Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet n°7 (2001)

Publié par C. G. le

Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet n° 7, Presses Universitaires franc-comtoises, 2001, 304 p.

Numéro publié aux Presses universitaires de Franche-Comté (disponible pour toute commande)

Résumés des articles

Jean PEYTARD, Du réalisme documentaire dans La Semaine Sainte : l’exemple du “complot Didier”

Épisode discrètement évoqué dans La Semaine sainte, le complot Didier prend sa source dans un ouvrage de François Vermale et Yves Duparc : Un conspirateur stendhalien : Paul Didier, 1951. Né en 1753 dans la Drôme, l’avocat Jean-Paul Didier changea plusieurs fois de camps : révolutionnaire, contre-révolutionnaire, soutien de Bonaparte, puis favorable aux Bourbons. La seconde Restauration finira par refuser ses services et il quitte Paris, ruiné. C’est à Grenoble que commence sa carrière de comploteur fin novembre 1815. Il rêve d’un soulèvement de cette ville qui s’étendrait à Lyon, puis à la France entière. À La Mure, il entre en contact avec Louis-Joseph Guillot, un notaire bonapartiste. L’assaut donné à la ville de Grenoble le 4 mai 1816 se solde par un échec et l’exécution, dont parle Aragon, du jeune Maurice Miard, jeune tailleur d’habits murois de quinze ans. Jean-Paul Didier sera finalement guillotiné le 10 juin. Un mystère plane toujours sur les véritables commanditaires du complot Didier. De cette conspiration ignorée par l’Histoire des manuels, Aragon sauvegarde la trace en lisant l’ouvrage le plus récent sur le sujet. Il s’agit là d’un exemple de son réalisme documentaire, à rapprocher de la manière de Stendhal, qui était justement présent à Grenoble en mai 1816.

Hervé BISMUTH, De l’association d’idées dans La Semaine sainte

La question de l’intertextualité est traditionnellement pensée en termes d’inclusion, de synecdoque textuelle, alors qu’elle participe assez souvent de l’association d’idées, de la métonymie textuelle. C’est par association d’idées que la séquence des “arbrisseaux” de La Semaine sainte semble convoquer les intertextes qui motivent ses deux principales incongruités, celle d’une pleine lune onirique dans un ciel dégagé à l’intérieur d’une fiction scandée par le martèlement incessant de la pluie, et celle de la présence du personnage de la Judith biblique dans les pensées intérieures du peintre Géricault qui n’a jamais peint ce personnage. La première incongruité se construit à partir de la convocation d’Othello par le narrateur, à l’occasion d’un repas familial explicitement désigné comme un “drame” dont les protagonistes jouent un rôle : la réunion nocturne qui suit ce repas est placée, elle, sous le signe du Songe d’une nuit d’été. La seconde semble motivée par la co-présence de Géricault et de Judith dans « Le Saule » de Musset, poème bien connu par Aragon et qu’il a déjà utilisé comme intertexte dans Le Roman inachevé.

Jean-François BONFILS, Écriture du temps, incitation au roman dans Blanche ou l’oubli

Dans les premières pages de Blanche ou l’Oubli, un vieux monsieur – le narrateur – tente de se souvenir de sa jeunesse. À partir d’un tel début, comment a-t-il été possible que ce roman se construise et devienne l’œuvre qu’on connaît ? Afin de rassembler ses souvenirs, le personnage-narrateur s’explore. Mais l’évocation du passé, confrontée à l’oubli, se change vite en une quête du dire. Le récit, pour contourner cette difficulté à dire, par les différentes modalités qu’il va prendre et les différentes voix qui vont l’animer, va amener à la surface du texte plusieurs temps racontés : temps de Gaiffier, temps de Marie-Noire, temps d’un personnage qui se dit l’auteur. À partir de ce qui lui faisait obstacle, le récit va alors s’élaborer. Blanche, le personnage énigmatique qui habite le passé, apparaît au fil des pages comme une question à interminablement poser, comme une absence à raconter. Une fois, l’hypothèse Marie-Noire abandonnée – qui personnifiait la mémoire exploratrice -, un basculement narratif survient, de l’évocation du passé vers l’actualité d’un dire balbutiant. L’écriture devient un acte par lequel le narrateur (l’auteur ?) se ressaisit du présent, faute d’éclaircir complètement le passé. Le temps chronologique des hommes est supplanté par un temps de la conscience. Toutefois, que ce soit à travers les variations sur le temps raconté ou à travers celles sur le temps racontant, c’est toujours l’écriture du temps qui sollicite la parole romanesque.

