Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet n° 9 (2004)
Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet n° 9, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004, 302 p.
Présentation du numéro
PRÉSENTATION DU NUMÉRO
Ce neuvième numéro des Recherches croisées Aragon/ Elsa Triolet, série publiée par l’ÉRITA (Équipe de recherche interdiscplinaire Elsa Triolet/Aragon) est placé sous le signe du témoignage. Luc Vigier, qui a coordonné le dossier, met en perspective les nombreuses réflexions d’Aragon sur le témoignage : la voix du « témoin des Martyrs » s’exprime avec éclat au moment de la Résistance, mais parcourt l’ensemble de l’œuvre. Le témoignage sur les sombres années de la Grande Terreur en Union soviétique (1936-1938) et sur le stalinisme ne se fera qu’à posteriori dans La Mise à mort (1965), par le biais du personnage de Michel Koltsov (C. Grenouillet) et dans Histoire parallèle et Le Fou d’Elsa, (L. Vigier). Plusieurs personnalités, politiques comme Roland Leroy, Henri Martin ou Francis Cohen, ou littéraires comme Léon Robel et Michel Apel-Muller, témoignent longuement de leurs rencontres et leurs travaux avec Elsa Triolet et Aragon.Édouard Ruiz a retrouvé les traces, qu’il publie, d’un recueil « jamais constitué » d’Aragon : Les Communistes ont raison, écrit en 1932-1933. Deux bibliographies dressent la liste des livres utilisés par Aragon dans sa rédaction du Fou d’Elsa (H. Bismuth et S. Ravis) et de tous ses articles parus dans Les Lettres françaises et L’Humanité (M. Vassevière). Enfin Franck Merger montre comment les débats sur la peinture dans Les Voyageurs de l’impériale transpose les préoccupations esthétiques de l’AEAR et d’Aragon dans les années trente.
TABLE des MATIÈRES
Recherches croisées Elsa Triolet / Aragon, présentation, p. 5
HOMMAGE
Lionel FOLLET, Édouard Ruiz, In memoriam, p. 9
ARAGON : PAGES INÉDITES
Édouard RUIZ, Un recueil inachevé ? : Les Communistes ont raison (1932-1933), p. 15
DOSSIER TÉMOIGNAGES
Luc VIGIER, Pour une herméneutique du témoignage, p. 41
Corinne GRENOUILLET, Lecture du stalinisme dans La Mise à mort d’Aragon : Michel Koltsov et la Grande terreur des années 1936-1938, p. 63
Luc VIGIER, Témoins nécessaires, p. 91
Entretien avec Michel Apel-Muller, Réalisé par Maryse Vassevière et Luc Vigier, p. 107
Interview-débat : Henri Martin, Francis Cohen, Roland Leroy, Réalisé par les membres d’ÉRITA, p. 149
Entretien avec Léon Robel, Réalisé par Maryse Vassevière et Marianne Delranc-Gaudric, p.195
Luc VIGIER, Ce témoin qui n’est l’un ni l’autre : à propos du Fou d’Elsa et d’Histoire parallèle I, p. 217
Franck MERGER, La couleur, la pomme et les hommes : le débat sur la peinture dans Les Voyageurs de l’impériale d’Aragon, p. 233
Hervé BISMUTH et Suzanne RAVIS, Essai d’inventaire bibliographique pour Le Fou d’Elsa, p. 251
Maryse VASSEVIÈRE, Aragon journaliste aux Lettres françaises et à L’Humanité, p. 271
Table des matières, p. 303
Résumés des articles par ordre alphabétique des auteurs
Hervé BISMUTH et Suzanne RAVIS, « Essai d’inventaire bibliographique pour Le Fou d’Elsa »
Les recherches portant sur l’énorme chantier du Fou d’Elsa, entamées depuis une dizaine d’années, ont abouti à l’élaboration de trois essais de liste bibliographique des ouvrages et articles utilisés par Aragon comme matériaux pour la rédaction de son « poème » : une liste reposant sur le témoignage du journaliste et essayiste Charles Haroche, qui a assisté le poète dans sa tâche documentaire ; une liste constituée à partir de l’étude du texte lui-même, élaborée par Suzanne Ravis puis par Hervé Bismuth ; une liste dressée par Marie Nassif-Debs à partir des ouvrages présents dans la bibliothèque d’Aragon consacrés au domaine arabo-persan. Les perspectives de la recherche intertextuelle sont certes différentes dans chacune de ces trois listes. Cette étude délimite les enjeux et les perspectives propres à chacune d’elles, et complète l’état actuel des recherches en proposant aux chercheurs qui prendront la suite des travaux entamés une liste, plus complète que les précédentes, et en spécifiant, pour chacun de ses items, le lien, métonymique (témoignage, bibliothèque) ou intertextuel (étude du poème) qui le relie au Fou d’Elsa
