Compte-rendu de la communication de Maher Al-Munajjed : «L’avenir et le mal dans Le Fou d’Elsa » (8 octobre 2005)

Publié par H. B. le

Compte-rendu de la communication de Maher Al-Munajjed : « L’avenir et le mal dans Le Fou d’Elsa » (séminaire ERITA du 8 octobre 2005), par Hervé Bismuth

La construction de l’histoire-temps paraît dans Le Fou d’Elsa très complexe. Le Fou appartient en même temps à plusieurs périodes de l’histoire. Malgré la prédominance de l’histoire andalouse du XVe siècle, l’auteur fait un saut brusque à l’histoire du XXe siècle et des temps modernes. Si Aragon relie l’histoire du XVe siècle au celle du XXe siècle, c’est parce que pour lui la tragédie humaine est la même.
En racontant les événements politiques de Grenade il fait des pérégrinations dans l’histoire séparée du temps. C’est un mariage entre l’époque de Grenade et celle d’Elsa future avec des pérégrinations dans l’histoire, de la chute de Grenade aux temps modernes. Quand le Fou traverse cinq siècles et demi, et en arrivant à l’avenir, il est frappé par l’incompréhension il ne lui semble percevoir aucune modification des maux essentiels à son siècle, et l’angoisse le prend parce que c’est déjà le siècle moderne, que plus on sait et moins on sait, et que souffrir n’a point changé.
Aragon soulève le masque du Fou, il le regarde en face. Il veut mettre en relief le fait que la ruine est la même, celle d’un homme et celle d’un peuple, qu’il n’y a point degré pour l’abîme, que la chute est d’égale atrocité quelle qu’en soit la raison.
L’auteur extrait de la philosophie d’Averroès des idées qui sont compatibles avec sa propre pensée. La théorie averroïste de l’éternité du monde, parle de l’essence du temps et du mouvement. Pour Aragon, l’esprit rationnel combattra et vaincra l’esprit littéral et la croyance naïve dont se servent les hommes de pouvoir pour régner et dominer le peuple.
Aragon croit à l’avenir et à la victoire de la connaissance incarnée par la troisième catégorie de gens qui combattra avec le temps le monde de l’ignorance. La propagation de la connaissance sera inévitable, l’inconnu deviendra connu, le savoir se répandra nécessairement et se popularisera. Ceci mettra fin à l’esprit qui s’attache au sens obvie en confondant son pouvoir avec celui de Dieu pour dominer. L’auteur lutte contre tout ce qui s’oppose au bonheur de l’homme.
Le fond de la question du débat aragonien sur « l’avenir » est de savoir qui est responsable des actes du mal ? En faisant usage de sa raison, sa liberté et sa capacité de choisir et d’agir, l’homme crée ses actes, c’est lui qui crée son avenir. Le mal est la question la plus importante qu’Aragon soulève. Le roi représente le pouvoir qui ne cesse, depuis les anciennes époques de l’humanité à nos jours, de justifier son trône par une destinée divine incontestable, sous laquelle s’exercent l’iniquité et le mal. Mais pour Aragon : « Dieu n’est ni le passé ni l’avenir / L’avenir est de l’homme ».
Le roi y paraît attaché à la conception classique du pouvoir absolutiste qui vient de Dieu. En face de cette justification du mal qui ne se différencie guère de tout pouvoir tyrannique dans l’histoire, Aragon démasque cette démagogie et décèle, par la voix du Fou, le vrai rôle du pouvoir et sa responsabilité envers le mal commis. Le pouvoir ne fait que justifier ses propres crimes en rejetant la responsabilité sur Dieu, le mieux placé pour faire taire les peuples et les victimes.


H. B.

Hervé Bismuth, maître de conférences à l'Université de Bourgogne