Jean-Pierre MONTIER, Genre romanesque et style dans Le Paysan de Paris

Roman, poème ? L’ambivalence quant à l’appartenance générique du Paysan de Paris est fondatrice, comme est provocatrice l’exigence d’Aragon qu’on en revienne à l’examen des “moyens” d’un auteur, de son style. Par delà les soucis tactiques (envers les positions de Breton) et l’évolution autobiographique dont le texte porte la trace, le jeu de masques aragonien pousse la subtilité plus loin que l’alternative entre genre romanesque et anti-roman, écarte aussi la poésie (comme genre littéraire) pour mieux affirmer (de biais) un “style”, et s’imposer “auteur” (mots tabous !). L’analyse concrète d’un passage du troisième chapitre permet de mesurer ce style à l’œuvre, et de voir comment la figure du Jardin non seulement embrasse la composition de l’ensemble de l’ouvrage mais aussi fonde une poétique parfaitement consciente des enjeux historiques, éthiques et esthétiques sous les auspices desquels se place cette écriture à la vigueur et la puissance intactes.

John BENNETT, Aragon et … encore !… André Breton

Deux lettres écrites par Aragon à des amis américains et publiées dans The Clipper, revue de Hollywood, en juin et juillet 1941, provoquèrent une réaction hostile et méprisante de la part d’André Breton (réfugié aux États-Unis), réaction rapportée dans une interview publiée par le périodique américain View en novembre 1941. Reproduite en Grande-Bretagne en mars 1942 dans son pamphlet ARSON par le surréaliste T.del Renzio, cette interview fit naître en 1943 et 1944 des attaques violentes à Londres contre Aragon par les surréalistes Mesens, Brunius et del Renzio lui-même, attaques violentes qui suivirent les lignes tracées par Breton. Une communication récente de M. del Renzio montre pourtant que les Londoniens renchérirent sur Breton, interprétant les lettres d’Aragon comme preuve de son pétainisme. La preuve que Breton soutint leur campagne, c’est une lettre à Brunius où il annonçait qu’il publierait des extraits de leurs pamphlets anti-aragoniens dans sa revue VVV, projet non réalisé à cause de la disparition de cette revue. Jamais désavouée par Breton, la campagne surréaliste se répandit pourtant bien au-delà de Londres, au détriment d’Aragon dans la France d’après-guerre. Même en 1947, à l’exposition internationale surréaliste de Paris, les surréalistes de Londres invoquèrent leurs pamphlets contre Aragon comme preuve de leurs activités de surréalistes pendant la guerre.

Alain TROUVÉ, Le clair-obscur du Cheval Blanc

Comment s’articulent, pour le lecteur du Cheval blanc, les dimensions de l’idéologique et de l’affectif ? Le roman évite les formes les plus schématiques du roman à thèse : son héros en qui se conjuguent les traits antithétiques de la sagesse et de l’innocence meurt héroïquement avant d’avoir trouvé sa voie. L’analyse actantielle révèle néanmoins une structure d’apprentissage positif masquée. La figure de l’ellipse et la présence d’un répertoire idéologique, décelable dans les commentaires d’un narrateur omniscient, agissent en ce sens comme contraintes, d’autant plus efficaces qu’elles demeurent discrètes. Toutefois le flottement des codes narratifs entre néo-réalisme et merveilleux, entre roman et épopée, d’une part, le jeu des images, d’autre part, conduisent simultanément à ébranler cet effet. L’analyse de l’imaginaire romanesque révèle une cohérence surprenante et met à jour l’envers fantasmatique de l’idéologie. Sont ainsi superposées les nobles figures du militant, de l’ami, et celle du Tricheur. La volonté de rallier le lecteur à un message, récusée, mais seulement dans ses formes grossières, apparaît finalement soumise, de manière originale, au feu de l’écriture. L’expérience de lecture peut quant à elle conjuguer les effets d’engagement et les mécanismes plus constructifs de dégagement.

