire culturelle et de l’histoire de la langue : « La royauté absolue exige le classicisme, et Louis XIV, Racine, plus encore que François Ier, Ronsard. La langue française prend ce caractère éternel qui est celui du pouvoir de droit divin. La poésie ressemble moins à Paris qu’à Versailles. Elle ne sait rien de la misère, cet argot. Paris n’est pour elle que l’anecdote, parce que les chaises à porteurs y sont nombreuses et les rues étroites. C’est dans la prose, au siècle de l’Encyclopédie, qu’est confinée la capitale des bourgeois, avec Diderot, Rétif, Mercier. Paris n’a pas droit encore à l’exaltation du vers. Paris n’a pas gagné sa place au cœur de la nation. Il faudra pour cela la Révolution, et que la Bastille tombe. » (nombreuses citations des belles descriptions de « Paris à vol d’oiseau » dans Notre-Dame de Paris).
– Accent mis dans l’article 3 sur le texte de Hugo (alors en exil et à la barbe de l’Empereur) dans Paris-Guide au moment de l’Exposition Universelle de 1867 avançant l’idée des Etats-Unis d’Europe avec Paris comme capitale de la paix = aussi l’occasion de brocarder « l’Europe de Strasbourg » de Schuman, Adenauer et Churchill… Sans oublier le contrepoint de la guerre de 70 et l’optimisme de Hugo, face aux réactionnaires, malgré ce revers à la paix dans un poème de L’Année terrible :
Vous aimez la noirceur jusqu’à la cécité :
Et votre rêve affreux serait d’aveugler l’âme.
Le suaire est pour nous piqué de trous de flamme.
Qu’importe le zénith sombre si nous voyons
Des constellations se lever, des rayons
Resplendir, des soleils faire un échange auguste […]
Chacun a sa façon de regarder la nuit.
LF n° 1015 du 6 février 1964, « Les clefs » : utilisation de Bug Jargal et des Misérables (parmi de nombreux autres textes) pour illustrer la thèse : « La clé de la prison c’est le roman. »
LF n° 1039, 1040, 1041 du 23 juillet, 30 juillet, 6 août 1964, « Pour une image vraie » (3 articles à la mort de Thorez) : Thorez lecteur des Misérables.

