John Bennett, par Michel Apel-Muller
John Bennett
C’est en 1988 que je fis la connaissance de John Bennett, à Glasgow. Le fonds des manuscrits une fois constitué après le legs au CNRS et la mort d’Aragon, il s’agissait de créer les meilleures conditions de son exploitation scientifique. Après la mise en place de l’équipe française des chercheurs, deux priorités avaient été retenues, l’établissement d’une antenne russe pour des raisons évidentes, familiales notamment – il permit, non sans mal, la publication de la correspondance Elsa – Lili – et l’établissement d’une antenne britannique.
C’est un assistant de John Bennett, Andrew Macanulty, grand admirateur d’Aragon, qui permit la réalisation du projet après sa visite, rue de Richelieu, au fonds Elsa Triolet – Aragon. Il organisa, à l’Université de Glasgow, une première rencontre, y invitant, venus d’Écosse ou d’Angleterre, tous les collègues susceptibles de s’intéresser au projet. Parmi eux et parmi les autorités universitaires présentes, John Bennett, chef du Département de Langue et de Littérature françaises. Son urbanité, son autorité intellectuelle auprès de ses amis m’avaient alors frappé. Il soutint dès ses débuts la formation d’une équipe et l’idée du colloque qui eut lieu en 1992 sur le thème : « Place et fonction des langues et littératures étrangères dans l’œuvre d’Aragon ». Lui-même y présenta une communication qui allait en engendrer d’autres.
Pourtant John n’était pas un spécialiste de la littérature du XXe siècle. Son champ de recherche avait été jusqu’alors inscrit dans le XIXe. Mais il se piqua au jeu et fut gagné par la contagion aragonienne. Il avait quelques bonnes raisons pour cela. De l’étudiant des premières années 40, la guerre allait faire un jeune officier que l’épreuve du feu n’épargna pas. Grièvement blessé sur le front de Normandie en 1944, il occupa une grande part de sa convalescence qui fut longue à la lecture d’Aragon. Cette découverte de notre poète l’avait, confiait-il, très impressionné, tout autant que l’avaient étonné les attaques dont il était l’objet en Grande-Bretagne même, parallèlement aux éloges prodigués par Cyril Connolly et ses amis.
« Intrigué par les attitudes contradictoires, face à un écrivain dont les poèmes de guerre m’avaient profondément touché – de même qu’un grand nombre de mes amis – lorsque je les avais lus pour la première fois en 1944, je résolus de débusquer avec précision les réactions qui s’étaient manifestées en Grande-Bretagne durant la guerre à l’endroit des écrits d’Aragon le résistant et en particulier de sa poésie [[John Bennett, Aragon, Londres et la France libre, L’Harmattan, 1998.]]. » Il était superflu d’encourager John Bennett dans ce projet, et le résultat fut ce beau livre qu’il faut considérer comme un livre majeur, indispensable désormais dans toute bibliothèque aragonienne. Le livre ne mit d’ailleurs pas un point final à ses recherches. En témoigne sa communication lue au Colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines par Luc Vigier, à l’instant même ou presque où notre ami nous quittait.
Notre ami à tous, il l’était devenu en effet, s’intégrant à l’équipe française, participant autant qu’il le pouvait aux réunions du séminaire, à ses colloques, suivant avec passion la vie de la maison de Saint-Arnoult qu’il aimait, ouvert aux rencontres, aux personnes jeunes ou moins jeunes, avec ce grand sourire courtois qui le distinguait. Il pensait bien venir à Saint-Quentin et puis voilà qu’au lendemain des fêtes il m’écrivit que non, sa santé lui donnant soudain quelques soucis. Mais il souhaitait que son travail y fût lu, il y tenait même beaucoup. Trois semaines plus tard me parvint une nouvelle lettre. John m’y confiait que le diagnostic était là, sans appel – cancer du foie – et, écrivait-il, on venait de lui signifier son « arrêt de mort ». Il ne viendrait plus à Paris qu’il aimait tant et me faisait ses adieux calmement, lucidement.
Merci John, vous avez fait beaucoup. Adieu.
Michel APEL-MULLER