Recherches Croisées Aragon/Elsa Triolet n°4 (1992)

Publié par C. G. le

Numéro publié aux Presses universitaires de Franche-Comté (disponible pour toute commande)

Résumé des articles

par ordre alphabétique des auteurs

(les résumés en français sont suivis des résumés en anglais)

Olivier BARBARANT,  » Madame Colette ou la mesure des différences « .

Écrit et publié dans Les Lettres françaises à la mort de l’écrivain,  » Madame Colette  » laisse scintiller à sa surface toute la complexité d’Aragon lecteur. L’étude de quelques occurrences de l’auteur de La Fin de Chéri dans l’œuvre et/ou le discours critique d’Aragon, celle du poème de 1954 et de son contexte permettent de mieux comprendre un éloge qui prend la mesure des différences entre les deux écrivains. Sérénité endolorie du « parterre d’Armide » d’un côté, engagement historique de l’autre : mais la plus profonde solidarité est celle des écritures, qui se répondent chant pour chant.

Édouard BÉGUIN,  » La notion critique de réécriture chez Aragon : I. La filière d’Isidore Ducasse « .

Y a-t-il une théorie de la réécriture chez Aragon ?
Le repérage du champ lexical de la réécriture dans le discours critique aragonien permet de mettre en évidence l’emploi du syntagme « récrire au bien » qui atteste la présence d’une telle réflexion chez l’écrivain. La formule renvoie à la prégnance de la référence à Isidore Ducasse dans son questionnement de l’écriture, et conduit à un article de 1930 :  » Contribution à l’avortement des études maldororiennes « . L’analyse de cet article est ici l’occasion d’une première explicitation du sens que prend chez Aragon la notion de réécriture. On voit ainsi que la spéci_cité de cette conception s’enracine dans le débat avec Breton autour de l’énigme des Poésies. Ce débat, qui précède et éclaire la rupture d’Aragon avec les surréalistes, conditionne le sens particulier que prend ici la notion de réécriture et permet de situer la réflexion théorique dont elle est l’objet dans la perspective d’une conception dialogique de l’écriture.

Marianne DELRANC GAUDRIC, « Victor Chklovski lecteur d’Elsa Triolet : Victor Chklovski, Lettre à Elsa Triolet » (texte bilingue, traduction Marianne Delranc Gaudric, revue par Léon Robel).

Cette longue lettre, datée du 5 août 1927, figurant au Fonds Elsa Triolet/Aragon, dresse une critique détaillée du roman Camouflage, qui n’est pas encore paru. Victor Chklovski joue auprès d’Elsa Triolet le rôle d’une sorte de Mentor (rôle qu’elle n’accepte que partiellement). Dans cette lettre, il la félicite pour ses capacités d’observation, son usage des langues russe et française, mais la critique quant à son insuffisante distance d’avec ses personnages. Il la conforte dans la perspective de devenir « un excellent écrivain », de « reconnaître définitivement que tu as une profession, que ce n’est pas un passe-temps et que cela a déjà changé ta vie ». Cette lettre, en partie brûlée, a pu être reconstituée en entier grâce à la présence, aux Archives littéraires centrales de Moscou, d’un double au carbone que nous avons pu consulter.

Marie-Thérèse EYCHART,  » L’intertextualité biblique dans Le Cheval roux « .

Peinture d’une Apocalypse moderne, Le Cheval roux met en place dès son titre un jeu d’intertextualité avec le grand livre biblique. Véritable mythe littéraire, il permet de tresser la déchéance individuelle et la question de la _n de l’Histoire : dans un dense réseau de significations en strates, les questions du bonheur et de l’optimisme historique y sont posées et travaillées par Elsa Triolet, pour qui l’esthétique romanesque ouvre, dès 1953, au dépassement d’un pessimisme lucide.

Corinne GRENOUILLET,  » Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas… « .

Éditeur catholique, Albert Béguin fut à l’origine de la collection des Cahiers du Rhône qui publia d’Aragon : Les Yeux d’ Elsa et Brocéliande en 1942. Dans quelles circonstances les deux hommes se rencontrèrent-ils en 1921 ? Comment se retrouvèrent-ils aux heures sombres de l’occupation, dans le même souci de lutter contre le nazisme, par les moyens de la poésie ? Comment enfin cette étonnante relation entre le communiste et le catholique prit-elle fin au moment de la guerre froide ? – Vingt-trois lettres inédites d’Aragon à Albert Béguin, publiées ici, révèlent la profondeur de l’accord et l’authenticité de l’amitié qui unirent un temps celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas.

Nathalie PIÉGAY-GROS,  » Aragon, de fil en aiguille « .

