Jacqueline Lévi-Valensi par Suzanne Ravis

Publié par L. V. le

Jacqueline Lévi-Valensi

Jacqueline Lévi-Valensi, dont nous avons appris il y a quelques jours le décès survenu le 12 novembre, était unanimement reconnue comme une grande spécialiste de Camus. On sait moins que les études aragoniennes, dans une mesure bien plus modeste, lui sont également redevables. L’œuvre d’Aragon avait pris dans sa réflexion sur le romanesque, et de ce fait dans son enseignement, une place d’autant plus remarquable qu’elle contrastait avec l’ostracisme dont souffrait trop souvent cet auteur dans l’Université, au cours des années quatre-vingts.
Attentive au romanesque contemporain dans la diversité de ses orientations, J. Lévi-Valensi accordait un intérêt sans a priori idéologique à la pratique d’Aragon romancier, comme à ses nombreux commentaires d’écrivain et de lecteur sur les pouvoirs de la fiction. Rappelant la formule de Blanche ou l’oubli sur l’entrée dans « le terrible monde réel » par le biais du « chemin des fables », elle écrivait dans son ouvrage Aragon romancier d’Anicet à Aurélien : « Avant de l’exprimer avec cette force, dans Blanche ou l’oubli […] Aragon avait depuis longtemps mis en œuvre un romanesque qui était « entrée » au monde réel, et non fuite ou esquive hors de lui. Il n’a cessé de s’interroger sur la puissance et les limites de l’imagination, comme mode d’appréhension du réel ». Devant les écrits romanesques d’Aragon, d’une écriture « si singulièrement moderne », J. Lévi-Valensi prenait en compte au plus haut point cette œuvre majeure, pour l’intégrer à sa conception du romanesque comme « mythologie du possible ».
L’enseignement de J.Lévi-Valensi à l’Université de Picardie a certainement sensibilisé nombre d’étudiants à l’œuvre d’Aragon, sans l’isoler d’autres romanciers contemporains, comme Marguerite Duras. Elle a dirigé, notamment, la belle thèse de Marie-Catherine Thiétard, soutenue en 1999, sur « Le malheur d’aimer ou l’origine d’une poétique du songe… », irradiant à partir d’Aurélien. Ce roman, inscrit au programme d’agrégation en 1988-1989, incita J. Lévi-Valensi à proposer aux étudiants et aux lecteurs non spécialistes, en 1989, une introduction dense à Aragon romancier, « d’Anicet à Aurélien« . Elle aurait alors aimé avoir le temps de poursuivre cette étude jusqu’ aux derniers romans, comme elle me le confia encore en 1999.
L’approche narratologique n’était pas séparée, pour Jacqueline Lévi-Valensi, d’une écoute de « celui qui écrit », cet homme « nu » malgré ses masques, dont parle Aragon dans Blanche ou l’oubli, celui qui se découvre ou se compose dans son écriture. Sa critique s’attachait à l’homme total, avec sa vision du monde, son implication dans l’Histoire, les valeurs que le romancier questionne ou propose. C’est ainsi que J. Lévi-Valensi s’est penchée avec une sympathie délicate et lucide sur la conception du couple à travers le système de personnages des Communistes, dans une étude exposée pour la première fois à notre séminaire de juin 1999, avant sa version définitive dans la revue Recherches croisées Aragon/E. Triolet.
Mais ERITA doit aussi à notre collègue d’avoir pu surmonter un obstacle majeur à sa pérennité : grâce à l’intervention aussi efficace que discrète de J. Lévi-Valensi, notre groupe de chercheurs formé pour moitié de provinciaux fut accueilli généreusement à la Cité Universitaire Internationale de Paris pour y tenir ses séminaires en 1998 -1999, à un moment où l’absence de lieu de réunion risquait d’interrompre peut-être définitivement notre expérience de mise en commun des idées inaugurée en 1985. Notre reconnaissance pour ce geste de solidarité désintéressé ne s’efface pas.
Trop tôt disparue, Jacqueline Lévi-Valensi nous laisse le regret de n’avoir pu que deviner, sous sa discrétion, l’étendue de son courage et de sa générosité. En modeste hommage et à l’intention des jeunes chercheurs, nous rappelons ici les titres de ses interventions à propos d’Aragon.
Suzanne Ravis, Université de Provence, le 22 novembre 2004
Ouvrage et articles de Jacqueline Lévi-Valensi sur Aragon


Les références sont pour la plupart reprises de l’ouvrage de « Mélanges offerts à Jacqueline Lévi-Valensi », Pour un humanisme romanesque, textes réunis par Gilles Philippe et Agnès Spiquel, SEDES, 1999.

« Histoire et « mentir-vrai » dans La Semaine sainte d’Aragon », Récit et Histoire , Université de Picardie, 1984, pages 125 -137.

Aragon romancier, d’Anicet à Aurélien, SEDES, 1989.

« Poétique et pratique de l’écriture, d’Aragon au Nouveau Roman », Nouvelles tendances de la littérature comparée, Juhàsz Gyula Tanarkepzö Foïskola, Szeged-Amiens, 1991, pages 27-35.

« Mythologies de l’écriture chez Aragon : l' »eau des phrases » et le ‘Monde réel’ « , Etudes romanesques 3, Minard, 1996, pages 9-16.

« Le couple dans Les Communistes « , Recherches croisées Aragon/ Elsa Triolet n° 7, Presses universitaires franc-comtoises, 2001, pages 171-183.


L. V.

Luc Vigier, maître de conférences à l'Université de Poitiers