Foliothèque sur Le Paysan de Paris ( CR par Luc Vigier)
Parution 2001
Le Paysan de Paris
en Foliothèque (n°93, 158 pages, catégorie 12)
Par Michel Meyer
La méthode d’approche du Paysan de Paris ici choisie semble adaptée à l’étrangeté de l’oeuvre : il s’agit pour Michel Meyer de constater et de décrire l’hétérogénéité de cette » prose » inclassable avant de souligner ce qui en fait l’unité. Ainsi l’auteur peut-il mettre en valeur dans une première partie le contexte des années 1923-1926 ( relations avec André Breton, problèmes du » roman « , amours, prises de position du surréalisme) et son incidence sur le livre lui-même. Le collage puis l’idée d’une écriture déambulatoire viennent donner justification au caractère décousu du récit :
L’oeuvre semble s’écrire au rythme même de la vie, et plus particulièrement au rythme même de la marche, quand elle se fait déambulation, les lieux visités s’inscrivant dans le livre au fur et à mesure qu’Aragon les découvre. (24)
Poursuivant l’idée de la diversité dans l’oeuvre, M. Meyer donne quelques indications sur le » contraste des styles « , soulignant l’entrelacement de la description, souvent héritière du dadaïsme, du lyrisme (parfois hystérique), l’écriture automatique et l’insertion de collages bruts. Mais cette esthétique du collage contient de nombreuses tensions et contradictions, notamment quand il s’agit d’évoquer la beauté moderne, souvent associée à des objets contemporains, désuets voire résolument passéistes. On s’étonne cependant de voir l’auteur de ce chapitre souligner chez Aragon » la nostalgie d’une savoir-faire à l’ancienne » (49), dont la dimension parodique n’est pas envisagée. De même, la conclusion, peut-être trop schématique, peut induire en erreur : » Aragon semble avant tout attiré par le passé (49) «
La seconde partie de l’ouvrage s’attaque à la problématique identitaire telle qu’elle apparaît dans Le Paysan de Paris, rappelant la prégnance et la permanence d’une quête de soi dans toute l’oeuvre d’Aragon qui aboutit ici, de 1923 à 1926, à délaisser la psychologie pour la philosophie, notamment celle de Platon, Descartes, Kant, Hegel ou Shelling. M. Meyer évoque alors la » critique de la pensée classique » lisible dans l’ouvrage, que ce soit celle de l’idée d’ » intelligence « , de » certitude » ou d’ » imagination « , cette dernière étant déterminante pour la définition du » stupéfiant image » chez les surréalistes. On souligne également le passage de l’idéalisme kantien à un idéalisme absolu inspiré de Hegel qui semble être le chemin d’une inscription de l’histoire dans l’oeuvre, de même que Shelling fait transition vers l’idée d’absolu. Enfin, discrètement ou de manière ostentatoire, l’inconscient freudien est repris, selon M. Meyer, comme continent inconnu à redécouvrir. La quête identitaire, dès lors, doit se résoudre ailleurs, dans l’espace de la » surréalité » où alternent le » saugrenu » et le » frisson « , parfois d’ordre métaphysique et spiritualiste. L’idée du » songe » est ensuite présentée comme centrale dans l’oeuvre, en ce qu’elle introduit à la réflexion sur le baroque et sur l’image, elle-même donnée comme » accès » critique au réel. Le réel en question est bien celui de la ville de Paris dont l’observateur explore les » mystères » et devient le support d’un labyrinthe intérieur. Mais Paris, c’est aussi le lieu de la femme, objet d’un véritable culte, ce qui donne lieu à de multiples figures au centre desquelles on trouve celle de la prostituée. M. Meyer effectue ensuite une ingénieuse jonction entre l’espace enfantin et féminin qu’est le jardin avec la poétique de la chevelure, autre merveilleuse végétation infinie à qui se sacrifier demeure une issue envisageable. C’est en ces aspects particuliers que l’auteur de ce premier Foliothèque sur Aragon veut voir la définition de » l’oeuvre entière d’Aragon « .
L’analyse ( 106 pages sur 158) est suivie d’un dossier utile comprenant des éléments de biographie dans lesquels on constatera, non sans quelque étonnement, qu’aucune oeuvre d’Aragon n’est signalée entre 1945 et 1965 (112) de quelques textes et poèmes d’Aragon, d’André Breton, de Villiers de L’Isle-Adam (sur Paris), de Céline (sur le » passage des Bérésinas » dans Mort à crédit) , de textes critiques liés à la réception de l’oeuvre (Berl, Drieu la Rochelle, Maxime Alexandre) d’analyses d’ Yvette Gindine, de Walter Benjamin, de Kyoko Ishikawa et de Jean Decottignies. Enfin, une bibliographie très sommaire.
Notre avis: un ouvrage qui constitue certainement une introduction claire à une oeuvre d’une complexité redoutable et qui pourra fournir de nombreux points de repères à de bons lycéens, à des étudiants ou à des professeurs peu au fait de l’oeuvre aragonienne. Des parenthèses plus pointues (imprimées en caractères plus petits, comme dans les Que sais-je ?) permettent d’approfondir certaines allusions présentes dans le corps du texte de M. Meyer. On peut cependant regretter le traitement un peu rapide des questions esthétiques (et notamment des influences picturales) et la rapidité de l’ensemble. On sait que la collection Foliothèque est capable de fournir des ouvrages très denses, très fournis et assez bien illustrés. Ce n’est pas le choix qui a été fait pour Le Paysan de Paris.
Luc Vigier