Corinne GRENOUILLET, « Lecture du stalinisme dans La Mise à mort d’Aragon : Michel Koltsov et la Grande Terreur des années 1936-1938 en URSS »
Qu’est-ce qu’Aragon a compris de la réalité du régime stalinien en 1936-1938 ? Sur le coup, il n’a pas témoigné de ce qu’il ne pouvait ignorer, des grands procès de Moscou par exemple, dont le premier a lieu précisément en août 1936. Le chapitre II du « Miroir de Venise » dans La Mise à mort (1965), constitue à maints égards une manière de confession a posteriori. Mais le dispositif énonciatif du mentir-vrai ou de l’autofiction rend vacillante l’interprétation. La lecture du roman est éclairée des textes recueillis dans L’Œuvre poétique qui obligent à réinterpréter le récit (ou plutôt les récits) du chapitre II du « Miroir de Venise » comme autobiographiques et donc à considérer qu’il s’agit alors pour Aragon de “témoigner” aussi de cette période de 1936-1938, de se livrer à demi-mots à une demi-autocritique politique. Aragon transpose dans son roman des faits et de personnages historiques (Michel Koltsov, les grands procès soviétiques des années 1936 et 1937, notamment celui des généraux , mort de Gorki, mort de Vitali Primakov). À travers le personnage de Michel peuvent se dire ou s’aborder partiellement ces années, qui furent refoulées. On verra qu’au bout du compte, la vérité historique est donnée comme labile, contradictoire, voire insaisissable. Le lecteur ne comprend rien à la Grande Terreur de 1937 en lisant Aragon, ni aux raisons qui expliqueraient qu’un intellectuel étincelant ait pu cautionner une telle abomination. Mais expliquer, si c’était là l’objectif d’un certain “réalisme” assujetti à une vision marxiste du monde, n’est plus le propos d’Aragon en 1965… le lecteur ne peut qu’entrapercevoir, dans La Mise à mort, comment des événements historiques peuvent infiltrer une mémoire et s’y embroussailler.
Franck MERGER, « La couleur, les pommes et les hommes : le débat sur la peinture dans Les Voyageurs de l’impériale d’Aragon »
Les personnages des Voyageurs de l’impériale parlent volontiers de peinture, et plus particulièrement de l’école contemporaine en vogue, à savoir l’impressionnisme. Des débats opposent même certains d’entre eux. Ces discussions transposent dans le temps du roman les préoccupations et les théories esthétiques qui sont celles de l’AEAR et d’Aragon dans le milieu des années trente.
Édouard RUIZ, « Un recueil “jamais constitué” ? Les Communistes ont raison (1932-1933) »
Entre Persécuté persécuteur (octobre 1931) et Hourra l’Oural (avril 1934), Aragon a travaillé à un recueil, qu’il projetait d’intituler Les Communistes ont raison. Certains des poèmes qui devaient y figurer ont été publiés en français, d’autres sont connus seulement dans leur traduction en russe (par Ossip Brik) ou en espagnol (par Rafaël Alberti). Le recueil, que certains témoignages présentent comme paru à Madrid ou à Moscou, n’a sans doute pas vu le jour, mais Aragon avait certainement poussé loin son élaboration, avant de l’abandonner pour des raisons qui nous échappent. Le présent article rassemble toutes les données connues à ce jour, et publie en annexe les poèmes attestés seulement en traduction.
Maryse VASSEVIÈRE, « Aragon journaliste et romancier »
Le vaste chantier de l’édition des Chroniques d’Aragon entrepris sous la direction de Bernard Leuilliot s’est interrompu après le premier tome, mais il faudra bien qu’on le rouvre un jour et que tous ces articles soient donnés à lire au public, car les travaux commencent à se mener sur Aragon journaliste et critique littéraire sans que les lecteurs puissent juger sur pièces. Il fallait donc en dresser au moins la bibliographie. J’ai donc décidé de publier les tableaux de ce vaste continent qui sont restés longtemps en attente, en les donnant de manière brute, juste précédés d’une brève introduction qui en fournit le mode d’emploi, pour alimenter les recherches futures.