La récurrence de cette expression ne doit pas masquer ses variations et son ambiguïté. Si « de fil en aiguille » permet d’évoquer sans les dire les liens du discours, l’expression indique l’ellipse, l’enchaînement in absentia ; à l’inverse, « de fil en aiguille » peut signifier la digression et la dérive des propos, la fuite des idées. Cette expression, plus paradoxalement encore, en vient à dire le décousu d’un discours dont la linéarité est impropre à rendre compte de l’incohérence du moi. Cette expression qui s’inscrit dans un champ sémantique beaucoup plus vaste (le texte comme tissu, continuité complexe mais au fond une) révèle de manière frappante comment toute considération métatextuelle est en fait inséparable pour Aragon de réflexions sur le sujet : « de fil en aiguille » qualifie le livre en tant qu’il est une image de la vie qui se défait. Aragon, dans l’impossibilité de renoncer à une linéarité du discours, conséquence logique de la pratique de l’incipit, rompt cependant avec une certaine conception du livre comme cohésion et _le la métaphore du texte comme tissu pour dire ses limites.

Amy SMILEY,  » « Les paramètres » du mensonge « .

L’étrange univers des  » Paramètres « , dont la présentation en séquences exacerbe une progression érotique et violente, puise son lyrisme particulier dans le mot énigmatique de l’incipit du conte, celui de « mensonge ». Fruit de la problématique de l’écriture romanesque, le mensonge désigne un débat essentiel chez Aragon pendant les années vingt. En effet, le récit cède à deux tendances, au moins, que cet article explore du point de vue théorique et textuel : celle de la destruction du principe romanesque et celle de l’ouverture à l’ « infini » de la création de personnages. L’inévitable tension qui anime le texte surgit finalement de la dynamique érotique de l’écriture.

Maryse VASSEVIÈRE,  » La lecture des Beaux quartiers dans La Mise à mort « .

À partir d’un repérage des quatre fragments des Beaux quartiers cités dans La Mise à mort (trois fragments relatifs au trio Quesnel-Carlotta-Edmond et un fragment relatif au trio Colombin-Jeanne-Leroy) et de leur place dans la diégèse du roman (extraits lus et commentés par Christian au cours d’une conversation littéraire avec Alfred), ce travail se propose de montrer que l’écriture de La Mise à mort est bien née de la relecture des Beaux quartiers pour les ORC.
La Mise à mort, comme roman du roman, donne ainsi une analyse magistrale de l’écriture (de la configuration des images de l’auteur en une sorte de carré sémiotique), des phénomènes de lecture (ses mécanismes, ses erreurs, les bons et les mauvais lecteurs), et constitue une relecture critique du Monde réel (en répartissant autrement les trois isotopies sociale, psychologique et romanesque déjà présentes dans Les Beaux quartiers) dont l’origine est à la fois amoureuse, politique et littéraire.

SUMMARIES IN ENGLISH

Olivier BARBARANT,  » Madame Colette or the assessment of differences « .
Written and published in Les Lettres françaises on the writer’s death,  » Madame Colette  » allows the full sophistication of Aragon as a reader to sparkle openly. The study of a few occurrences of the author of La Fin de Chéri in Aragon’s work and/or critical writings, the study too of the poem written in 1954 and its context allow one to understand more satisfactorily the praise that assesses the differencies between the two writers. The sore serenity of  » le parterre d’Armide  » on the one hand, the implication in history on the other : but the deepest solidarity is that of the writing techniques which echo each other in their song.

Édouard BÉGUIN,  » The critical notion of re-writing in Aragon : I. La _lière d’Isidore Ducasse (direct line from Isidore Ducasse) « .
Does there exist a theory of re-writing in Aragon ? The spotting of the lexicon of re-writing in Aragon’s critical discourse allows one to demonstrate the use of the syntagma  » récrire au bien  » which indicates the presence in the writer of such concerns. Its very wording has to do with the pregnancy of the reference to Isidore Ducasse in his questioning of writing, and leads to an article dating from 1930 :  » Contribution à l’avortement des études maldororiennes (A contribution to aborting the maldororian studies) « . The analysis of this article is indeed the opportunity for a first explanation of the meaning of re-writing where Aragon is concerned. Thus it becomes clear that the specificity of this approach takes root in the debate with Breton around the enigma of Poésies. The debate, which precedes and casts light on Aragon’s break away from the Surrealists, accounts for the special meaning of the notion of re-writing in this case, and allows one to situate the theoretical reßexion applying to it in the prospect of an idea of writing as multiple traf_c (dialogisme).