Jean ALBERTINI, Aragon et Nizan

Cet article est une tentative pour rappeler et cerner le plus exactement possible les faits qui concernent les rapports entre Aragon et Nizan avant la fin août 1939, puis l’attitude, les actes, propos et écrits d’Aragon qui ont concerné Nizan ou sont considérés comme l’ayant concerné, de la Libération à sa mort, en 1982. Tout cela a fait couler beaucoup d’encre, depuis. Qu’en a-t-il été réellement, autant qu’on puisse l’établir, au-delà des mensonges, des approximations, des légendes ? Un certain nombre de faits négligés ou ignorés jusqu’ici sont établis dans cet article, dont le but est de faire avancer la connaissance et la réflexion sur un des problèmes les plus délicats et douloureux de l’histoire littéraro-politique du plus de demi-siècle écoulé.

Corinne GRENOUILLET, L’univers sonore des Communistes : chansons et références musicales

Cet article propose d’examiner la valeur et la fonction des références à la chanson et à la musique dans la première version des Communistes. De manière générale, elles permettent la caractérisation indirecte de personnages et révèlent les “pilotis” de certains d’entre eux, tels Paulin Lecœur ou Rita Landor. Des chansons folkloriques à Tino Rossi, de La Valse Brune à Sadko, de Lys Gauty à La Madelon, le roman révèle l’univers sonore d’un monde envahi par la radio qu’Aragon cherche ainsi à recréer de manière réaliste, en convoquant les procédés de l’intertextualité : allusions à des interprètes, mentions de titres ou citations. Mais ces références ont souvent aussi une fonction diégétique, assurant le lien entre des segments du roman, accompagnant l’événement ou en offrant un contrepoint poétique. Elles accompagnent les opinions politiques des personnages : les socialistes par exemple sont montrés comme des contempteurs du jazz ou de Tino Rossi, trop moderne ou trop populaire… Enfin, les chants espagnols relient le roman à la culture hispanique, à la poésie et aux romances ardemment défendues par Aragon entre 1936 et 1939. Sollicitant la coopération interprétative du lecteur, toutes ces références et ces allusions à décoder posent aussi le problème de la lisibilité des Communistes aujourd’hui.

Reynald LAHANQUE, La question du “caractère de la guerre” dans Les Communistes

Alors que les militants sont plongés dans la débâcle de mai-juin 1940, Aragon fait dire à son personnage d’Armand Barbentane que désormais « la guerre a changé de caractère » : elle est devenue la guerre du peuple, une guerre nationale en même temps qu’une guerre de classe, bref une « guerre juste ». La défaite française est venue clarifier ce qui était fort obscur depuis septembre 1939 : le pacte germano-soviétique du 23 août, que le roman s’efforce de justifier, et celui du 28 septembre qui consacrait le partage de la Pologne entre les deux signataires (et que le roman passe sous silence) avaient rendu très problématique la définition du caractère de la guerre. Le choix d’Aragon a été de placer tout son roman, dès le prologue, dans une perspective antifasciste, tout en soulignant constamment le caractère « injuste » d’une guerre de type impérialiste, à laquelle il convient d’autant moins de participer qu’elle sert de paravent à une guerre politique menée contre le peuple et son parti. Le romancier est ainsi conduit à réécrire l’Histoire à la lumière de l’interprétation officielle de cette période que le PCF a rétrospectivement construite, en se gardant d’imputer au pays d’Octobre les conséquences dramatiques pour les militants français de son alliance avec l’ennemi par excellence qu’était devenu le nazisme au cours des années trente. De dénégation en dénégation, le roman avance vers la délivrance paradoxale que permet la déroute des armées françaises, non sans anticiper sur une attitude de résistance à l’occupant qui, début juin, au moment où l’action du roman se termine, était loin de s’être dégagée en toute clarté.