Luc VIGIER, « Pour une herméneutique du témoignage dans l’œuvre de Louis Aragon ».
On a choisi dans cet article de synthèse et de perspective, de mettre en avant les principaux jalons d’une pratique réfléchie du texte de témoignage chez Aragon, depuis les années vingt jusqu’aux dernières œuvres, dans les années soixante-dix. À l’intérieur de cette vaste période on a croisé les repères d’un témoignage de type historique, les apparitions des figures de témoin dans la fiction et dans la correspondance et les problématiques complexes des derniers romans et préfaces. Jusqu’aux années trente, on peut douter qu’il y ait eu une pensée organisée et cohérente du rôle de la voix du témoin présidant à l’écriture des proses poétiques et romanesques, même si pointent des amorces assez nettes du « long témoignage » liées notamment à la détection des « craquements sourds dans la vieille demeure ». A partir des années 1933-1934 qui sont celles des Cloches de Bâle et du début de l’écriture journalistique militante, les figures de témoins se multiplient dans l’œuvre romanesque et deviennent les manifestations récurrentes d’une préoccupation singulière. Pendant « drôle de guerre », la défaite de Dunkerque puis l’Occupation allemande, Aragon assume, dans les textes poétiques, les proses de contrebande, les nouvelles, les textes de dénonciation des atrocités commises par les collaborateurs mais aussi dans le roman, une voix de nature testimoniale chargée des plus hautes valeurs dont « Les Martyrs » (février 1942) sera une des manifestations les plus nettes. On s’est attaché à souligner, dans les œuvres ultérieures, la régularité des retours narratifs et théoriques sur la question du témoin et témoignage, dont les apparitions méritent analyse et interprétation, dans l’idée d’une « herméneutique du témoignage » empruntée à Paul Ricoeur. Parce qu’il interroge le rapport de l’écrivain aux manifestations de la vérité des faits dans ses œuvres, le témoin devient l’intercesseur romanesque majeur d’une pensée de l’Histoire chez Aragon mais aussi la figure d’une forme d’exaspération des limites politiques du roman. Les romans des années soixante sont les révélateurs d’une pensée et d’une mémoire qui cheminent entre les témoignages accomplis et les témoignages manquants, notamment au sujet de l’URSS. On a enfin pris en considération les préfaces tardives d’Aragon, où la figure du dernier témoin du surréalisme cède le pas à celle du « passeur ».
Luc VIGIER, « Ce témoin qui n’est l’un ni l’autre », d’Histoire parallèle (1962) au Fou d’Elsa (1963).
En pleine période de déstalinisation, Aragon publie à un an d’intervalle un ouvrage historique colossal et une œuvre poétique majeure. On suit ici les traces d’une réflexion sur le témoin juridique qui affleure dans l’analyse historique des procès soviétiques de 1936-1938 et qui se fait plus forte, mais aussi plus énigmatique, dans le procès du Medjnoun. D’une œuvre à l’autre, les figures de témoins se répondent, traçant autour d’eux une zone d’incertitude et d’angoisse, sans qu’on sache toujours s’il s’agit pour Aragon de condamner le recours systématique aux témoins dans le discours historique, de souligner leur caractère mercenaire ou de stigmatiser les apories et les manques de son propre témoignage sur l’URSS.
Luc VIGIER, « Témoins nécessaires »
En écrivant à Denise Naville, vers 1925, qu’il aurait voulu qu’elle fût près de lui comme un « témoin nécessaire », Aragon inaugure sans doute inconsciemment une série de réflexions sur le rôle du témoin dans la scénographie identitaire de certains de ses personnages romanesques et révèle par ailleurs une facette particulière de sa personnalité. Partagé entre le rejet des « témoins insupportables » qui ont une prétention sur le biographique et la convocation permanente de témoins dans ses années de vieillesse, Aragon confère à cette figure-repère un statut bien réel dans sa vie qui fait écho au besoin de témoin si présent dans ses œuvres. On propose également, dans cette introduction aux témoignages recueillis par l’ÉRITA, une bibliographie indicative des témoignages sur Aragon.
On trouvera dans ce numéro 9 des entretiens (non résumés ici) avec Michel Apel-Muller, Léon Robel, Henri Martin, Francis Cohen et Roland Leroy.