Marie-Thérèse EYCHART,  » Biblical intertextuality in Le Cheval roux « .
The depiction of a contemporary Apocalypse, Le Cheval roux sets up, to begin with, an interplay of textuality with the great Book of Revelation. A genuine literary myth, it enables one to weave the fabric of individual deterioration and the issue of the end of History ; through a thick network of layers of meaning, the issues of happiness and historical optimism are dealt with and elaborately considered by Elsa Triolet for whom the aesthetics of fiction, as early as 1953, leads up to a stance beyond clear-minded pessimism.

Corinne GRENOUILLET,  » Celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas…  »
A Roman Catholic publisher, Albert Béguin was the founder of Les Cahiers du Rhône, in which appeared Aragon’s Les Yeux d’Elsa and Brocéliande in 1942. Under what circumstances did the two men come to meet in 1921 ? How did they meet again in the gloomiest days of the German occupation, with the identical wish to fight nazism through the channel of poetry ? Eventually how did this amazing relationship between the communist writer and the catholic publisher come to an end at the time of the Cold War ? Twenty-three so far unpublished letters that Aragon wrote to Albert Béguin appear here. They disclose the depth of their mutual agreement and the genuine friendship which, for some time, existed between the one who believed in Heaven and the one who didn’t (celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas).

Nathalie PIÉGAY-GROS,  » Aragon, de fil en aiguille « .
The recurrence of the phrase should by no means hide its variations and ambiguity. If « de fil en aiguille » (thread of ideas) enables to evoke the inner links of discourse without mentioning them properly, the phrase hints at ellipsis and the absence of links. Conversely, « de fil en aiguille » (one thing leading to another) can mean digression and the straying of the utterances, can mean the ideas getting out of hand. Even more paradoxically the phrase can ultimately mean a rambling discourse whose linearity is unable to account for the disjointedness of the ego. The phrase, which is part and parcel of a much wider semantic _eld (a text as fabric, as a unique, although complex, continuum) strikingly demonstrates how any metatextual consideration is, as far as Aragon is concerned, inseparable from thoughts on the topic concerned : « de fil en aiguille » quali_es the book in so far as it is a picture of life that comes unstitched and undone. Aragon, being unable to give up the linear discourse – a logical consequence of his use of incipit – nevertheless breaks away from a certain idea of books as cohesive units, and coins a metaphor of the text as fabric to specify its limitations.

Amy SMILEY,  » « Les paramètres » du mensonge « .
The strange world of  » Les Paramètres  » is written in sequences which exacerbate the violent and erotic progression of the story. The particular lyrical form that I investigate is constructed in relationship to the word « mensonge » (lie) in the _rst line of the work. It constitutes a veritable enigma to the problem inherent in novel writing for Aragon during the nineteen twenties. The contradiction at hand creates two tendencies which I explore in both a theoretical and textual approach. On one hand there is the presence of a destructive force at play and in reaction to fiction writing, and on the other, the infinite possibility in his work of the creation of characters. In the final analysis, the inevitable resulting tension which characterizes Aragon’s writing stems from the erotic principle which generates his works.

Maryse VASSEVIÈRE,  » The reading of Les Beaux quartiers in La Mise à mort « .
Starting with the spotting of the four excerpts from Les Beaux quartiers mentioned in La Mise à mort – three of them related to the Quesnel-Carlotta-Edmond triangle, and one related to the Colombin-Jeanne-Leroy triangle – and their location in the story told in the novel (excerpts read and commented on by Christian during a literary conversation with Alfred), this study means to demonstrate that the writing of La Mise à mort actually originates from a re-reading of Les Beaux quartiers for Les Œuvres Romanesques Croisées.
Thus La Mise à mort as a novel on fiction writing supplies a masterly analysis of writing (of the outline of the author’s imagery as a sort of semiotic square), of the phenomena implied in reading (the way it works, the possible mistakes, the good and the bad readers), and appears as a fresh critical reading of Le Monde réel (distributing differently the three levels of significance already existing in Les Beaux quartiers, in relation to society, psychology and the Novel proper) whose origin is to be found in literature, politics and the author’s love life.
t à s’interroger sur les circonstances et les raisons de cette destruction. Au-delà, c’est l’occasion de reprendre l’examen du dossier dans son ensemble. On tente de préciser la chronologie, encore très floue, des années 1923-1927, le contexte biographique de l’écriture et les « pilotis » réels qu’elle dissimule. On s’interroge sur le projet scriptural de ce texte multiforme, tel qu’Aragon l’a décrit et tel qu’il apparaît dans les pages subsistantes : pour constater que la crise très profonde qui conduisit à l’autodafé de Madrid, avant le suicide manqué de Venise, impliquait inséparablement l’esthétique et l’éthique, l’écriture et l’être-au-monde. – Enfin ce dossier donne à lire quatre des dix-neuf fragments inédits retrouvés.