Jacqueline LÉVI-VALENSI, Le couple dans Les Communistes

Après Aurélien, qu’Aragon lui-même a pu définir comme un “livre sur l’impossibilité du couple”, Les Communistes propose -entre autres- une représentation multiforme de ses chances d’existence. Si la peinture n’est pas exempte d’un certain manichéisme (les couples réussis sont, pour l’essentiel, ceux de militants communistes ou de personnages qui s’engagent de plus en plus dans cette voie), elle est cependant très riche et diversifiée. Surtout, Aragon montre l’évolution de différents couples en fonction de leur histoire individuelle, mais aussi de l’Histoire à laquelle ils sont affrontés. Le couple que forment, difficilement, Cécile et Jean est particulièrement révélateur, mais il est loin d’être le seul. La vaste fresque romanesque, qui donne à voir de nombreux duos, enrichit considérablement la méditation sur le bonheur et le malheur d’aimer, qui ne cesse d’être au centre de l’œuvre d’Aragon.

Alain TROUVÉ, Une lecture croisée des Communistes d’Aragon et de L’Inspecteur des ruines d’Elsa Triolet : Joseph Gigoix / le “criblé” / l’agent de liaison

L’Inspecteur des ruines et Les Communistes ont été écrits de façon à peu près simultanée par Elsa Triolet et Aragon. La lecture croisée de ces textes entend dépasser le commentaire comparatif ou les influences reconnues par les auteurs pour faire surgir un dialogue esthétique sous-jacent. L’énoncé fantôme, possible romanesque écarté par l’auteur, est la pierre de touche de cette construction. Partant du rapprochement entre deux figures de mutilés, le Criblé (L’Inspecteur des ruines) et Joseph Gigoix (Les Communistes), victimes des escarmouches de la “drôle de guerre”, l’analyse remonte à une matrice commune : le personnage de Pavel Kortchaguine, héros du roman Et l’acier fut trempé, prototype du réalisme socialiste soviétique. Elle enregistre des variantes narratologiques : ainsi la figure réparatrice de l’agent de liaison peut-être utilisée comme rôle distinct (Triolet) ou comme trait supplémentaire du mutilé (Aragon/Ostrovski). Les registres stylistiques très éloignés font apparaître des réponses symétriquement opposées à une problématique voisine, soit deux versions du réalisme socialiste : l’une fondée sur l’humour noir, la caricature et l’ellipse, l’autre sur le souci du détail et la saturation du sens par amplification.

Maryse VASSEVIÈRE, Les Communistes : un roman à thèse et ses anomalies ou L’Apocalypse et le carnaval

Au-delà du travail déjà entrepris sur la réécriture des Communistes, cet article voudrait ouvrir quelques pistes de recherche nouvelles, liées à la présence de certains signifiés humoristiques, carnavalesques même, – déjà dans la première version du roman -, comme par exemple la séquence du mineur Nestor Platiau avec les religieuses dans le train un jour de Carnaval ou celle, plus dramatique mais tout autant carnavalesque de la mort de l’abbé Blomet dans l’Apocalypse de Dunkerque, qui sera ici étudiée “en détail” pour élucider le chronotope de la guerre et le sens critique de la métaphore de l’enfer (enfer de la guerre, enfer de l’amour, enfer de l’idéologie). Ces personnages secondaires et ces “détails” dans la vaste fresque de la Débâcle – détails auxquels il faut être attentifs car ils portent et/ou déplacent le sens – constituent ce que j’appelle, à la suite de Susan Suleiman, les failles du roman à thèse ou la permanence de Dada dans les romans du Monde réel et invitent à une relecture de la notion de réalisme : « Faire son deuil des appareils photos » comme le dit l’ajout Brueghel sur lequel on reviendra encore une fois.

Luc VIGIER, Les paravents de la mémoire

La contribution décisive de Maurice Halbwachs à la théorie des fonctionnements de la mémoire collective connaît un regain d’intérêt en 1950, alors qu’Aragon poursuit l’écriture des Communistes, commencée en 1949 et (in)achevée en 1951. L’objectif de cette analyse est de souligner, au-delà d’une influence directe difficile à établir, l’efficacité des concepts halbwachsiens dans la description de certaines techniques d’écriture de l’œuvre d’Aragon qui semble adhérer à une compréhension à la fois fragmentée et unifiée des phénomènes de perception de l’Histoire. On pourrait ainsi retrouver dans la première version des Communistes l’application concrète des modélisations mnémiques de l’idée de Nation explorée par La Mémoire collective où l’individu se trouve expliqué comme lieu de passage des “cadres” éthiques de groupes sociaux spécifiques. L’architecture du roman semble valider cette perception d’un homme nouveau, à la fois dépassé par l’événement et attaché au groupe qui lui donne sens.