II. Hugo comme intertexte dans le texte romanesque

1. Les Voyageurs de l’impériale (1942-1947-1965)


L’intertexte masqué des Misérables dans ce détail de la parenthèse Boniface : il aide à dégager le fils du charbonnier sur qui s’est déchargée une charrette de pavés comme sur Jean Valjean (p. 259).
Il croyait à tout ce qui est bon, à tout ce qui est beau en ce monde. Et d’abord, à la jeunesse, à la pureté, à la vertu. L’idée que la vie pourrait s’arrêter dans ce jeune corps l’indignait. Ce n’était pas sentimentalité de sa part. C’était santé, c’était force. Il avait vu plusieurs fois des morts. Une fois, un jeune homme’ le fils du chaudronnier, sur qui une charrette de pavés s’était déchargée à la renverse comme il passait. Le gars avait été écrasé, la tête fendue. Boniface avait aidé à le dégager. Une chose horrible. Le pis, c’étaient les jambes… selon lui, Boniface. Parce que les jambes n’avaient rien. De bonnes jambes solides d’homme vivant.
Nécessité de s’interroger sur la complexité de ce recours à Hugo pour réécrire la séquence de Michel Sandor de La Défense de l’infini = une réécriture réaliste (le Michel sceptique, anarchiste et pessimiste devient le héros au grand cœur, le géant hugolien qui va sauver la demoiselle) mais malgré tout une réécriture au noir, plus qu’au bien, car pour Boniface, il n’y a pas de retour positif du héros, ni de reconnaissance ou de salut : il reçoit pour toute reconnaissance symbolique une récompense en argent et au lieu d’épouser la princesse, il deviendra le domestique et peut-être l’amant de la mère…
L’expression d’un doute sur les valeurs révolutionnaires dans ce roman de 36-39 passe aussi par Hugo et sa métaphore du navire qui vogue vers l’avenir (cf. le poème « Fonction du poète » dans Les Rayons et les Ombres) : l’écart entre cette métaphore hugolienne positive du navire marchant vers l’avenir utilisée dans le chapitre 1 (« Les écrivains et les soviets ») de Pour un réalisme socialiste (« à grand renfort de navires symboliques, de ciel d’orage, de coulées de lumière et d’athlètes fendant au bout du compte des champs étoilés ») et celle négative des Voyageurs (II, 2, le navire France qui va vers une catastrophe que Meyer ne comprend pas ; et le manuscrit Law avec l’impériale ducassienne qui roule à tombeau ouvert vers une catastrophe historique, par la faute de ces criminels qui dirigent la machine et qui en tripotent parfois le mécanisme). À relier peut-être avec la métaphore stalinienne des écrivains « ingénieurs des âmes » dont Aragon fait la réclame dans ce chepitre 1 et qui remplace la métaphore hugolienne de l’écrivain à la proue du navire… Il est vrai que dans une note du « Hors d’œuvre », explicitement écrite par Ristat, celui-ci s’étonne de ce passage sur les ingénieurs des âmes et la discussion entre Staline et H. G. Wells, et Aragon répond : « Aragon m’a fait remarquer qu’en 1935 le personnage de Staline avait nécessairement, aux yeux de millions d’hommes, aux siens par exemple, un tout autre visage que celui qui lui fut reconnu dans son pays même vingt et une années plus tard. Il ajoutait pour moi que si l’expression « les ingénieurs des âmes » semble assigner aux écrivains un rôle magnifique, il ne faut pas oublier que, forgée par Staline, elle a pour but aussi d’imposer aux écrivains d’être des ingénieurs destinés à façonner des âmes comme Staline entendait qu’elles le fussent. », L’OP, t. VI, p. 465).
Peut-être aussi la première expression aragonienne de l’ébranlement provoqué par l’arrestation de Primakov à Moscou en 36 et de la perte des repères face au stalinisme passe-t-elle, de manière indirecte et grâce à un détail incongru à décrypter, par la référence à Hugo : c’est l’épisode burlesque des tables tournantes à Sainteville en plein drame hugolien de la fugue de Suzanne et de son sauvetage par Boniface après l’épreuve des marais. Aragon produit ici une sorte de décalage historique (une trentaine d’années) dont il est coutumier : Denise apporte à Sainteville l’été 1897 la mode parisienne du spiritisme comme des dames l’ont fait pour Hugo à Guernesey vers 1867. De même qu’Aragon dans Avez-vous lu Victor Hugo ne blâme pas le spiritisme de Hugo, l’oncle de Sainteville, bien que sceptique au début, est ébranlé par la séance de table tournante qui émeut tant Blanche parce qu’on croit y entendre l’esprit de Suzanne disparue. Mais parmi les esprits qui parlent, il en est deux qui peuvent apparaître comme des lapsus ou comme des indices d’un trouble du romancier : l’esprit Joseph qui aime faire sauter les petites filles sur ses genoux et l’esprit de l’aristocrate victime de la Révolution et qui a fait en prison l’expérience du « désespoir, de la faim et de la solitude »/
C’était un esprit qui s’appelait Joseph qui parlait. Il n’avait pas voulu en dire davantage. Joseph tout court. Denise se rappela plus tard que c’était un vieux domestique de sa famille qui la faisait sauter sur ses genoux quand elle était petite. Le drôle avec les esprits, c’est qu’il faut tout le temps leur répéter la règle du jeu. Esprit, réponds ! Un coup pour oui, deux coups pour non, un coup pour A, deux pour B. Quand il y a des Z, c’est épuisant. Surtout qu’on ne sait jamais avec les esprits, les uns considèrent qu’il y a vingt﷓six lettres, les autres vingt﷓cinq, suivant qu’ils envisagent l’alphabet avec ou sans W. Ce qui doit être ennuyeux c’est de tomber sur un esprit illettré : « Ça arrive », dit Denise. M. de Sainteville était halluciné. Il avait commencé par rire, Joseph s’était mis à bouder, Une femme ! avait succédé, une femme morte en prison, pendant ! Révolution. Elle parlait de Marie﷓Antoinette. Tout d’un coup la table était devenue folle. elle voulait dire que, que chose, on ne lui posait pas les questions qu’elle aurait voulu, elle épelait sans arrêt des mots, elle penchait, frappait, trébuchait… Des mots tragiques : désespoir, faim, solitude.. Tout le drame de la prison. C’était si loin de ces deux jeunes femmes, coquettes, légères, assises devant le guéridon… si singulier… que l’idée de toute supercherie s’évanouissait, et que lorsque la table dit péniblement trois fois de suite mon enfant, le comte cessa de se moquer et se sentit le cœur pincé, il avait encore dans l’oreille comment Blanche prononçait ces mots﷓là. (p. 254).

2. Les Communistes (1949-1966)


C’est Pastorelli, le jeune étudiant en médecine de milieu modeste, communiste et ami de Jean de Moncey, qui fait son éducation politique au Parc des Buttes-Chaumont en lui citant « À ceux qui dorment » de Victor Hugo dans Les Châtiments : Vous n’êtes pas armés ? qu’importe !
Prends ta fourche, prends ton marteau !
Arrache le gond de ta porte,
Emplis de pierres ton manteau !
Et poussez le cri d’espérance !
Redevenez la grande France !
Redevenez le grand Paris…
(ORC, t. 24, p. 142.)

3. Blanche ou l’Oubli (1967)


Au chapitre « Une mèche de cheveux n’est pas une hypothèse », dans la partie réflexive sur Les Mots et les choses de Foucault et sa thèse de la mort de l’homme. Le narrateur médite sur cette phrase « l’éclatement du visage dans le rire » : « Il va y avoir cent ans, la même année, en 1868, deux écrivains qui n’ont aucunement pu, le calendrier est là, connaître le texte l’un de l’autre, ont donné de cet éclatement une métaphore romanesque : c’est en effet dans Les Chants de Maldoror et L’Homme qui rit que Victor Hugo et Isidore Ducasse ont introduit ce rire tragique et permanent qui résulte de l’éclatement du visage par le couteau. Et quand Ursus découvre le visage de l’enfant et dit : Qu’as-tu à rire ?, Gwynplaine lui répond : Je ne ris pas. Maldoror, pour sa part, ce rire chirurgical, il ne le doit pas aux comprachicos, il se l’est fait pour imiter le rire, le rire des autres. Mais après quelques instants de comparaison, je vis bien que mon rire ne ressemblait pas à celui des humains, c’est-à-dire que je ne riais pas… Qui songerait à accuser l’un ou l’autre d’attentat contre l’homme ? Il y a comme cela des bouffonneries qui ne font pas rire. Et même si je ris… je passe alors ma main sur mes lèvres, et le dialogue s’établit cette fois entre moi et moi : cesse de rire, dit l’un, et l’autre je ne ris pas… (ORC, t. 38, p. 98.)