Roselyne WALLER, La famille et les pères dans Les Communistes

La représentation de la famille et des pères dans Les Communistes est atypique. On ne trouve plus dans les rapports familiaux l’agressivité haineuse qui domine dans les autres romans, mais on observe un fonctionnement harmonieux qui avoue un modèle, celui de la famille du dirigeant politique Maurice Thorez. Ce qui soude les familles est une conviction idéologique. La relation aux enfants prend sens d’avoir à leur transmettre un héritage politique révolutionnaire. Cette vision nouvelle de la famille s’appuie sur une théorisation (lisible dans un texte d’Aragon comme L’Homme communiste) de la distinction entre famille bourgeoise et famille ouvrière, qui légitime la revalorisation de la notion de famille. Aragon répercute les positions du PCF dans l’après guerre, elles-mêmes tributaires des revirements sur ces questions à l’œuvre en URSS, repérables dans les divers remaniements des Codes de la Famille soviétiques.
Mais le changement de position d’Aragon repose également sur des éléments personnels, essentiellement la mort de sa mère en 1942 (un certain nombre de ses traits passent dans le personnage de Marguerite Corvisart), qui modifient son regard sur sa propre famille, comme en témoigne le texte Pour expliquer ce que j’étais… Il y a conjonction entre des motifs extérieurs et des motifs intimes. Par ailleurs, des failles dans la thèse, dans l’image trop lisse des relations familiales apparaissent au travers de bon nombre d’éléments, qui constituent l’harmonie familiale en donnée que les circonstances (la guerre) dispensent de faire l’épreuve du réel, en hypothèse non vérifiée dans la durée. Et surtout dans la réécriture des Communistes, la modification de l’« Épilogue » transportant la métaphore familiale de l’auteur à son roman, « abandonné comme un enfant nu à la fontaine » – car il ne croit plus au legs idéologique à transmettre – montre que la tentative de tourner « au bien » la famille en lui donnant une envergure historique sombre dans les faits et méfaits de l’Histoire.

Suzanne RAVIS, A comme Anarchie : d’Anicet aux Cloches de Bâle

De la “révolte contre le monde” dadaïste au “renversement du monde” communiste, le rapport du jeune Aragon à l’Anarchie n’est pas simple. Fasciné par certaines figures, comme “les bandits tragiques”, ou certains gestes, comme celui de la meurtrière Germaine Berton, entraîné par la protestation désespérée qu’il y déchiffre, Aragon ne coïncide cependant ni avec une doctrine, ni avec un groupe ou un mouvement. L’emprise de l’anarchie sur son imaginaire a partie liée à l’exaltation du désir et à l’exigence morale et métaphysique d’absolu. Si un profond changement sur ce point, « l’abandon de l’idéalisme » qui s’opère en 1925, conduit Aragon à considérer l’anarchie comme une étape à dépasser, il entretient avec elle des rapports complexes jusque dans Les Cloches de Bâle. au point que le critique de L’Humanité lui reprocha « une idéalisation inconsciente de l’anarchisme ».
Ce dossier suit pas à pas l’évolution du rapport aragonien à l’anarchie à travers des documents et les écrits littéraires d’Aragon, en bornant volontairement la recherche à l934 : Aragon atteignait en cette année ses trente sept ans. Depuis les premières impressions laissées par l’enfance (le père préfet de police, l’affaire Bonnot, la rebelle Élisabeth, etc.), cette étude tente d’éclairer quelques contacts avec les libertaires au début des années vingt. Mais elle essaye aussi de saisir l’usage très personnel que l’écrivain fait du costume anarchiste dans ses écrits fictionnels, et de préciser les composantes de son refus de la solution anarchiste dans Le Prolétariat de l’Esprit. L’image donnée du mouvement anarchiste dans Les Cloches de Bâle, le mélange de condamnation et de sympathie sensible au lecteur de ce roman, sont enfin mis en regard du discours communiste de l’époque.
L’étude débouche sur une double interrogation: littéraire, sur les effets de lecture produits par le texte, et idéologique, sur la liaison entre révolte anarchisante et communisme chez Aragon lui-même.